Evadée des rails tracés par le franquisme, Rosmary Roïg Zaraté arrive en Belgique en 1975. Obligée d’abandonner ses études de chimie à son arrivée, elle commence à travailler comme étalagiste pour une maroquinerie célèbre et y apprend la technique de teinture « batik ». Elle sera ensuite vendeuse dans un magasin bio, créatrice de bijoux, assortisseuse de rayons dans un supermarché, décoratrice d’intérieur,… avant de devenir costumière. Ou plus précisément, spécialiste de l’« accoutrement », qui désigne pour elle à la fois le costume et les accessoires.
Rosmary se définit comme une plasticienne. « Mon travail est comme un éventail, il y a différentes branches mais une toile les relie et les assemble. Avec cet éventail, on peut faire beaucoup de choses, s’éventer pour se rafraîchir, attiser un feu, … Je touche à tout et j’essaie de trouver une logique à tout ce que je fais. Je ne cesse d’apprendre et chacun de mes apprentissages a apporté une essence intéressante que j’ai travaillée comme en alchimie. Même ranger des Petits Suisses dans un rayon, c’est une forme de composition ! »
Les marchés aux puces sont une source d’inspiration intarissable, surtout à la fin où il reste un tas d’objets à ramasser. Cette démarche ne la quittera plus. Dans les années 80, elle crée des bijoux en réutilisant, recyclant et détournant des objets glanés ça et là. « Ma formation en chimie, que j’avais mise de côté, m’a alors servie. J’expérimentais, je composais. » Dans les années 80, elle se retrouve dans les chiffons. Elle travaille notamment pour Elvis Pompilio, Christophe et Béatrice Cousin, stylistes alors très en vue. Elle assemble les garde-robes pour les commandes venant du théâtre, du cinéma, de la publicité ou de l’opéra où elle finira par rentrer. « J’adorais l’opéra, je suis une grande mélomane, je rêvais de me retrouver de l’autre côté du rideau. J’y suis entrée comme costumière ». Elle travaille alors aussi pour le théâtre, pour des compagnies de danse, pour des événements, pour le cinéma, pour des instalations, dans des projets d’initiatives tant privées que publiques.
Son premier instrument, ce sont ses mains. Elle dit d’ailleurs à leur propos « On a peur de travailler avec nos mains. Or elles sont là et ne servent pas uniquement à essuyer nos fesses, manger ou écrire. Ce sont des instruments, ce sont des pinces, ce sont des vis, tout ce que l’on veut qu’elles soient. C’est un outil incroyable qui t’aide à exécuter tes idées. Quand tu es costumière, tu dois savoir faire des teintures, refaire un costume qui est hors d’usage, repriser, réparer,… On construit en trois dimensions, on sculpte, on tisse, on assemble. »
Pour un projet artistique, très concrètement, elle reçoit d’abord le scénario. Le réalisateur peut avoir des idées très précises sur ce qu’il désire comme costumes, ou alors c’est plus vague mais il peut aussi lui laisser carte blanche. « Suite à cela, je fais des recherches en bibliothèque sur le sujet, sur l’époque, quelles tenues on portait, quels genre de matières, de formes on employait… J’imagine tous les personnages, il y a différentes connotations en fonction des rôles principaux ou secondaires, en fonction des caractères, des niveaux sociaux, des métiers. Un personnage qui symbolise la force ou la puissance, cela doit transparaître dans son habillement. Si c’est un intellectuel pauvre, cela doit aussi être rendu dans le costume. Dans son cas, les habits seront négligés car l’habillement occupe une moindre importance, la pensée prédomine. Au contraire, une reine veille grandement à sa parure, dans ce cas, le costume doit être impeccable, travaillé. Un bouffon doit être voyant, pas un domestique. Les couleurs représentent aussi des émotions, elles symbolisent également une époque. Il y a aussi l’usage que tu vas faire, tu ne peux employer un voile pour des scènes très physiques ou si les acteurs se salissent car un voile ne peut être trop souvent lavé ni soumis à de trop grandes pressions.
Il faut savoir choisir la quantité et la qualité des tissus que tu emploies selon l’usage et la symbolique que tu envisages. »
« Pour un film, j’ai dû habiller un personnage de chercheur ambulant dans le style Bauhaus de Akarova, une danseuse belge des années 20-30-40 qui faisait tout elle-même. Je me suis donc inspirée de son style surréaliste et dépouillé. La première question c’est « qu’est-ce qu’un chercheur, qu’est-ce que faire une recherche, qu’est-ce qu’être ambulant? Pour moi cela évoque être en dehors du temps et de l’espace, être un narrateur-observateur de la société. Je l’ai habillé tout en noir car c’est une couleur atemporelle. Mais il y a plein de gammes de noir que tu peux faire varier, il y a le mat et le brillant, mais aussi toutes les textures différentes, le rigide, le fluide, le velouté, le transparent,… »
« Après les recherches, je réalise le projet, je peux faire des aquarelles pour rendre les tons et les drapés que j’ai en tête, faire des photos… je discute avec le réalisateur. Ensuite, je fouine pour trouver le matériel dont j’ai besoin. Je ne travaille pas sur base d’un patron et je ne prends pas en compte le physique de l’acteur pour créer. J’ai un compas dans l’œil, je compose en trois dimensions comme on le fait pour une sculpture. Il y a les photos, les essayages, et puis cela évolue, il y a toujours des surprises qui modifie ta construction du costume, rien n’est figé mais tu as quand même une direction générale que tu suis. Ce n’est pas moi qui suis l’habilleuse mais de fait, je reste toujours dans les parages lors de la mise en scène. Sur le plateau c’est à elle que revient de vêtir les comédiens, de faire les reprises nécessaires, de trouver un accessoire perdu ou cassé, de parer aux problèmes quotidiens du plateau. J’ai aussi été habilleuse. On doit tout prévoir à l’avance. Par exemple, ce qui est fragile ou précaire, et que tu sais que tu ne pourras pas réparer, tu dois prévoir une rechange, une alternative; pour le reste, tu dois anticiper les façons dont tu pourras réparer. Tu ne dois pas veiller seulement aux costumes mais à tous les accessoires, aux chaussures, aux chapeaux, aux bijoux… Tu dois constamment vérifier l’état du stock, avoir constamment en tête tout ce qu’il y a, où et dans quel état. »
Ce métier de costumière dans le spectacle a fini par la lasser : « Toutes tes journées devraient compter 48 heures sans différencier si tu travailles de nuit ou de jour, en semaine ou le week-end-end et tout doit toujours être fini pour avant-hier! C’est très stressant sans pour autant être super bien payé ou très valorisé. Tu t’investis beaucoup et je n’étais plus sûre d’être nourrie assez en retour ». A présent elle organise des ateliers. « Cela fait peu de temps qu’il existe des études de technicien du spectacle. Avant, c’était un métier où l’on se formait en autodidacte comme je l’ai fait. »
« 0n s’est battu pour que cela soit reconnu. Les premiers étudiants de technique d’habillement sortiront cette année, après trois ans de formation. Les étudiants apprennent aussi à monter et démonter les loges; à faire les bagages : quelles choses on emmène, quel volume on peut emporter et comment les ordonner; ils apprennent aussi l’histoire du costume, la question des assurances, la gestion, le dessin technique et artistique,… Actuellement, mon envie est de transmettre, d’échanger et que chacun puisse s’épanouir dans la création. »
« Ma démarche est toujours restée celle du recyclage, de la récupération, de la transformation et du détournement d’objet. Mon objectif est de donner vie aux choses mises de côté, délaissées. Quand je donne cours, j’insiste sur le fait de travailler en n’achetant rien. Le thème est par exemple « le chapeau », on va faire un tour au marché aux puces et la consigne est de rassembler tout ce qui a une connotation pour soi-même avec le thème, que ce soit une brique, un carton, une fleur, une chaussure, une lampe,… Et à partir de là, il faut trouver le moyen d’emballer une tête avec ça, une façon de
transformer l’objet dans le sens que tu désires mais cependant, l’impératif est que cela puisse tenir sur le crâne. Pour ce faire, on peut employer tous les matériaux imaginables, tu peux coudre, mais aussi tisser, encastrer, coller… Quand je créais des bijoux, je le faisais en fonction du métier ou de la personnalité de celui qui allait le porter : une petite brosse à polir qui représentait le pinceau du peintre, un verre déchiré (car chauffé à haute température) avec une plume à encre pour l’écrivain, un mécanisme d’horloge,… J’estime qu’il est essentiel de trouver du sens à des choses auxquelles d’habitude on n’accorde aucune importance. »