Le temps

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Lorsqu’un importun lui demandait de lui expliquer synthétiquement sa théorie, Albert Einstein l’expédiait de la sorte : « Si vous faites asseoir un homme une heure à côté d’une jolie femme, il pensera que ça a duré une minute. Asseyez-le une minute sur un calorifère brûlant, il croira que ça a duré une heure… Vous voyez, c’est cela la relativité. »

Peut-être le savant pensait-il par cette boutade se dépêtrer du piège que lui tendait son interlocuteur : celui de perdre son temps – une notion d’ailleurs très… relative d’une culture à l’autre. A moins que, prix Nobel et célébrité obligent, il fut à ce point débordé qu’il n’avait plus un moment pour lui ? Et encore avait-il la chance d’échapper à la tyrannie du chronomètre que le management à la sauce Toyota impose à ses salariés esclaves.

Notre époque, qui adore se plaindre du temps (« il n’y a plus de saisons»), a fait de la durée une donnée compressible à l’infini. La «gestion » du temps – comme si c’était une marchandise que doit gérer l’ingénierie techno-économique – nous fait entrer dans l’époque de l’éphémère généralisé. Le temps virtuel du monde numérique devient paradigmatique. Ce dernier, outre qu’il fait perdre beaucoup de temps « physique », s’apparente sous bien des rapports au divertissement pascalien. L’ami Blaise appelait ainsi tout ce qui empêche l’homme de penser au néant de sa condition, à sa minuscule place au milieu des espaces qui l’ignorent, à sa mort certaine, à lui et à une création condamnée d’avance.

C’est que le temps, c’est de l’argent, selon la formule du tristement célèbre Henry Ford, le père de la méthode de division « scientifique » du travail. Malgré les laborieuses tentatives pour en redorer le blason, le travail est un collier pour ceux qui ont la chance d’en avoir un, voire un instrument de torture, comme l’ori-gine du mot le dit si bien… Une «chance » que l’on goûte d’autant mieux que la frontière entre temps travaillé et non travaillé a tendance à se brouiller…

Le père de la relativité, lui, aurait préféré une économie dans laquelle « les moyens de production appartiendraient à la société elle-même et seraient utilisés d’un façon planifiée», et « qui adapterait la production aux besoins de la société, distribuerait le travail à faire entre tous ceux qui sont capables de travailler et garantirait les moyens d’existence à chaque homme, à chaque femme, à chaque enfant. » Ces lignes sont bien d’Albert Einstein, mais elles ne sont pas souvent citées. Allez savoir pourquoi.

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