Faire son Choming-out

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« Activation des chômeurs » : trois mots qui donnent des sueurs froides aux demandeurs d’emploi de longue durée. Voilà maintenant six ans que l’Onem tire à vue et élimine les allocataires les moins drillés. Incapable de se donner les moyens d’un véritable accompagnement personnalisé des chômeurs, l’Onem a imaginé une grille d’évaluation impliquant un nombre mensuel de candidatures spontanées à effectuer, les preuves des passages quasi quotidiens dans les agences intérim, des demandes de justification de candidatures aux employeurs, l’inscription obligatoire à des formations et, cerise sur le gâteau, une carte à puce que le chômeur doit scanner lors de chaque passage au Forem.

Cette « activation » standardisée fait évidemment fi des singularités des milieux professionnels. On ne cherche pas du boulot de la même manière quand on est maçon, journaliste ou chauffeur poids lourd. Demander à un jeune précaire analphabète de produire X lettres de motivation par mois l’envoie à coup sûr contre le mur. Obliger un intermittent du spectacle à faire une formation temps-plein, – peu importe laquelle pourvu qu’il garde ses droits aux allocations – disloquera inévitablement son réseau professionnel. 1 Le plan d’activation, c’est un peu le koh-lanta des chômeurs. Un jeu macabre qui prive plus de 2000 personnes, chaque année, de leur droit aux allocations de chômage.

C’est dans ce contexte de crise, où les syndicats commencent à faire machine arrière concernant ce plan, qu’un groupe d’individus bruxellois, lassés d’être harcelés par l’Onem, décident de faire leur « choming out » en produisant un pamphlet du même nom. De passage à Liège pour une présentation de leur brochure, nous avons rencontré Moïse et Madeleine pour tenter de découvrir qui se cache derrière ce nom étrange.

Moïse: « Issus d’un même réseau affinitaire, nous sommes passés de la discussion intime concernant l’activation des chômeurs à une réflexion collective, avec cette envie de sortir de cette activation. L’idée du « choming out » fait évidemment référence au mouvement gay, avec cette obligation de devoir vivre caché pour des raisons politiques, morale, ou autres. On est arrivé à se dire « mais comment peuvent-ils nous emmerder avec cette ‘activation’ alors que nous sommes pour la plupart submergés d’activités en échange de revenus modestes ». Choming out, c’est l’idée de sortir de la clandestinité, de quitter cette figure de la culpabilisation. »

Moïse ne vient pas de nulle part… Dans les années nonante, il fait déjà partie du collectif autonome des chômeurs (voir encadré). Moïse opine : « Oui, mais c’était il y a dix ans, et nos vies, nos centres d’intérêts, nos préoccupations ont bien changés. Ce collectif de chômeurs est empreint de bagarre, mais aussi de répressions policières, de procès, et de tous les petits poisons de peurs qui se sont immiscés dans nos quotidiens. » Bien sûr ces luttes ont portés leurs fruits, avec l’arrêt des visites domiciliaires, mais au prix de pas mal de souffrance et tristesse. « Nous sommes restés dans l’ombre pas mal d’années, sans renier quoi que ce soit, mais plutôt en se questionnant sur la manière de retrouver prise : comment regagner une certaine puissance, trouver de la joie à se mettre ensemble et à ne plus subir, à ne plus avaler une à une les couleuvres. Nous sommes probablement plus nuancés dans la manière de voir la problématique du chômage, à la manière d’entrer dans la bagarre, de se présenter, tout cela doit tenir compte de cet héritage. C’est cela que nous tentons d’expliquer dans la brochure ». La brochure contraste effectivement avec l’image un peu clichée que l’on attribue à certains collectifs de chômeurs. Il n’est plus question ici de parler de la sortie du salariat, thématique très caractéristique dans le mouvement,
mais plutôt, comme le souligne Moïse, de « tenir compte que l’on sort épisodiquement du chômage ou que l’on co-habite avec. Il n’est plus question de l’idée très revendicatrice du « chômeur heureux ». La question est un peu à côté. C’est davantage comment se débrouiller pour lier travail et désir. » Et Madeleine d’ajouter : « On voudrait vraiment que ces allocations de chômage aient un autre sens que ‘revenu de remplacement’ en attendant un emploi à plein temps. » Qui n’arrivera pas, ou qu’on ne souhaite pas, serait-on tenté d’ajouter.

Identité

Plus qu’un collectif de chômeurs, « Choming out » rassemble effectivement des travailleurs précaires atypiques et actifs dans les milieux de la communication, des arts audiovisuels, dit autrement, du « cognitariat », même si les principaux intéressés s’en défendent, jugeant l’appellation trop exclusive et orientée. L’iconographie décalée de la brochure, ainsi que sa réalisation brute sur sérigraphie reflète cependant un caractère particulier. Moïse en est conscient : « On sait très bien que la forme de langage, l’iconographie, le type d’aventure que nous décrivons font références au type de milieu que nous fréquentons… Ce qu’on essaye de dire dans la brochure, c’est qu’on veut que l’Onem arrête de nous mettre la pression afin que l’on accepte n’importe quel boulot. C’est un exercice périlleux où on tente de défendre nos modes de vie sans pour autant insulter les travailleurs ‘classiques’. Ça nous foutrait mal de commencer à aller trouver les travailleurs en leur expliquant que leur boulot, c’est de la merde et qu’ils sont aliénés. »

L’activation des chômeurs revient sans cesse dans les textes comme une aberration qui ne correspond en rien avec ce que Moïse et Madeleine vivent au quotidien. Moïse argumente : « Il faut sortir de cette idée terrible qui passe à travers le mot ‘activation’; activer quelque chose présuppose qu’il soit passif. La première idée, c’est qu’on n’a pas attendus le plan pour être actif. La deuxième idée, c’est de tenir compte qu’on n’est pas seulement ‘chômeur’. Un tel pourra être pris dans un cadre salarial « classique », pour un boulot que l’on pourrait qualifier d’« alimentaire », ou un autre travaillant sur un projet qui fait sens pour lui et qui sera payé grâce à quelques bricolages… ». Madeleine ajoute : « D’où l’intérêt pour nous de faire valoir cette idée de ‘bricolage’, ce que moi je pourrais appeler ‘agencement avec l’état’. Il faut qu’il y ait une prise de conscience, non seulement au niveau national, mais surtout au niveau européen, et que ce plan d’activation n’est pas adapté. Les syndicats commencent timidement à s’en rendre compte, mais je ne crois pas que Joëlle Milquet va le supprimer prochainement. Si à un moment donné, des tensions sociales émergeaient, peut-être que l’on pourrait forcer le dialogue avec les syndicats, – bien que notre vision du travail soit en rupture avec derniers –, en espérant, au pire, une réforme du plan d’activation.Vingt chômeurs exclus par jour, ce n’est pas rien et ça vaut le coup de s’interroger sur comment faire tension. Quoi qu’il en soit, oui, nous revendiquons l’arrêt du plan d’activation. Ça nous ferait respirer pas mal, même si ça ne répond pas à toute les questions ».

Quand nous leur demandons quels sont leurs futurs projets, ils restent évasifs… « Il y a quelqu’un que l’on aime assez bien qui a parlé du capitalisme comme sorcellerie; notre entreprise, c’est déjà de nous ‘désensorceler’ nous-même, de nous soigner (au sens de ‘prendre soin de’), comme disait quelqu’un lors de cette rencontre à Liège. Nous ne venons pas de nulle part; Ce qu’on fait est on ne peut plus modeste. On en est à ce moment, à cette joie, très petite mais précieuse, qui est d’avancer pas à pas avec un petit groupe soudé, de faire des rencontres, d’avoir des retours sur notre brochure. On ne débarque pas avec un programme clair, où on dirait ce qu’il faut faire ou ne pas faire, mais plutôt avec l’envie de faire émulation de cette joie fragile que l’on a à se retrouver
et à se remettre ensemble, à faire grain de sable. Nous allons ensuite, après les différentes rencontres, nous donner le temps de revenir sur ce qui a été dit, ce qu’elles nous ont apporté comme nuance, comme regard ou comme point de relais.
 »

Sur les formes que cela pourrait prendre, Madeleine embraie : « Nous avons également commencé à réfléchir sur l’idée de « salon des chômeurs », même si l’appellation doit être reformulée. Ce sera un lieu de rencontre, pour continuer à réfléchir avec d’autres, des chômeurs, des pré-pensionnés, des travailleurs, on n’est pas exclusif. » Et Moïse de conclure : « Peut-être que l’on fera une autre brochure, une émission radio, une affiche de 10 mètres sur 20, qui sait… »

Pour lire la brochure:
http://www.choming-out.collectifs.net/

Notes:

  1. Analyse du plan d’activation des chômeurs : http://c4.certaine-gaite.org/spip.php?article1547; le plan d’activation en chiffre : http://c4.certaine-gaite.org/spip.php?article1214

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