Il s’ensuit toute une palette de variantes sexuellement admises, qui correspondent au large éventail culturel. Cependant, à y regarder de plus près, ces nombreuses variantes relèvent plus du cosmétique que du contenu. On parle essentiellement de degrés différents de tolérance/intolérance aux pratiques sortant du droit chemin.
Sur le fond, on retrouve régulièrement les mêmes représentations sociales de la sexualité à travers de multiples cultures. Une approche dichotomique qui classe les actes sexuels entre normaux et déviants ; une approche androcentrée aussi dans laquelle l’homme est dominateur et actif tandis que la femme est dominée et passive. Notez que la sexualité normée est circoncise à la pénétration vaginale dans le cadre du mariage entre deux individus de sexes opposés. L’option sexuelle socialement proposée intervient également dans la hiérarchisation des genres, dont les statuts doivent être respectés jusque dans le coït . 1
Et pourtant, aujourd’hui, on dénombre tant et tant de communautés qu’une thèse ne suffirait pas à embrasser cette efflorescence de coutumes sexuelles. Encore moins cet article. C’est pourquoi nous nous limiterons à vous inviter à un voyage coquin en terres d’Islam.
Et d’abord, un voyage dans le temps. Jusqu’au 18ème siècle, l’Islam dégageait une tout autre image que celle de la pudibonderie. Les musulmans considéraient indifféremment le vagin et l’anus comme des orifices parfaits, moites et chauds, afin d’offrir une jouissance maximale au pénis ; peu importait d’ailleurs le sexe du partenaire. Quant aux juristes, ils se gardaient bien d’intervenir dans la vie sexuelle de leurs ouailles, tant que celle-ci restait confinée à la sphère privée. Á partir du 18ème siècle, les grands pôles de civilisation musulmane commencent à décliner et on voit le retour des mouvements religieux, tel le wahhabisme, qui prêchent les bonnes mœurs pour stopper la décadence, attribuée à la déliquescence de la morale. 2
Aujourd’hui, cette tendance s’est comme momifiée et enracinée dans le sol musulman et a produit une société strictement patriarcale, où la masculinité doit s’affirmer sur la féminité, où la sexualité des femmes est censurée et celle des homosexuels criminalisée.
Ce texte explore les tactiques mises en œuvre par ces deux groupes, les femmes et les homosexuels, pour réussir l’exploit de ne pas être rejetés par leur communauté tout en assouvissant leur sexualité.
Conjuguer plaisir et virginité
Notre première escale nous emmène à Dakar, où Anouka van Eerdewijk a étudié l’élaboration de la sexualité des jeunes filles non mariées. 3 La société sénégalaise produit un discours sexuel très androcentré, qui valorise fortement la virginité avant le mariage. C’est d’autant plus vrai pour les filles. Quant au mariage lui-même, il représente un jalon de première importance dans l’imaginaire collectif des jeunes ; car c’est à travers lui qu’ils accèdent au statut d’adulte indépendant.
Cependant, sur le terrain, les chiffres semblent indiquer que l’idéal d’abstinence avant le mariage n’est pas respecté par la majorité des garçons et une partie substantielle des filles. 4 Mieux. L’enquête d’Anouka van Eerdewijk révèle que les filles n’acceptent pas uniquement d’avoir des relations sexuelles pour satisfaire leur partenaire mais qu’elles sont aussi motivées par leurs propres désir et recherche de plaisir.
Comment ces jeunes filles arrivent-elles à vivre une sexualité réelle à la barbe de l’écrasant contrôle social sur le maintien de leur virginité ? D’
abord, il y a la création originale de notions très étroites de virginité et de sexe, réduites à la seule pénétration vaginale. Ainsi, une jeune femme « vierge » peut avoir eu une grande activité sexuelle allant des baisers et des caresses au sexe manuel, oral et anal. Tout est permis pourvu que la pénétration vaginale soit évitée. Ensuite, il y a le silence : au cours des nombreux entretiens conduits par Anouka van Eerdewijk, seule une fille sur vingt-cinq a reconnu avoir déjà eu des rapports sexuels, mais uniquement avec son futur époux qu’elle fréquente depuis deux ans.
Partons maintenant en Australie, où les communautés musulmanes ont développé des visions très conservatrices de la sexualité, en réaction à ce qui est ressenti comme le laxisme moral de l’Occident. Ces communautés imposent la chasteté à toutes les femmes célibataires, celles non encore mariées, mais également les divorcées et les veuves. Ce célibat chaste apporte le bonheur de suivre la bonne voie. Quitter cette voie reviendrait à relâcher le pouvoir potentiellement destructeur de la sexualité féminine et risquer d’être catégorisée de « salope » [traduction personnelle]. 5 Les femmes célibataires sont en fait doublement discriminées, car le célibat est traditionnellement abhorré en tant que mode de vie : Le plaisir sexuel est vu comme partie intégrante d’une vie adulte épanouie et saine [traduction personnelle]. 6 Suite aux mariages de plus en plus tardifs et à l’augmentation des divorces, un nombre croissant de femmes musulmanes se trouvent en porte-à-faux entre deux choix négativement connotés : le sexe en dehors du mariage et le célibat [traduction personnelle]. 7 La virginité des jeunes filles est jalousement surveillée par les familles, qui vont jusqu’à interdire les tampons et le sport pouvant déchirer l’hymen. Quant à l’image des femmes divorcées et veuves, c’est celle de volcans au bord de l’éruption libidineuse ; elles sont pressées de se remarier au plus vite, peu importe le parti ; qu’elles puissent refuser une offre est tout simplement absurde.
Homosexualité : le paradoxe yéménite
Étonnamment, au Yémen, l’homosexualité masculine est une pratique courante et acceptée. 8 Étant donné que la Sharia interdit les relations avec les femmes hors mariage, les jeunes hommes se rabattent sur le sexe avec d’autres hommes. En outre, cette coutume ne concerne pas que les jeunes non mariés. Il est de notoriété publique que la plupart des époux yéménites ont des amants. On pourrait donc en conclure, une fois encore, que les communautés musulmanes immigrées en Occident suivent des règles religieuses plus strictes que dans les pays d’origine, où l’identité musulmane et l’appartenance à la communauté sont des évidences qui ne se questionnent pas.
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L’Empire des sens Made In Japan
Les Japonais, au cours de l’histoire, n’ont jamais connu de tabous religieux à l’encontre du sexe, leurs dieux shintoïstes n’interdisant nullement le plaisir de la chair, et s’adonnant eux-mêmes à ces activités. Pays des estampes érotiques d’hier et de peintures contemporaines très osées, de L’Empire des Sens, et de romans pornographiques remontant au 10ème siècle, il offre une quantité de supports pour les fantasmes les plus variés. Pourtant, il présente également un visage moins réjoui lié au phénomène grandissant de couples déclarant ne plus faire l’amour. Rapide tour d’horizon du sexe nippon, révélateur de nos paradoxes contemporains.
Ce peuple qui pratique en toute innocence l’art du bain mixte dans les innombrables sources chaudes du pays a cependant adopté, depuis le XXème siècle, certains tabous judéo-chrétiens occidentaux. En dénotent les mangas
pornographiques où les corps nus sont devenus légion. Les nanas, aujourd’hui indépendantes financièrement, souvent habillées bien plus sexy qu’ici, assument, sans crainte d’être harcelées, leur pouvoir de séduction et leur indépendance. Au point que certains hommes en ont pris peur, et n’osant plus séduire les femmes dans le réel de peur de n’être à la hauteur, et se réfugient alors dans le sexe virtuel, souvent perverti : en concubinage avec poupée latex géante, lecteurs assidus de mangas porno SM, gay, manga SF avec pieuvre à tentacules en option, vol de petites culottes séchant au balcon,….
Dans ce pays des conventions, s’il est très rare de croiser en rue des couples se livrant publiquement au french kiss, vous en verrez par contre beaucoup s’engouffrer dans un des 27.000 « Love Hotels » de l’archipel, temples de luxure pour couples (et pas seulement les illégitimes !) qui, dans l’intimité, vont s’adonner au plaisir des sens, pour deux heures ou une nuit, dans une chambre simple ou totalement délirante (donjon, chambre Kitty, karaoke, bains géants,…). D’après un sondage fondé sur leur dires, les Nippons n’admettent en moyenne que 48 relations par an, contre 100 en Europe. On peut avancer qu’ils sont sûrement moins vantards et plus sincères, mais le déficit de communication en serait la cause principale, lié au peu de temps passé en amoureux et à la gêne à parler de leurs désirs, par timidité ou égard pour le mari exténué par le travail. Une chose est sûre, c’est un pays qui vit le paradoxe d’une société où l’évocation sexuelle est omniprésente et dans laquelle les relations entre hommes et femmes ne sont pas toujours aisées.
Notes:
- Bozon, Michel, Les significations sociales des actes sexuels, in Actes de la recherche en sciences sociales, 1999, vol. 128, n°1, sur www.persee.fr, p.3 ↩
- Un peu d’histoire: Islam et sodomie sont-ils incompatibles?, sur www.rue89.com, p.2 ↩
- van Eerdewijk, Anouka, Silence, pleasure and agency: sexuality of unmarried girls in Dakar, Senegal, in Contemporary Islam, avril 2009, vol. 3, n°1, sur www.springerlink.com/content/120570/ ↩
- Ibidem, pp. 15, 16 ↩
- Imtoual, Alia, Hussein, Shakira, Challenging the myth of the happy celibate: Muslim women negotiating contemporary relationship, in Contemporary Islam, avril 2009, vol. 3, n°1, sur www.springerlink.com/content/120570/, p. 25 ↩
- Ibidem, p. 27 ↩
- Idem ↩
- Giudicelli, Anne, Le Yémen, une sexualité sous contrôle, sur www.bakchich.info ↩