Sexe : mode d’emploi
Si la sexualité s’est libérée, elle a aussi engendré de nouvelles formes de tensions. Aujourd’hui, il existe indéniablement une injonction sociale majeure, celle d’être SEDUISANT, socialement, esthétiquement et sexuellement, sans quoi tu n’es rien, rentre vivre chez tes parents ! Comment gérer le diktat d’une société qui, au-delà de la revendication d’une liberté sexuelle récemment acquise, nous imposerait comme nouvelle norme, celle du devoir de jouissance? Jouissance par laquelle l’individu accèderait au bonheur, devenu LA grande obligation contemporaine… A en croire Cosmo ou Men’s Health, la séduction pour les hommes et les femmes passerait obligatoirement par la case «Expert(e) au lit- Génie de la fellation, du point G, de la queue toujours dure, du minou épilé et acrobatique», et j’en passe et des meilleures. Une sorte de guide mécanisé du « Comment bien baiser » -appuyez ici, sucez là-, incarnation déshumanisée de l’acte amoureux? Ce qui nous fait perdre de vue le principal, l’Autre, et prive le désir de sa puissance à force d’un individualisme exacerbé où l’Autre est devenu un objet masturbatoire. Ces magazines nous libèrent-ils de nos angoisses? Sont-ils reflet ou producteur de normes ? C’est toute la question de l’œuf ou la poule. « Notre lectrice revendique une sexualité épanouie, nous lui parlons donc sans tabou mais sans surenchère. La performance à tout prix, très peu pour nous » déclare la rédactrice en chef de « Marie-France » . Mais ce serait croire les yeux fermés aux boniments d’un vendeur d’espaces pubs que de ne pas remettre en question cette dynamique du « On ne fait que relayer la parole du lectorat »…
Petite revue de presse sur les nouvelles normes et les représentations actuelles du désir et du sexe.
Si les ancêtres de « Jeune et Jolie » parlaient pudiquement de la fidélité et de comment faire de bons plat à son mari, les lectures des « Biba » , « Flair » , « GQ » et co font apparaitre certains changements de conduite sexuelle, toutes en faveur d’une activité sexuelle prolongée et plus présente dans nos vies: l’activité sexuelle n’est plus l’apanage de l’individu marié (j’ai 17 ans et déjà 10 partenaires –successifs- au lit), la vie sexuelle débute bien plus tôt et se termine plus tard ( j’ai 63 ans et vit très bien ma sexualité grâce aux pilules bleues), les biographies sexuelles sont moins linéaires, en raison de l’augmentation de la mobilité conjugale (divorcé, 3 gosses, un peu bi et là je lorgne vers un séjour en Thaïlande),… Des changements qui entrainent un élargissement inouï des possibles – d’où l’existence d’une société qui pourrait sembler plus permissive. Mais, et c’est bien là tout le paradoxe de notre société, c’est qu’en parallèle à cette disparition de normes anciennes, il s’en crée de nouvelles, plus répressives, car moins visibles ou plus rigoureuses, telles que l’avancement de l’âge pour une première relation (au secours, j’ai 16 ans et toujours vierge !) ou la tyrannie du plaisir.
Une nouvelle sexualité apparaît, solitaire, incertaine et anxieuse, guidée par le regard et le discours des autres plutôt que par son propre désir… L’homme, et surtout la femme, vivent aujourd’hui dans l’insécurité du regard de l’autre, invités à se scruter sans cesse, à s’acheter les bons sex toys et les bons lubrifiants, à bander droit et longtemps, à s’épiler façon ticket de métro ou brésilienne, à encourager son partenaire à jouir 3 fois en une séance parce que c’est possible, à agir comme une salope- style poule de luxe porno- tout en payant bien cher sa séance d’exfoliation et en étant sage comme une image devant les beaux-parents… Faut-il voir, par exemple, dans l’avènement du sex toy présenté comme LE remède miracle pour les couples en perte de libido, l’émergence d’une conception décontractée, ludique de la sexualité ou la récupération de cette évolution par le commerce ?
La parole des experts sexologues, souvent convoquée dans
le discours magazine pour légitimer les propos, infléchit l’opposition du permis/interdit vers un clivage davantage axé sur le fonctionnement /dysfonctionnement organique sexuel.1 Les moralistes d’hier sont remplacés par ces hommes en blanc munis de médicaments, de mesures et de statistiques, qui définissent en commun la santé sexuelle. Ces dérives médicales et normatives induisent de nouveaux tabous : l’absence ou l’impossibilité du désir (frigidité, impuissance, couple no-sex,…). Si auparavant, c’est dans le sexe que résidait le tabou, c’est son absence aujourd’hui qui fait hurler aux loups…