Quotidiens européens

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Profils variés, histoires différentes, de la Tchéquie à l’Espagne, de la France à l’Italie…

« Je m’appelle Jan Dvorák, J’ai 40 ans. J’habite en République tchèque. J’ai suivi des études techniques supérieures. J’ai travaillé durant deux ans dans une usine de fabrication de pièces de voitures, mais je suis sans emploi depuis 4 mois. Je suis marié et j’ai deux enfants de 3 et 7 ans. Lorsque je travaillais, je gagnais environs 450€ par mois en alternant les pauses (matin, après-midi, nuit). Maintenant, j’ai reçu 300€ par mois, les 2 premiers mois, maintenant 225€ les 3 mois suivants. Après 5 mois sans emploi, je ne recevrai plus aucune allocation de chômage, mais une aide du CPAS local de 150€. »

« Mon nom est Cristina, j’ai 23 ans et je vis périodiquement dans un petit village de la région de Grenade, en Espagne, dans notre maison familiale. J’ai fait des études de photographie artistique. J’ai travaillé pendant huit ans par intermittence, mais je n’ai jamais réussi à avoir le nombre de jours de travail nécessaires sur l’année pour avoir droit à 3 mois de chômage indemnisé, car la plupart de mes boulots étaient en noir. Dans ma famille, mon père travaille aussi par intermittence, ainsi que ma mère et parfois mon frère. Ils survivent avec un peu plus de 1000 € pour mois. »

« Je m’appelle Julien et je vis en France sur un voilier, près de Toulon. J’ai 28 ans, je suis célibataire, et je totalise actuellement 11 mois de chômage, avec 1200 € d’alloc depuis décembre 2008. Et zéro à partir de fin octobre! J’ai eu le chômage belge jusqu’en juillet 2009, puis pendant trois mois quand je suis rentré en France. Visiblement, le transfert de droits entre pays européens est de trois mois, punto! »

« Je m’appelle katerina, j’ai 39 ans. Je suis d’origine polonaise, mais je vis en Italie depuis l’âge de 20 ans. JE n’ai pas fait d’études supérieures. Je suis arrivée en Italie un peu sur un coup de tête, pour rejoindre une amie, et puis, par la force des choses, j’y suis restée. J’ai un fils de 17 ans, qui vit avec ma mère en Pologne. Il vient me voir quand il peut, et moi pareil. Depuis mon arrivée en Italie, j’ai fait tout un tas de boulots. Souvent au noir. J’ai travaillé comme serveuse dans des bars, des pubs, des restos, j’ai travaillé sur les marchés, j’ai fait des ménages, j’ai gardé des enfants… Mais ce que j’ai fait le plus, et qui est devenu une sorte de “métier”, c’est m’occuper des personnes âgées à domicile. »

Grandeurs et misères d’un sous-statut

Jan :  « Cette situation est plutôt difficile. Et même si elle résulte de la crise économique mondiale. Je suis à la recherche de travail, mais les refus successifs me minent le moral. Il faut dire que tout projet devient irréalisable. Même pour le logement la situation n’est pas très facile avec 2 enfants. Il faut compter minimum 200€ de loyer mensuel pour un petit appartement. Nous sommes obligés de rogner sur toutes les dépenses (nourriture, vêtements, excursions, …) L’achat d’un véhicule ou d’un appartement est bien sûr hors de question. Personnellement, je sais que je fais tout mon possible afin de retrouver un emploi, mais malgré tout, je me sens un peu coupable envers ma famille, mes enfants, de ne pas pouvoir leur payer tout ce dont ils auraient envie, voire besoin. Si mon épouse ne travaillait pas, nous serions vraiment dans de sales draps. »

Cristina : « Moi, je suis très fatiguée des petits boulots en noir, mais je ne peux pas faire autre chose pour le moment… »

Julien : « C’est clairement un choix de vie depuis la fin de mon emploi comme salarié. J’aime la galère et la précarité pour entretenir ma haine du système! Sans culpabilité. L’envie m’est aussi venue très rapidement de vivre sans chômage pour ne plus avoir à faire face à l’administration. »

Katerina : « J’avais d’autres espoirs quand je me suis installée ici. A 39 ans, je vis comme une ado:
dans un petit appart’ minable, avec des murs en carton, une douche qui va une fois sur deux, et un système électrique qui date d’avant-guerre. Et je n’ai pas encore trop à me plaindre : j’ai eu régulièrement du boulot depuis 20 ans. Même en black, même sous-payés, c’était quand même une possibilité de vivre, de manger, de pouvoir de temps en temps sortir avec des amis. Depuis dix ans maintenant, je ne travaille plus que dans l’accompagnement à domicile des personnes âgées. J’ai pu faire des formations, et obtenir un ou deux contrats, ce qui m’a permis d’entrer dans le système du travail légal. C’est pas évident chez nous, pour les jeunes. On n’a pas de chômage, comme dans dans d’autres pays d’Europe. Alors on doit se débrouiller. A part les gosses de familles aisées, tous les jeunes font des petits boulots de merde pour s’en sortir, ici. En plus, les loyers sont excessivement élevés, alors soit on vit longtemps chez papa-maman, soit on partage un appart miteux avec des amis, à 600 euros par mois minimum.
»

Encadrement, pression, contrôle, et garde à vous !

Jan : « Durant les 5 premiers mois, je peux chercher du travail seul de mon côté, mais une fois cette période écoulée, le FOREM local peut me « proposer » un autre emploi qui ne répondra peut-être pas vraiment à mes qualifications et je serai obligé de l’accepter. Je dois me présenter une fois toutes les deux semaines au FOREM local et prouver mes efforts en vue de trouver un nouvel emploi (attestations d’entretiens d’embauches, résultats des recherches (sur Internet),…). En théorie, il existe des aides pratiques de l’Etat à travers des bases de données, mais cela concerne souvent les postes plus qualifiés ou plus spécifiques. Pour ces postes, la recherche personnelle est tout aussi efficace, bien que, dans mon cas, cela ne me soit pas très utile ».

Cristina : « En ce qui me concerne, les méthodes d’encadrement sont inexistantes ».

Julien : « Alors parlons-en de l’encadrement! La fusion des ASSEDIC et de l’ANPE en un pôle emploi a surtout été faite pour mieux contrôler les “demandeurs d’emploi”. L’octroi des allocations est beaucoup plus lié à la recherche d’emploi, et il est alors plus facile de radier les gens. Je me suis inscrit en France en juillet, et j’ai été radié 2 semaines plus tard, n’ayant pas passé un coup de téléphone pour déclarer ma situation alors que je n’étais même pas encore indemnisé à ce moment-là.! Comme changements, outre la rapidité du courrier de radiation, (qui montre à quel point une administration peut réagir rapidement pourvu que son orientation soit claire), il faut avouer que des progrès ont été faits dans la présentation… Le relooking des agences est très design, comme les brochures explicatives pour la recherche d’emploi, agrémentées de photos de demandeurs souriants. De nouveaux outils sont là pour nous accompagner tel le “carnet de bord”, qu’il faut remplir mois par mois avec les démarches que tu entreprends et les candidatures effectuées. On oscille donc entre un sentiment d’éducation populaire et un vrai foutage de gueule. Pour avoir été au chômage il y a plus de six ans, je sens vraiment une industrialisation de l’admnistration. Le pôle emploi est prêt pour le chômage de masse. Première étape : inscription par téléphone, internet ou par dossier. Ensuite rendez vous avec ton conseiller géré par informatique. Si tu as donc une question, une remarque, un désaccord, un papier à fournir,… tu fais la queue devant l’unique “personne de l’accueil” (les queues sont longues). Les toilettes sont fermées pour raison de “plan vigipirate, et si tu déconnes, on appelle immédiatement la police. Le premier rendez-vous avec ton conseiller est pour le moins surprenant. Tu arrives dans une petite salle avec d’autres demandeurs d’emplois et on te montre un petit film qui t’explique les droits et les devoirs du chômeur. Une charmante hôtesse t’explique le système et répond à tes questions. Dans la mesure de ses capacités bien sûr… Car celle- ci n’est pas une employée du pôle emploi, c’est
une formatrice d’un cabinet privé! On apprend ainsi avec ravissement que la gestion des chômeurs et de leur formation peut être déléguée au privé. La France ne s’est pas dotée encore de services de sécurité privé montant la garde entre la salle d’attente et les conseillers (comme au FOREM de Liège), mais si la France et la Belgique font un échange standard, je ne parierai pas sur “plus” de service public! »
.

Katerina : « J’ai des amis belges, qui viennent me voir assez souvent. On discute souvent du système social, du chômage, tout ça… Et souvent, on s’engueule! Eux, ils reçoivent des allocations de chômage depuis leur sortie des études, et dans la plupart des cas, même si c’est pas énorme, ça leur permet de survivre sans trop s’inquiéter. Pour nous, ici, ça paraît tellement inespéré! Il faut travailler longtemps, ici, pour avoir droit à des allocations, et comme je disais, l’entrée dans le travail légal, c’est vraiment pas simple, même pour les jeunes qui ont fait des études supérieures, et je ne parle même pas d’un boulot qui dure… J’ai des tas d’amies diplômées qui, à 30 ou 35 ans, vivent toujours de petits boulots et ont quasiment renoncé à trouver un vrai job. Du coup, quand mes amis belges se plaignent d’être “contrôlés” comme ils disent, ça me fait sourire… Pour moi, ça paraît un moindre mal… Quand je vois par quoi on doit passer pour gagner 200 ou 300 euros, alors qu’eux gagnent le double juste en rentrant une carte à la fin du mois…Dans l’absolu, je comprends leur discours, mais je ne peux pas m’empêcher de penser qu’ils sont un peu hors des réalités. Ils me disent qu’ici, on doit se débrouiller et faire des boulots de merde, mais qu’on est libres… Tu parles! Libres de se faire enc… par des patrons sans scrupule? Moi, pour plaisanter, je leur dis toujours qu’on devrait tous aller vivre au Luxembourg! Là, les allocations peuvent grimper jusqu’à 1500 euros après seulement une année de travail! En plus, eux, ils habitent juste à côté. Mais non, ils rêvent de venir vivre ici, parce que, selon eux, l’absence d’allocations de chômage développe de fait d’autres stratégies, de nouvelles solidarités aussi… C’est pas faux, c’est vrai que mes amis et moi, on s’entraide, et c’est le cas de la plupart des jeunes que je connais, mais bon, c’est pas non plus Byzance! Et quand mes amis belges se lamentent de devoir suivre des formations, je leur réponds que nous, on rêverait de pouvoir s’adresser à des services d’orientation et de formation. Moi, quand j’ai voulu suivre ma formation, j’ai dû payer! »

Quand précarité rime avec plan B et système D…

Jan : « Le FOREM nous permet de travailler de manière officielle pour un salaire mensuel pouvant atteindre 150 € sans sanctions financières. Même si, dans la famille, les contacts sont bons, chacun a bien besoin de l’argent qu’il gagne et donc n’a pas la possibilité d’aider le reste de la famille au risque de se retrouver lui-même en difficulté. Certains travaillent parfois aussi en noir pour subvenir à leurs besoin, mais ni les conditions de travail, ni les revenus ne sont satisfaisants au point de s’en contenter. En attendant, comme je le disais, on essaie de rogner sur les dépenses (magasins de vêtements de seconde main, produits démarqués, …) ».

Cristina : « Le plan B, c’est la récup, le vol. Quand je faisais mes études à Barcelone, je squattais. Aujourd’jui, j’habite chez des amis, et parfois je rentre chez mes parents… »

Julien : « La récup’ oui! J’ai le réflexe” poubelle”, surtout dans les poubelles du monde nautique. Je vis sur mon bateau, que j’ai acheté quand je travaillais. J’ai certes des plans B, mais j’ai aussi un train de vie en dehors de la consommation compulsive ».

Katerina : « J’ai à peu près tout fait, à part faire la manche. De la récup’ à la fin des marchés à l’achat de clopes à moitié prix venues d’on ne sait où en passant par les tournantes de fringues entre amies, les auberges espagnoles improvisées (parce qu’une a le pain mais pas le fromage, l’autre le
fromage et pas le pain, et le troisième le vin mais pas de bouffe), ou les spaghetti aglio e olio 5 jours sur 7…J’ai fait aussi des trucs moins légaux, comme bloquer des compteurs électriques, voler de la bouffe dans des supermarchés, ou vendre des faux sacs Vuitton sur le marché de Ventimiglia, mais je n’ai aucun regret ni scrupule : j’avais pas vraiment le choix, et puis, à force d’être exploités, on finit par accumuler des tonnes de révolte. J’ai d’ailleurs des amis qui vivent en squat, et je les soutiens à fond, même si moi, je pourrais pas vivre en collectivité. A certains moments, il faut savoir un tout petit peu détourner ou transgresser les lois pour survivre. Et puis, piquer de la bouffe dans un supermarché quand on a faim, c’est pas un délit, si?
»

Regards contrastés

Jan : « Comme je vous l’ai dit, même si je ne suis pas responsable de la perte de mon emploi, se retrouver dans une telle situation est toujours désagréable, tant envers la famille que face aux amis. De manière consciente ou inconsciente, il y a toujours un moment à partir duquel le regard des gens envers les personnes sans emploi se voile d’une teinte d’indifférence voire de reproche (paresse) … ».

Cristina : « Ici, le statut de chômeur, c’est un vrai statut! Le jour où quelqu’un arrive à l’avoir, on lui dit “Félicitations! »

Julien : « Il est de plus en plus facile de développer le concept de “Chômeur Heureux”, car il y a de plus en plus de chômeurs, et certains ne sombrent pas pour autant dans la dépression! Un réseau informel d’entraide et de partage se met alors en branle… ».

Katerina : « Je trouve que, en vingt ans, je m’en suis pas trop mal sortie. Surtout pour une immigrée polonaise ! Quand je vois certaines de mes amies italiennes, diplômées en plus, leur parcours est à peu près similaire, et encore, certaines n’ont même pas encore réussi à toucher une seule fois des allocations. La première fois que j’ai touché le chômage, c’était un peu comme un exploit. On a fêté ça, avec mes amies. Dignement. C’était un peu comme avoir atteint le Graal, ou un truc dans le genre. »

Projets d’avenir

Jan : « L’avenir sera, à mon avis, meilleur, et j’espère retrouver un travail dans les prochains mois ».

Cristina : « Moi, j’espère arriver un jour à avoir la securité associée au statut de chômeur indemnisé. Cela me donnerait 3 mois de répit et surout cela me permettrait de me consacrer pendant un certain un temps à mon vrai travail: la photographie ».

Julien : « Travailleur ou chômeur: ça me casse un peu les couilles cette dichotomie! Je me vois à court terme entrer au service d’une guerilla anticapitaliste, peu importe mon statut ».

Katerina : « Moi, j’ai mis 20 ans à entrer dans notre putain de sécurité sociale, et à pouvoir enfin bénéficier de minimes allocations. Mais le système d’ici fait que je ne compte pas du tout là-dessus pour m’en sortir. C’est juste un appoint. Quelque chose qui te permet, à un moment donné, de faire la transition entre deux boulots. J’espère tout de même améliorer un minimum mon niveau de vie, parce que vivre à 39 ans dans un trois pièces merdique où tu ne peux prendre une douche chaude qu’une fois sur deux en rentrant du boulot, c’est pas drôle. Je demande pas la lune, juste un minimum de confort. Aujourd’hui, ce qui me plaît, c’est de ne plus devoir dépendre de patrons dégueulasses, prêts à tout pour exploiter la misère. C’est une forme de liberté. Et quand je vois certaines de mes amies qui doivent continuer à bosser pour ces types-là, ça me rend vraiment triste. Triste, et en colère… Sinon, mes projets d’avenir? Emigrer au Luxembourg! Je plaisante, bien sûr, parce que ma vie, c’est ici. Et même si on me disait que j’allais gagner 1500 euros tout de suite en m’installant là-bas, je ne sais pas si j’irais, parce que mes amis, mon quotidien, mes galères, c’est mon histoire, chacun la sienne… »

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