Le plus ancien journal répertorié à Bruxelles date de 1649, lorsqu’est lancée la première gazette de Bruxelles, le Courrier véritable des Pays-Bas, qui paraîtra sous divers titres. Les censures tatillonnes successives, autrichienne, française et orangiste, retarderont l’essor d’une presse jusqu’à la Révolution de 1830 – laquelle débute par la mise à sac d’un journal orangiste, Le National, rue de la Madeleine. Bruxelles, ville à dominante libérale, devient après l’Indépendance le principal foyer des milieux de presse, qui joueront un rôle considérable dans la création d’une « opinion publique » nationale. Tirant parti d’une Constitution qui consacrait la liberté de presse, chaque camp, politique ou autre, cherche à disposer d’organes de presse en mesure de soutenir ses idées. Une presse satirique, impertinente va bien vite se développer dans la capitale du jeune Etat belge, en marge des « piliers » éditoriaux.
Impossible de recenser de manière exhaustive la presse de l’époque, tant les titres étaient souvent éphémères, nés du caprice d’un éditeur ou de la fantaisie d’un publiciste. Les progrès de l’instruction élargissent considérablement le lectorat potentiel. Vers 1870, on dénombre pas moins de 77 quotidiens (ils étaient 28 en 1840 et seront 110 en 1907) et 244 hebdomadaires, inégalement répartis entre les deux communautés linguistiques – les titres francophones sont largement majoritaires, même en Flandre. A Bruxelles, vers 1850, on compte quinze quotidiens, dont le tirage est certes modeste – L’Etoile belge est le premier à dépasser les 10.000 exemplaires. Avant la Première Guerre Mondiale et l’émergence d’une presse quotidienne massifiée, les titres flamands sont plutôt marginaux. Le premier quotidien belge en flamand, le Vlaemsch België, naît à Bruxelles en 1844, à l’instigation du poète Hendrik Conscience, l’« homme qui a appris à lire à son peuple ». Dans les années 1870, Julius Hoste, futur fondateur de Het Laatste Nieuws, lance l’hebdomadaire De Zweep (Le Fouet), qui devient l’organe du flamingantisme libéral bruxellois. Des revues patoisantes ont également existé, qui ne se prennent pas forcément au sérieux. En 1887 paraît La Grande Jatte de Café, en brusseleir, dont le secrétaire de rédaction, Eustache Vanplottlabonn, prévient ainsi les candidats rédacteurs : « Les manuscrits non insérés seront waterclosés ». Le Kip Kap avait pour devise « Tout pour la zwanze et par la zwanze et rien sans la zwanze ». Il est « half en half » : un article flamand s’y mêle au français, cas à peu près unique dans cette ville pourtant bilingue.
Bruxelles, un village gaulois
L’émigration française joua un rôle de premier plan. Des « publicistes » exilés vont être à l’origine de nouvelles feuilles – quand ce n’est pas la totalité de la rédaction d’un titre parisien qui se voit forcé d’émigrer dans notre capitale, comme c’est le cas du Gaulois. Les proscrits du second Empire y croiseront les agents secrets de Napoléon III, puis les rédacteurs bonapartistes chassés de France en septembre 1870, tout un peuple de réfractaires, de roussins de tout poil, de financiers véreux et d’utopistes fumeux, de folliculaires à la traîne, mais aussi d’authentiques hommes de plume, capables d’engager le combat contre l’ordre établi et de tailler des croupières à tous les censeurs. Ces exilés ne sont pas forcément francophones. Réfugié dans la capitale brabançonne en 1848, Karl Marx polémique dans les colonnes du Deutsche Brüsseler Zeitung – à ne pas confondre avec le Brüsseler Zeitung, quotidien de langue allemande publié par l’occupant à Bruxelles pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Ce joyeux foisonnement ne va pas durer. La presse belge va s’adapter aux usages en cours dans les pays voisins, moins libéraux en la matière. D’abord sous le fouet de modifications législatives, comme la « loi Tesch », en 1858, qui réprime les attaques contre les chefs d’état étrangers. Ensuite, à
la faveur d’une réflexion interne. Emile Rossel, l’un des fondateurs du Soir, est un des premiers à Bruxelles à avoir compris que pour trouver un large public, un journal devait éviter de se présenter comme l’organe d’un parti ou d’un groupe. L’objectivité d’une feuille qui « entend ne jamais blesser ni heurter l’opinion de personne » devient une valeur commerciale. Ce sera le credo d’un secteur qui va se « professionnaliser » et se spécialiser. Malgré tout, l’esprit de la zwanze ne disparaît pas complètement, il renaît épisodiquement, parfois dans des circonstances qui prêtent pourtant peu à rire. Ainsi, en 1944, le magazine L’Optimiste cherche à amuser le public bruxellois soumis au régime de guerre. Le Nouveau journal, quotidien collaborateur, suscita des sentiments plus violents, puisque son directeur, Paul Colin, également à la tête de l’hebdo de droite Cassandre, fut abattu par un jeune étudiant résistant bruxellois, Arnaud Fraiteur, dont plusieurs toponymes gardent encore le souvenir.
Si la Libération balaya fort heureusement cette littérature nauséabonde, son esprit n’en disparut pas pour autant, comme les feuilles auxquelles est associé le nom de Rudy Bogaerts (Jaco, Père Ubu) en témoignent et qui nous rappellent que la veine impertinente peut être d’extrême-droite. Leur fonds de commerce est la rancœur qu’inspire à ses rédacteurs une ville qui s’internationalise, se métisse, se « cosmopolitise », et où les communautés immigrées s’organisent et publient elles aussi des journaux. Pour la communauté turque de Bruxelles, par exemple, cela va des premiers stencils artisanaux d’Info-Türk au blog Humeur allochtone du journaliste indépendant Mehmet Koksal. Depuis 1962, The Bulletin est le premier magazine hebdomadaire des « expats » anglophones de Bruxelles. Un concept appelé à se développer. En 2007 est lancé le luxueux Juliette et Victor, magazine sur papier glacé des Français de Belgique, dont la composition sociologique a un peu évolué depuis le Second Empire : aux roulottes de réfugiés politiques dépenaillés d’hier ont succédé les trains de SDF (Sans difficultés financières) échoués dans le quartier Tenbosch.