Les « zurbains »

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En plein cœur du quartier Saint-Léonard, sur la place Vivegnis plus précisément, se situe un terrain… jusque là rien de bien passionnant. Sauf que ce dernier était jusqu’il y a peu un terrain à vendre, et qu’il a été acheté, non par une personne, ni par une société, mais par un collectif de 28 familles.

« Avec une bande d’amis, explique Philippe Mercenier, membre du groupe « les zurbains », nous voulions trouver un logement à un prix démocratique dans le quartier Nord. Pour la plupart d’entre nous, il s’agit de notre lieu d’origine et nous y sommes fort attachés. En 2006, un agent immobilier nous a proposé le terrain de la place Vivegnis, en précisant qu’un autre groupe était également intéressé par cet achat ».

Les deux groupes se sont alors rassemblés pour acheter ce terrain de 8500 m2. Ils étaient 14 familles au départ, ils sont maintenant 28, soit une soixantaine d’habitants au total. Ensemble, ils ont donc pour but de bâtir un logement collectif. Ils forment une sorte de mosaïque humaine où se côtoient des personnes âgées (la plus âgée a plus de 80 ans), des familles nombreuses, des couples sans enfant, des personnes d’origines centre-africaine, asiatique, des gens à gros et petits revenus… Ils ont d’ailleurs constitué leur propre ASBL au sein de laquelle chaque membre est appelé « zurbain ».

Deux choses les rassemblent au départ : l’envie de s’unir contre la vie chère, et celle de s’intégrer dans un quartier qu’ils estiment en plein redéploiement. « Attention, il ne s’agit en aucun cas d’une secte, tonne Philippe Mercenier, chacun aura son chez-soi bien défini ! ».

Un projet pour tout le quartier

Le projet recouvre en effet quatre maisons avec jardin, dix duplex, un loft et treize appartements. Il prévoit également un grand parking, un énorme jardin au centre de toutes les habitations, et des espaces pour placer les vélos. « C’est un autre objectif central de notre conception, continue notre interlocuteur. « Nous prévoyons de favoriser un système écologique, notamment en utilisant des moyens de locomotion propres autant que faire se peut. »

Cela sera également le cas pour ce qui est du chauffage, puisque les habitants ont voulu concevoir des maisons qui soient les plus isolées possible pour économiser l’énergie. Ils prévoient en outre de se chauffer, au moins partiellement, avec des chaudières au pelé.

Les habitants pensent d’ailleurs proposer aux habitants du quartier de grouper leurs commandes en pelé afin d’en faire diminuer le prix. « Ce projet de vie », poursuit Philippe Mercenier, « ne se limite pas à ceux qui vivront dans le logement, il tend à englober tout un quartier. Nous pensons, par exemple, proposer la location des espaces vélos aux habitants du quartier. Ce prix serait le même que celui que nous-mêmes, propriétaires, payerons. Ce prix reste bien sûr à déterminer, mais il ne devrait pas dépasser deux euros par mois ».

Le but parait donc clair : trouver, en se rassemblant, une solution à la crise. Grâce à cette mise en collectivité, les membres des « zurbains » ont donc pu s’acheter un terrain qu’ils n’auraient jamais pu s’offrir seuls à ce prix. Ils ont également pu bénéficier d’un taux d’intérêt peu élevé pour leur prêt à la banque, puisque celui-ci n’est (grâce à un jeu sur la concurrence entre trois grandes banques) que de 4%. Ils sont tous sur le même pied d’égalité, et ce quel que soit leur revenu, chacun répondant de son crédit propre. Ajoutons que la Région wallonne subsidiera certains aménagements publics.

Ils sont actuellement en train de mettre en concurrence des entrepreneurs, mais cela ne se fait pas sans difficultés puisque chaque habitat sera différent. Un seul dénominateur commun relie les habitations : les structures en bois. Pour le reste, chacun a la liberté de faire construire comme il le souhaite sa résidence. « Personnellement », ironise Philippe Mercenier, « je pense même faire tagger ma façade, c’est ça aussi le
quartier Nord
 ».

« Aucunement un ‘Melrose Place’ »

Dans l’édition du journal Le Soir du 12 octobre, un article est consacré aux lotissements de luxe « à la Melrose Place ». Cet article décrit plusieurs sites qui sont basés sur le même principe d’un achat collectif d’une propriété, et de la construction sur ce site de logements.

Toutefois, la comparaison s’arrête là. Les membres le martèlent, « il ne s’agit en aucun cas d’un projet de friqués » ! La plupart des participants sont d’ailleurs de petits salariés. Certes, il s’agit d’un habitat collectif, mais ce n’est certainement pas le luxe qui les caractérise.

Les prix du mètre carré vont par exemple du simple au double lorsque l’on compare les 1000 euros/m? payés par les « zurbains », et les montants allant jusqu’à 2000 euros/m2 mentionnés par Le Soir pour les habitations de Loncin.

De la même manière, il n’est aucunement question de caméras ou d’autres dispositifs de surveillance. Cela n’aurait d’ailleurs aucun sens puisque le but est d’être ouvert au maximum au quartier. La cour intérieure des logements continuera d’ailleurs à être accessible pour les fêtes du quartier, comme c’était le cas auparavant. « Certes il y aura des barrières, mais celles ci devraient rester le plus souvent ouvertes » explique Philippe Mercenier.

On se refusera donc à parler dans leur cas de «modèle d’anti-mixité sociale ». Bien au contraire, les membres de l’ASBL se veulent le plus distants possible par rapport à ce mode de vie de plus en plus répandu, comme l’explique Laurence Wauters dans son article, en prenant comme exemple le développement de ce genre d’habitation luxueuse dans le quartier du Laveu. Ils tiennent à ce qu’on les différencie de ceux-ci, insistant sur le fait qu’il existe des habitats collectifs qui ont une autre fonction que celle d’apartheid économique.

Et le moins que l’on puisse dire est que le projet séduit, comme en témoigne le fait que, il y a quelques semaines, alors qu’un des participants abandonnait le projet, plusieurs personnes se sont manifestées pour reprendre la place laissée vacante.

Perception du quartier

L’entente avec les gens du quartier semble d’ailleurs être perçue comme très positive par les organisateurs, puisque, lorsque ces derniers ont présenté le projet sur le terrain, de nombreux futurs voisins sont venus discuter du projet.

Du coté de ces futurs voisins, la vision est plutôt partagée. En effet un habitant du quartier depuis 40 ans craint par exemple que les « nouveaux » ne se fassent pas à ce quartier. « Ils ne s’intégreront pas en construisant sur un site entre eux ; ils se démarquent et risquent donc de former un groupe isolé dans le quartier ».

A coté de ça, une femme d’une quarantaine d’années résidant dans le quartier depuis plus de vingt ans se réjouit de la venue de ces nouveaux voisins. Elle souligne le fait que ces gens sont « dans la mouvance de la ville et qu’ils en sont partiellement originaires ». Elle ajoute d’ailleurs que « de toute manière, le site avait auparavant toujours été fermé aux habitants du quartier ». Et de conclure en soulignant que l’essentiel est « qu’ils aient un projet précis, et surtout respectent le site ».

Quoi qu’il en soit, ce projet d’un coût total de trois millions d’euros approximativement, commencera à être construit d’ici deux à trois mois et devrait s’achever dans environ deux ans.

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