Un palmier au bord de l’eau, qu’est-ce qu’on est bien, tout est beau
L’histoire commence comme ça: sous les tropiques dans un bar de plage. Des vieux gars jouent à la pétanque et le rhum antillais suit son chemin tranquille… des verres aux gosiers. Les yeux se ferment, mais les oreilles, elles, restent aux aguets. Et parviennent aux portugaises ensablées la voix d’une femme «d’un certain âge » attablée à côté avec un couple de touristes fraîchement débarqués. Elle vante les mérites de l’île départementale, et surtout celle de ses jeunes garcons, ces Noirs plantureux avec qui elle aime s’étourdir, à Paris déjà, dans les thés dansant du dimanche et ici, sur les flancs du volcan. Car la dame qui sent la bourgeoisie sur le retour aime venir se faire rafraîchir la moule sans capote avec des jeunes antillais au RMI.
C’est qu’elle aime les Noirs, la dame en goguette. Elle les aime bien clichés, jeunes, fringants et à son service. Les frères de ses esclaves tropicaux, qui tiennent les murs dans les métropoles européennes, elle évite de trop les croiser. Le Noir fringant devenu migrant perd de son attrait. Et le Noir sexuellement puissant se fait menaçant quand il est jeune, en jogging et casquette et qu’il vient des quartiers de relégation sociale. Ce lumpen proletariat, de ceux qui chahutent et écoutent des mp3 à fond sur leur télephone portable, elle s’en méfie une fois rentrée.
Has been le “Routard”, aux chiottes à vélo bobo le “Lonely Planet”. Le guide qu’il vous faut, c’est le “Travel and the Single Man – Guide to foreign naughty women” (Le voyage et l’homme célibataire… guide vers les garces exotiques) par Bruce Cassier. Le seul guide au monde pour le mâle aventureux, celui qui est prêt à se rendre dans les villes les plus chaudes où les femmes se chassent dans la rue. Tout sur les recoins à femmes les plus fabuleux, et à petits prix.
Melissa, métisse d’Ibiza, vit toujours dévêtue
Dans les Caraïbes, le tourisme sexuel s’inscrit dans la continuité de l’exploitation coloniale, de l’exploitation sexuelle sur les plantations. C’est une sorte de longue histoire à facettes multiples. Ce que les touristes femmes viennent chercher, d’autres femmes européennes blanches sont venues le chercher avant elles, délaissées par leur maris planteurs qui préféraient tâter de la négresse. L’esclave, travailleur, était aussi choisi, comme dans tout cheptel, pour ses capacités d’étalon, de reproducteur potentiel, afin de rentabiliser l’investissement. L’esclave femme, elle, quand elle ne portait pas le fruit des accouplements forcés avec ses compagnons d’infortune ou un quelconque maître ou employé salace, servait de nourrice aux enfants de la maisonnée pour leurs tétées, portant le fardeau de tous les clichés sexuels de soumission et de lascivité qui dessert encore aujourd’hui les femmes tropicales.
Toute la mythologie de la licence noire, de l’intrinsèque volupté sans limite des gens de couleur, de ces corps sans âme, ces démons dominés par leurs instincts, remonte à cette époque du code noir et semble indécrottable aujourd’hui, réinvestie par le tourisme sexuel et matrimonial.
Argument pour une justification dichotomique: nature /civilisation, corps /esprit, sud /nord, vacances /travail, soleil /pluie, pauvres /riches etc. (d’après Jacqueline Sánchez Taylor).
Dans les années soixante, des auteurs comme Chester Himes ont dressé un portrait au vitriol des relations sexuelles ou amoureuses femme blanche/homme noir – femme noire/ homme blanc. Depuis, la fascination et la naturalisation de clichés exotiques d’un côté et la réappropriation par les Afro-Caraïbéens de ces attributs pour les transformer en quasi fierté, montrent une evolution, certes, mais pas franchement une révolution dans les mentalités. Le couple mixte Afro-européen traîne derrière lui des boulets dont il est difficile de briser les chaînes.
La jeune congolaise paumée et le vieux grisonnant friqué, la passionnée d’Afrique, amie des Noirs, qui les trouve si beaux, le jeune
marié coopérant et son épouse Burkinabé, les rencontres facebook, les coups d’un soir et les histoires d’amour, les arrangements qui vont à tout le monde et les mariages pas si blancs… évoluent tous sous les regards désapprobateurs. A tort, à raison, les deux en même temps.
Le monde, mon lupanar
Acoudé au bar, le garcon se vante de ses conquêtes cubaines, de ces filles lascives et si gentiles, qui ont fini, tu te rends compte, par lui tirer son portefeuille. La fanfaronade dure limite, et le barman, las du Don Juan de comptoir, s’énerve et dégage M.Viagra des plages. Marre de voir l’autre faire le malin sur ses deux mois de frivolité, alors que lui, qui astique les verres toute l’année, sait que c’est à peine si ici, le reste du temps, le fâcheux ose regarder les femmes qui viennent tous les week-end se trémousser dans ce bar très fréquenté.
Le tourisme sexuel hétéro masculin s’incrit dans une imbrication des rapports de pouvoir : domination financière, coloniale, sexuelle, raciale. Le paroxisme de la violence de genre, quoi qu’on pense du sex work à l’occidentale et de ses discours de mise à l’agenda politique, de défense et de structuration.
Le sexe tarifé dans un contexte de misère immense, quelle que soit la justification foireuse qu’on lui trouve, est un rapport sous domination décomplexé de toute notion de réalité. Le dépaysement, les vacances: pour se détendre le gland, y’a plus de limites, quelle que soit la disymétrie des conditions de l’échange.
« Remarquons au passage que dans le tourisme sexuel, on trouve les trois composantes classiques de la domination : la dimension économique, la dimension sexuelle et la dimension « raciale » (par le biais de la domination Nord/Sud notamment ). On y trouve également la mise en place d’un « marché » où se rencontrent : misère affective et sexuelle au Nord et misère économique au Sud et à l’Est, dont au Nord on aime à taire l’existence, «occidentalisme » oblige. On y trouve enfin tous les dégâts collatéraux occasionnés par les imaginaires, les modèles culturels promus par le monde occidental (narcissisme, jeunisme, culte du corps, hypersexualisation, marchandisation généralisée…), dégâts qui ont, eux, une ampleur universelle et sur lesquels on aime aussi à faire silence. » Le Bougnoulosophe, Les Indigènes du Royaume, 11 octobre 2009
Cire mes chaussures, suce ma bite
Pour l’hétéro occidental, dans le sexe exotique, il retrouve la place qui lui est disputée si âprement par les femmes, et même, par les immigrés. Ici, aucune revendication d’égalité. Le tourisme sexuel, c’est l’ordre juste retrouvé. Chacun est à sa place: les meufs lui sucent la bite et les niaquoués, bicots et autres bamboulas qui lavent ses draps, rampent pour le servir avec le sourire et lui torchent le cul.
LGBTcul Wesh Wesh
M. Clone à houpette, lui, vient de rentrer de Marrakech, où il a pu goûter de la bite marocaine, et se plaint que les Maroxellois soient si homophobes et agressifs à son égard, alors que leurs cousins livrent leurs tendresses, tarifées ou non, dans la Medina.
Les gays sucent les bites des tangerois et inversement (pensez Brurroughs, Bowles etc…) depuis des lustres. Frédéric Mitterand va noyer son incapacité à assumer sa sexualité dans les bras de “jeunes boxeurs thaïlandais”, pendant qu’on pouffe évidemment, pendant que les politiques et les media s’agitent comme des hydres moralisateurs. D’autres se demandent (voir «Le chapitre 11» par Didier Lestrade – http://didierlestrade.blogspot.com/2009/10/le-chapitre-11.html) pourquoi les media LGTB n’en profitent pas pour monter au créneau et dénoncer la socialisation sexuelle souvent sordide, à la sauvette, à laquelle contraint toujours l’homophobie rampante.
Car c’est la misère sociale affective, la haine de soi et l’homophobie qui mènent au sexe tarifé dans son modèle le plus sordide qui accompagne sans plus de gêne et de protestation que ça la socialisation pédé, dans nos rues européennes. Ce sont des migrants pédés ou hétéros qui tapinent à Annessens, des trans
brésiliens gare du Nord, sans qu’on voie vraiment qui profite de l’affaire. Ni Popol qui se fait sucer à côté du siege bébé avant de rentrer voir bobonne, ni le sans-papier tapin n’offrent un tableau réjouissant.
Pendant ce temps, le wesh wesh est devenu un genre de porno homosexuel, où l’érotisme du garçon terrible est à la hauteur de l’ostracisme que subissent les noirs et les gays dans le milieu homo. Bons pour la baise, mais ça s’arrête là. Pendant ce temps, l’homophobie en occident a un visage forcément noir ou musulman si l’on en croit les media specialisés. Et des entraîneurs de foot leur donnent raison.
« Les migrants sont assignés, selon Nacira Guenif, à une sexualité d’ indigènes, non civilisée, voire bestiale. Ce sont “forcément” des hétérosexuels violents, même pas à même de définir eux-même leur sexualité. » Le pire, c’est que dans un renversement malheureux de stigmates, les “indigènes” en viennent à se comporter comme ce que l’on attend d’eux. Les hommes maghrébarabes sont les diables à queue bleue, sans statut social, qui tiennent les murs et ne sont pas si désirables que ça, dans un cadre relationnel “normal”. Ils sont des violeurs collectifs en puissance dont l’ombre menace les femmes occidentales.