Un mystérieux lecteur m’a écrit une curieuse bafouille à la suite de ma précédente chronique dans laquelle je rendais compte de la Petite histoire de la masturbation de Pierre HUMBERT & Jérôme PALAZZOLO (chez Odile Jacob). Sa missive, datée du 14 juillet 2005 (sic) et signée C. F. T. émane de Catalanishe Flub Taube (en villégiature), Rivage des Syrtes, Baie de l’Astrolabe – Mer de Bismarck – New Guinea Papoua (re-sic). « Cher M. le Professeur, J’ai été étonné par vos réflexions sur la masturbation car vous n’abordez pas un phénomène bien plus terrible et sidérant que l’imbécillité du Dr. Broca et les dégâts que peuvent faire les réactions de ce genre de crétins hypocrites (car ils se sont sans doute branlés eux aussi) sur véritablement l’âme d’un enfant (car quand on s’en prend aussi méchamment à la plus secrète profondeur intime, soit la liberté, de quelqu’un, on peut parler d’une âme), mais il se passe dans ce monde actuel quelque chose de bien plus effrayant : la circoncision. Vous qui savez assez de choses n’êtes pas sans savoir qu’en 2009 (et c’est sans doute vrai pour bien des années encore) 92% des Égyptiennes sont excisées. Mais savez-vous à quoi sert la circoncision ? À empêcher la masturbation et à s’emparer de l’âme d’un enfant à jamais. C’est un très ancien rituel, bien antérieur à Abraham, il a été seulement copié et adapté par les Sémites, car c’est un procédé très efficace d’assujettissement à une société et à une religion et à une obéissance et ainsi de suite. Je n’ai pourtant pas l’intention de vous instruire. Informez-vous, par exemple, en captant le site du juriste Samy Aldeeb, vous apprendrez un minimum sur la circoncision. Le sacrifice d’Abraham était un projet démographique (mais à cette époque nous n’étions pas sept milliards). J’ai donc été étonné que vous n’abordiez pas cette partie cachée de l’iceberg de la méchanceté du Troisième Chimpanzé. Bien sûr vous n’êtes pas le TITANIC. De deux choses l’une, ou bien vous n’osez pas, ou bien vous aimez mieux pas. Alors à quoi ça sert d’imprimer ? » Mais, cher lecteur, si je n’abordai ni la circoncision ni l’excision (ce qui n’est pas du tout la même chose) c’est parce qu’il n’en est nulle part question dans le livre dont je parlais. Si vous désirez à peu près tout savoir sur la circoncision, procurez-vous donc Décoration et Mutilation (étuis péniens, infibulation, circoncision et castration chez l’homme), de Johan J. MATTELAER (Le Livre Timperman – Bruxelles). J’ai longuement commenté ce remarquable ouvrage dans C4 au moment de sa parution. Par ailleurs, tapez le mot « excision » pour une recherche Google et vous aurez de quoi lire pour un mois. 150 millions de femmes de par le monde en sont victimes et 3 millions de fillettes supplémentaires les rejoignent chaque année. Le Dr. Henriette Kouyate Carvalho d’Alvarengo milite, à Dakar et au Mali, depuis de longues années pour l’intégrité physique des femmes. Et, tant que vous y êtes, documentez-vous donc sur une autre mutilation dont on parle beaucoup moins et qui est pratiquée chez les femmes mariées dans certaines ethnies : « le balayage de la cavité vaginale ». Il s’agit de taillader avec des lames de rasoir ou des instruments tranchants l’intérieur du vagin pendant l’absence du mari. Ainsi les lésions se cicatrisant plus ou moins bien rendent le vagin moins large et, lors de futures relations sexuelles, l’époux aura l’illusion que son épouse lui est restée fidèle, d’une part parce qu’elle est étroite, d’autre part vu qu’elle réagit pendant les rapports (alors que c’est parce qu’elle a mal)… C’est en espérant vous avoir rassuré sur mon audace, que je vous prie de me permettre, cher Monsieur, de passer prestement à d’autres choses.
En effet, l’été 2009 nous réservait un pur chef-d’œuvre ! Depuis le Cul de ma femme mariée, paru il y a quelques années, on attendait impatiemment un nouvel ovni de DIDIER DE LANNOY. Eh bien, le
voici : Jodi, toute la nuit, publié par Couleur livres, Collection « je » (4, rue Lebeau, 6000 Charleroi). En quatrième de couverture, Gauthier de Villers nous met l’eau à la bouche : C’est un livre sur la liberté des opprimés et des hors de compte, leur liberté par le geste et la parole, dans l’amour, la haine, la révolte, la violence. Et c’est un livre sur la liberté de l’écriture, qui met la littérature hors de ses gonds, mais prend le lecteur dans ses rêts. Que celui qui trouve ailleurs ce style, ce ton, cet univers… le signale à l’éditeur. Peu de chance que ça arrive, car l’ami DDL malmène (pour notre plus grand bonheur) la langue comme personne. Son préfacier, In Koli Jean Bofane, nous prévient : « Les psychologues, philologues et autres philosophes courront le risque de se casser les dents à l’analyse de Jodi, toute la nuit. Les chirurgiens des nerfs, le médecin légiste, les spécialistes en urologie, eux, auront du mal à discerner le rôle exact tenu par les hémisphères du cerveau, par les ventricules du cœur ou les spermatophores dans l’élaboration de cette narration. » Quant à l’auteur lui-même, il annonce la couleur en exergue du chapitre premier : Ceci est l’histoire de Jodi. Thriller politico-érotique étatsunien, virtuel et mystique ? Pulp magazine en noir et blanc, snuff-movie ou BD japonaise ? Avec quelques noms-clefs. Pour surfer. Sur fond de bière et de whisky, de blues et de sundama, de hip-hop et de house, de crack et d’ecstasy, de trash music et de gangsta rap. Entre tout et rien, amour et perversité, clip et farce, puzzle et jeu de piste, manifeste et mascarade, cuistrerie et piraterie, collage et façadisme, branlette et muflerie, érotisme juvénile et délinquance sénile, stéréotypes et chausse-trapes, enchaînements funestes et contradictions grossières, aphasie et logorrhée, chewing-gum et pied de nez, lieux communs et faux-semblants, outrance belge et brosse à dent chinoise, désuétude et prémonition, conte noir et roman de fées, parodie et tragédie, cartoon et wildlive, strip-tease amateur et apparition mariale. Ces aventures sont censées se passer à New York City, United States of America mais pourraient aussi bien être arrivées ailleurs. Disons, pour faire simple, que l’ambiance délétère de la mégalopole en question est plutôt celle de Gotham City qu’aucun Batman ne sillonnerait pour la nettoyer. C’est le récit de quelques heures de la nuit de deux personnes (Jodi, serveuse de bar et Elridge, chanteur de blues) qui ne se connaissent pas vraiment même si elles bossent ensemble, quelques nuits par semaine, dans le même rade. Autour d’eux, gravite toute une faune interlope de paumés, de clodos, de tapineuses boucanées, de flics-nervis, d’alcoolos ou junkies, de glandeurs ou fourgueurs, car il existe un « sud » dans tous les pays du monde et, à l’intérieur de chaque ville, il y a toujours des gens qui habitent « de l’autre côté du rail », de l’autoroute ou de l’aéroport… dans les mauvais quartiers (alors que « le capitalisme en crise s’éploie sur tous les continents comme une pieuvre affamée, avide de sucer et de gober les ultimes moelles et les humeurs extrêmes »). Le chapitre 5 (opinion d’un PDG) serait à faire analyser dans tous les établissements d’enseignement. Plus loin, le monologue de l’héroïne, racontant sa putain de vie à Manya (alias Man), le voyageur (celui qui vient de quelque part ailleurs), l’en-cas de Jodi pour une nuit seulement, puis sa description de ce que pourrait être le bonheur pourraient bien vous secouer de larmes. Il y a du Céline et du Joyce chez Didier de Lannoy, qui nous balance ici dans les gencives un bouquin qu’on n’est pas prêt d’oublier et qu’on a d’ailleurs envie de relire tout de suite une fois digéré le choc de l’anti happy-end.
Chez le même éditeur, dans la collection des « récits de vie », ayez donc aussi la curiosité de vous plonger dans l’École à brûler de DANIEL SIMON. L’auteur, un professeur (mais qui forme aussi des enseignants et fait du théâtre dans les écoles), se glissant
dans la peau d’un enfant rebelle, tente de déceler les raisons de la colère d’une génération. « Aujourd’hui, des jeunes, souvent des enfants, mettent le feu aux écoles, aux crèches, aux centres de jeunesse et de culture. Ils brûlent et saccagent ce qui devrait les accueillir et les accompagner vers l’émancipation sociale si ce n’est le bonheur… » Pourquoi ils veulent que j’aille me faire tuer le temps là-dedans ? Pourquoi ils disent que c’est pour mon bien alors que je le vois pas venir ? Pourquoi ils disent que le monde est t fichu, que la terre elle tremble toute dans la chaleur et qu’elle va tomber bientôt dans l’trou et qu’ils veulent que j’apprenne des trucs que je comprends même pas à quoi ça sert ? Pourquoi ils racontent des choses sans y croire eux-mêmes et que ça se voit et que je le sais et mes copains aussi. Et que c’est nul de perdre son temps comme ça dans des écoles où on a même rien, à y faire, même rien à y trouver ! Ils disent des choses, toujours des choses et les choses ne vont pas et elles sont chères et elles me passent sous le nez. La nuit, c’est facile, elles sont toujours vides la nuit les écoles, elles sont si pauvres, y a presque plus rien qui tient, alors on pousse une porte, une fenêtre et ça y est, on est dedans, seuls et on va leur montrer, y aura pas photo, font assez chier, ça va être leur tour, à quoi ça sert des écoles comme ça ? À quoi ça sert des écoles où on apprend pas ce qui faut apprendre pour vivre comme on veut, sans toujours leurs mots que je comprends même pas et ils s’en rendent même plus compte, ils parlent seuls et on les comprend pas, ils parlent et ils partent le soir et nous on dit rien et on revient le soir, pour leur dire ce qu’on en pense de leur n’importe quoi. Font chier. C’est pas compliqué, font chier. Et puis, tant que vous y êtes, le même auteur nous offre aussi (toujours chez Couleur livres) un petit bouquin plutôt agréable à propos des bibliothèques, des lecteurs, des livres et des ateliers d’écriture, Je vous écoute (phrase-sésame que les bibliothécaires adressent aux lecteurs).
Ce que je me suis farci d’autre cet été sur les plages (je rigole) ? Le tome IX des Œuvres de RAYMOND ROUSSEL (Pauvert), présentant, outre la réédition des Pages choisies des Impressions d’Afrique et de Locus Solus, deux inédits l’Allée aux lucioles et Flio. Puis le Testament de Céline, de PAUL YONNET (éditions de Fallois, 22, rue La Boétie, 75008 Paris), où le génie littéraire de l’auteur du Voyage est rendu à une continuité : « inscrit dans la tradition avec laquelle il rompt, il apparaît comme un écrivain fécondant avec ardeur les héritages. » C’est assez bien. Deux anthologies : Anthologie de l’OULIPO, édition de MARCEL BÉNABOU & PAUL FOURNEL (NRF, Poésie/Gallimard), délicieux recueil des meilleurs textes à contraintes de la joyeuse bande et l’Anthologie de la sodomie concoctée par BERNARD GUÉRIN (la Musardine, 122, rue du Chemin vert 75011 Paris). La photo de couverture est 100% immonde mais le contenu vaut le détour. À côté des « incontournables » (Apollinaire, Bataille, Cellard, Duvert, Genet, Louÿs, Sade, Serguine, Verlaine, Wilde, etc. ) on trouvera quelques petits joyaux dénichés par le compilateur dans des romans érotiques et/ou pornographiques assez peu connus. Ainsi, par exemple, l’une des Petites Histoires horizontales de Cécile Philippe, dans laquelle Roger et Odette, reviennent d’avoir été se farcir le Dernier Tango à Paris . Prend l’idée au bougre de s’identifier au beau Marlon. La chute est plutôt drôle : Roger ayant saisi une plaquette d’Isigny dans le frigo, d’une main fébrile grattait avec acharnement le beurre durci où ses ongles trop courts n’imprimaient pas le plus fin sillon. — Non, Roger, non… S’il te plaît. Elle s’en étranglait. — Bon Dieu de bon Dieu ! Combien de fois je t’ai dit de ne pas mettre le beurre au frigo, bordel de merde ! Complètement révulsée, Odette suppliait : — Roger, non… Je t’en prie… Pas celle-là…
Elle est pas commencée… L’autre… Sur le buffet… Enfin, ruez-vous sur Léona, héroïne du surréalisme, de la romancière néerlandaise HESTER ALBACH (chez Actes Sud). Vous suivrez pas à pas la triste existence de la très remarquable Léona Delcourt, née à Saint-André dans la banlieue de Lille, qui, âgée de 25 ans, fut internée en 1927 (pour avoir ameuté en pleine nuit l’hôtel où elle logeait, prétextant avoir vu des hommes sur le toit) pour ne point sortir de l’asile psychiatrique jusqu’à son décès en 1941. Vous y découvrirez des photographies de son beau visage, apprendrez ce qui la mit dans cette surexcitation nerveuse (l’immense amour de sa vie qui la laissa tomber comme une merdre). Quel intérêt ? Léona n’est autre que Nadja.