Nouvelles tendances ?

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Matières publiques : transfert de compétences?

Le secteur associatif a pour particularité de travailler sur des matières éminemment publiques. Par ailleurs, on a vu (cf [p.10->http://c4.agora.eu.org/spip.php?article1551]) que la crise des années 70’ avait abouti à la création d’un grand nombre d’associations. L’Etat avait alors subventionné bon nombre d’emplois du secteur, dans le cadre d’une double stratégie visant à rencontrer les besoins d’une population fragilisée par la crise, tout en faisant baisser le taux de chômage.
Et aujourd’hui? Quels rapports entretiennent le public et l’associatif? Que penser de la vision de ceux qui dénoncent un Etat démissionnaire, utilisant le secteur associatif comme tâcheron des matières publiques?

Matthieu Hély, docteur en sociologie politique et chercheur au CNRS, donne une explication de ce rapport entre le secteur public et les entreprises associatives : « Les entreprises associatives demeurent, en dernière instance, des instruments au service de l’action publique. […] En organisant par exemple, la concurrence des entreprises associatives pour la prise en charge des personnes sans domicile, les pouvoirs publics conservent un contrôle et une influence importante sur les organisations associatives auxquelles ils prescrivent les règles du jeu » 1

Le bien-être, voire même les conditions de vie de la population, seraient-elles devenues des matières poussiéreuses, ennuyeuses et trop coûteuses aux yeux de l’Etat qui les reléguerait, tout en gardant une main-mise, à un « tiers-secteur » peuplé de gentilles volontaires dévouées?
Si le tableau est un peu grossier, notons tout de même que 75 % des travailleurs de l’associatif sont des femmes, et que ce chiffre se maintient depuis 1998. Par ailleurs, le secteur associatif jouit d’une grande confiance de la part du public, notamment en vertu du statut “d’association sans but lucratif” (ASBL) qui constitue la forme juridique la plus représentée, et en évolution constante dans le paysage associatif. Cette confiance que le public accorde aux entreprises associatives pourrait constituer une raison supplémentaire pour l’Etat de leur déléguer une partie des missions qui lui incombent traditionnellement.

Vers une libéralisation : lentement mais sûrement ?

Une telle utilisation des associations ne serait-elle pas, à terme, une manière de libéraliser des matières publiques ? En Belgique, le nombre d’associations s’est envolé jusqu’à constituer en 2006 18% de l’emploi total en Wallonie. Parmi ces emplois, 47,82% sont recensés dans l’action sociale, 34% dans la santé, 11% en culture, sport et loisirs, 5% dans l’éducation (hors personnel enseignant) et 1% en défense des droits et intérêts. Comment appréhender le tansfert de ces matières éminemment publiques vers le secteur somme toute privé qu’est l’associatif ?

Pour Matthieu Hély, l’analyse de l’émergence du secteur associatif en termes de «génération spontanée» ou d’initiatives populaires est un peu courte. Il y voit plutôt « le fruit d’une recomposition très profonde des modalités de production de l’action publique, dont les entreprises associatives ne sont qu’un des éléments. » 2 Les associations serviraient à la fois de «sous-traitants » à moindre coût et, cerise sur le gâteau, de « caution morale », à une entreprise de libéralisation des matières publiques. Bruno Gérard, conseiller économique à l’UNIPSO (Union des Entreprises à Profit Social a.s.b.l.), modère ce constat: « Le secteur public a un rôle de bâilleur de fonds. Le subventionnement des associations s’explique aussi par l’expertise qu’elles
ont développé dans ces matières et leur grande proximité avec la population. Ces subventions sont conditionnées par des normes strictes mais le pouvoir décisionnel des associations reste indépendant des pouvoirs publics.
»

La libéralisation des matières publiques fait débat dans le monde associatif.
Faut-il la redouter ?

Des chercheurs de l’ULg et de l’UCL ont mené une étude qui se révèle plutôt positive à l’égard des mécanismes de marché dans le cadre (strict) des titres-services : « Certains mécanismes mis en place dans le cadre de quasi-marchés (par exemple le système de «chèque ») peuvent ainsi, entre autres, offrir aux plus pauvres un pouvoir économique réel, qui leur permet de choisir le prestataire le plus à même de répondre à leurs besoins (Bramley et al., 1989; Goodin & Le Grand, 1987; Le Grand, 1982). Le type de marché créé devrait dès lors être non seulement plus efficace mais aussi plus équitable. » 3

Cette approche théorique, si elle semble convenir dans le domaine des titres-services, ne risque t-elle pas de se généraliser et d’importer des pratiques du privé inadaptées à des matières comme la santé, l’action sociale ou la culture ? Les critères de rentabilité, de libre concurrence etc ne risquent-ils pas de dénaturer le secteur?

Les nouveaux champs : la place prépondérante de l’action sociale

Au développement du secteur associatif, l’étude réalisée par l’UNIPSO en 2009 4 donne plusieurs explications : « le vieillissement de la population, les évolutions sociétales (stress, pollution, consommation abusive de médicaments…), la sensibilisation de la population à des questions médicales (IVG, MST, contraception), le système du tiers-payant, l’éclatement de la cellule familiale, le travail des femmes, le statut de la personne handicapée,… » Autant de services que le secteur a dû adapter et inventer.

A chaque nouveau défi sociétal, le secteur associatif apporte une réponse qui se veut la plus adaptée à son public. C’est ainsi qu’on a observé la croissance la plus importante en termes d’emploi dans les maisons de repos, les crèches, les services d’accueil de demandeurs d’asile, de sans-abri, de toxicomanes, de femmes en difficulté, les plannings familiaux, les ONG,… Entre 1998 et 2006, la valeur ajoutée a crû de 52% dans le domaine de la santé et de l’action sociale. Presque deux fois plus que pour l’ensemble de l’économie wallonne (+34%) 5 ! Et ce n’est pas fini. Bruno Gérard rapporte en effet que « la population wallonne augmente et essentiellement la population âgée qui souffre davantage de la pauvreté (22,5% en Région wallonne). On constate qu’à politique inchangée et à taux de pauvreté constant, le chiffre absolu de pauvres augmentera de 11.100 personnes d’ici 2010, soit 59.500 d’ici 2020. Sur base de ces chiffres, on comprend la nécessité de soutenir le secteur et de développer des services qui répondent à ces besoins.»

Culture, sport et loisirs

Le secteur de la culture, des sports et des loisirs a lui aussi le vent en poupe : ce domaine a connu une évolution très importante de sa valeur ajoutée, qui a grimpé de 74% entre 1998 et 2006… Cette moyenne nationale est gonflée par les chiffres wallons et bruxellois (respectivement +190% et + 98% en 7 ans). Activités de spectacles, centres culturels, musées, bibliothèques et formation permanente participent à cette croissance. 16% des ASBL sont actives dans ce domaine. Le financement en grande partie privé de ces associations (dons, cotisations des membres, recours au bénévolat et production de biens marchands) constitue sans doute une des causes de leur développement.

Environnement, consommation durable et équitable

On le disait, à nouveau défi sociétal, nouvelles entreprises associatives. Selon Bruno Gérard, « On observe également une augmentation des consommations de produits durables (alimentation bio, commerce équitable,
produits de seconde main,…). Ceci est dû à la fois à une prise de conscience mais aussi à la crise économique en ce qui concerne les produits de seconde main. A titre d’exemple, une ASBL comme les Petits Riens se développe considérablement ces derniers temps et engage de nouveaux travailleurs.
»

Les chiffres corroborant ces données ne sont pas encore disponibles, pour la simple et bonne raison que ce type d’association n’existe pas encore dans la Nomenclature générale des Activités économiques des Communautés Européennes (codes NACE). «Pour un nouveau type d’activité, apparaître dans cette nomenclature est le fruit d’un lobbying de longue durée », explique Bruno Gérard.

En ce qui concerne les activités liées à la protection de l’environnement, on pourrait penser qu’elles se développent en ce moment de façon importante en raison du rabattage médiatique et politique quasi paroxystique. L’ASBL Inter-Environnement Wallonie est une association qui regroupe déjà à elle seule 150 associations actives dans la région 6. On peut citer Pro Vélo, la Société Botanique, le GRAQC, les Amis de la Terre,…

Même s’il est encore trop tôt pour disposer de chiffres attestant l’influence des activités de ce domaine sur l’économie nationale, on peut penser que l’urgence des services sociaux à la population risque de ralentir le développement des autres branches du secteur.

– Les associations en Belgique : une analyse quantitative et qualitative du secteur. p. 19, Graphique 7

Notes:

  1. «Les métamorphoses du monde associatif », Matthieu Hély, PUF, 2009, p. 194
  2. « Titres-services : Régulation quasi-marchande et performance comparée des différents prestataires », A. Henry, S. Nassaut, J. Defourny et M. Nyssens, in Revue belge de sécurité sociale, Ministère Fédéral des Affaires Sociales, de la Santé Publique et de l’Environnement, 2008.
  3. id. 2
  4. « 10 années d’évolution du secteur à profit social », UNIPSO, 2009
  5. http://www.iewonline.be/index.php
  6. idem 5

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