La distance entre nous et nous et cette pesanteur qui vient d’ ailleurs comme un arc-en-ciel et nous prend la vue, l’ouïe et ce qui reste de sens, jusqu’au portail des hasards, aux dires des instants, aux murmures des lumières, aux berges des destins. Ce tout languit et traîne sur les rives de nos attentes, qui, depuis déjà longtemps, ont pris garde d’espérer.
Mais pour cette fois, nous serons seul, le cheval et moi, dans les corail des présences. Nous étions connu pour être têtus et frondeurs.
Une étrange et douloureuse distance m’enjambe, surgit avec force et puissance comme pour s’emparer de mes dernières et vagabondes solitudes. Tout chemine, au seuil des mêmes fuites comme un secret, comme le sable au milieu de son désert, de plus en plus sobre, ramassé, simple et élégant.
Le cheval avance avec lenteur, ce n’est toujours pas facile d’approcher la lenteur. A bien réfléchir, je pense qu’il invente une forme à chacun de ses pas. Il quitte un mouvement pour l’autre sans force, avec calme, en réduisant son effort, sans rien perdre de son élégance dans la fatigue. Rien n’est simple pour moi. Je marche devant, à coté ou derrière, peu importe, la sueur me harcèle, le corps me trahi, les organes se tordent, j’aurai espérer ne pas avoir à supporter ce corps.
La route devant nous est sans espoir, à peine droite, tortueuse, visible, ni début ni fin, longue. Tantôt large tantôt étroite. Elle file vers la ligne de l’horizon qu’on distingue à peine au lointain comme un rêve. Elle glisse, file à la surface de la terre comme pour se dérober, comme pour nous faire croire qu’elle est là pour des prunes. Elle parait ne rien proposer ni offrir.
Pour le moment nous sommes trois, la route, le cheval et moi, cela n’a rien avoir avec une promenade quotidienne qui fait de nous des bons témoins de la nature à la recherche de quelconque sérénité. Nous n’avons pas d’histoire. Impossible de comprendre ce qui nous réuni. Nous nous sommes trouvés là sans raison, sans but, sans égard, sans prétention aucune. Au milieu de nulle part, entre le désert et son désert, le sable et ses détours, entre le temps et ses prétextes. Dans un mouvement lent, très lent, au point de rejoindre l’immobilité. Nous sommes trois à arriver, à marcher, à hésiter, à être là. Nous ne sommes pas des corniauds à la recherche d’un terrain de jeu ni des cigognes à préparer un nid douillet pour ses petits. Tout ce que je sais, qu’entre tous les hasards, notre rencontre n’a rien à voir d’un projet. Rien qu’un désir trop court. Il se peut que ce ne soit qu’une fuite, un e simple idée à franchir, à repousser au loin. C’est aussi bien faire loin, pousser plus haut, plus bas. Qu’importe. Autour de nous, il n’y a que le désert, terre, sable, touffes d’herbe et d’épines desséchées. Chaque touffe pousse l’autre, bouscule, entraîne, fait semblant, ajuste, organise au même temps qu’elle trace des lignes et des sauts comme si elles ont quelques choses à dépasser, à franchir. Toute une tribu. Toute une énigme à découvrir et à nommer. Autour de nous le vent, son poitrail, ses flancs, ses ruses et conspirations, tissant les couleurs des lumières alentours, répandant les saveurs des herbes sauvages et voisines comme quelques êtres à côtoyer. Nous marchons du coté du vent, ce passeur de lignes et de frontières. Ce détenteur d’orgueil et d’élan. Ce balayeur de poussière et tisseur de sable. Ce vaut rien nomade qui s’improvise des visages coléreux et organise des refuges pour les dunes.
Ni moi ni le cheval, ne reviendront sur notre décision. Nous sommes le désert et son silex, nous sommes le lointain vide de ses fentes, la tunique de ses étendues, la robes de son épiderme. Rien ne nous retiendra, ni le soleil qui se dresserait contre nos ombres ni un sable qui escaladerai les organes de nos discordes. Nous partageons le chemin. Nous avons suspendus les lumières aux murs de la terre depuis qu’on s’est éloignés de nos pas. Avec la route nous avons modelé l’absence. Nous avons chercher ce qui peut donner au chemin, des
lèvres d’enfances aux gorges des rochers et nous voila, dans le vent calme et si doux, à la fois granuleux et ensablé.
La route ne fleurit pas, ne donne rien. Seule, elle est à l’horizon comme une embarcadère attendant patiemment ses voyageurs, comme pour partir, comme pour ne jamais revenir. On voit mourir dans ses yeux les nôtres.
Nos deux ombres, comme une escorte, nous accompagnent sans mot dire, dociles et sans hostilité, résignées, dans la distance et le silence à être du voyage. A l’horizon, au bout de ce qui peut être la route, des vagues ou un semblant de vagues qui portent à nos yeux de l’eau, plus encore que l’eau, fraîche, paisible, qui flotte grandissante puis disparaît offrant ainsi son destin aux illusions.
Le cheval et moi marchons avec la route, autour de nous, une étendue embrasée accompagne nos ombres dociles et nos corps odorants. Le désert, qui nous aime, veut que chaque mouvement, prend sens, respire, frissonne, boit au sable sa soif et mange à la terre son errance pour qu’autre chose naisse. Je marche entre mon ombre et celui du cheval. La montagne vient à nous comme pour nous saluer avec faveur. Faille contre faille. Brèche prolongeant une autre brèche. Tout se fait fugitif, muet, traversant, dissimulant, cédant, imposant, happé, chantant, trouble, fauve, fuyant.
Ce rien est à la mesure de ses étendues, le reste n’est rien d’autre que le temps.
A l’instant même, je m’aperçois que je marche loin devant le cheval. Il vient de hennir. Je pense qu’on ne doit rien l’un à l’autre. Je ne peux rien pour lui ni pour moi-même d’ailleurs. Nous ne sommes pas là ni pour guérir ni pour renoncer. Il me semble qu’il s’immobilise. Non, je ne reviendrai pas sur mes pas. Nous marchons sans rien devoir à la vie ni à la mort. Nous nous sommes assurés d’être là, avec la route et les étendues embrasées alentour, dans les pupilles du vent, dans le feu des solitudes. Nous avons évité ce qui pouvait nous rassurer et parler pour nous. Nous sommes des innombrables facettes des mêmes choses et êtres. Le monde s’y est glissé et nous l’habitons. Nous ne pouvons nous reconnaître qu’à travers et avec ses tribus. Nous avons à rejoindre par d’innombrables détours la terre, la mer ou autres, qu’importe.
Non, je ne reviendrai pas sur mes pas. Je marche hors de mes traces. Le cheval semble me suivre.
Je respire son odeur mêlée à celle e la terre, écoute son souffle confondu au mien et celui du vent. Il se trouve juste là, à coté. Je ne sais lequel de nous trois est homme, vent ou cheval? Je ne sais qui de nous, henni, souffle ou parle.
La route bien qu’elle ne nous a jamais appartenu est là, pudiquement nue dans son corps. Le sable, malmené par le vent, la transfigure, la maquille, la cajole, la peigne, l’enserre, la harcèle. Que sera-elle demain? Une trace incendiée, une figure retrouvée, une demeure familière, une pierre défigurée, une noyée secourue, sans ou avec nous?
Demain est un mot étrange. Une énigme qui nous rend à nous même et au monde qu’on rêve et prophétise. Nous sommes au milieu de cet univers comme au milieu de nos existences. Sable au milieu d’autres sables. Dunes cernant d’autres dunes. Reptiles conspirant d’autres reptiles. Touffes faisant razzia sur d’autres touffes. Des vents vendangeant d’autres vents.
A quoi rêve un reptile conspirant d’autres reptiles comme le vent vendangeant d’autres vents?
Voila que nous sommes nombreux à marcher en silence au milieu de tout, un tout étalé, étendue, horizontal, léger, que rien ne peut faire vieillir, étrange, sobre, parcelles de doutes et détours quand la marche est soutenue. A La fois solaire et lunaire, rafraîchi, multiple, gaie et entier. Ce tout comme nuée qui déchire et recommence, souterrain, solitaire, sombre, à la lisière de la lenteur, amnésique et soudain quand il est aux prise à ces communes présences.
Nous marchons en silence et quand il nous arrive de parler, on le fait tous à la fois, comme une tribu chapardeuse et bavarde, en partance, comme à son habitude, vers je ne sais quelle terre lointaine ni à quelle razzia suspecte se prépare-
t-elle?
Rien que le cheval et moi. Rien ne nous viendra en aide. Je ne l’ai pas suivi dans son voyage et il ne compte pas me suivre dans le mien. Dans notre absence de passé et d’avenir, nous n’avons rien à usurper l’un à l’autre. Qui est-il? Qui suis-je? Qu’est ce lieu sans nom? Ne sommes nous pas emportés parmi traces et racines, à marcher vers nous mêmes et nos pas? Nous n’avons à n’être ni en retard ni en avance. Une route, signe, barque, oscillation, enveloppe précieuse et perverse à l’odeur de nos présences, aux hanches lisses sur la ligne d’horizon et dont la nudité nous affame.
C’est que le cheval est loin devant, dans le pur élan d’imprévisibles vigueurs. Est-ce lui que je vois devenir argile dans mes mains, herbes folles dans la bouche du vent ou écharde dans l’embrasé du crépuscule. Je m’enlise, je rampe, le sable gicle, le vide déborde de son lit. Mon corps tremble. Je suis avec le cheval dans la bouche béante du chemin. Un chemin joué au dés d’une nuit bavarde et hasardeuse entre les mamelles du temps et la transe de la nuit.
Tout est là, tout à la fois manque et déborde. Tout se tord, rien n’a de prise sur rien dans le talon charnel du monde. Sans cesse naissent et prennent formes nos figures fiévreuses.
« Non, je ne reviendrai pas sur mes pas, disait le cheval, je me sens devenir un corps où chemine la route, ce ruissellement confondu, sans mesure, sans cohérence, sans pouvoir, sans triomphe où on se regarde mourir.»
Ni le cheval ni moi, ne précède l’autre dans la réponse, nous avons appris que, dans cette étendue embrasée, chaque souffle, chaque mouvement, pensée, chaque mot est rendu à son désert
Bruxelles