Pas de train, pas de bateau, ni auto ni moto ni vélo. Pas d’avion non plus, pas d’hélico. Loin du bruit, des pétarades, du raffut, du tapage, elle ne quittera pas son petit lopin, jardinet coquet avec ses trois arbres, ses quelques herbes et quatre allées de potager.
La configuration des astres n’engageait guère aux vacances lointaines : évitez le poisson. Attention aux piqûres de scorpion. Pas de Zodiac sur la mer, danger ! Prenez garde au lion ! Amour : ne cherchez pas trop loin…
Il n’en fallait pas plus. Entre le hêtre et le lavoir, elle a accroché son hamac. Une branche d’un côté, un bon clou de l’autre.
Elle a trouvé une bénévole pour s’envoler à sa place et envoyer aux parents et amis les quelques cartes postales d’usage : « Sans me vanter, ai fait le Ventoux à vélo par temps venteux, quelle aventure ! Vous embrasse, Lise. » « Accostai bravement à la Costa Brava. Plages désertes…la nuit. Bise. Lise. » « Le top à Saint-Trop’ avec un trapéziste…Ciao… Lise… »
Elle va prendre le soleil qui vient et boire le vin qui vient du soleil.
Dans sa chasuble vert pomme et mi-cuisse, elle cajole ses légumes et chaque fois qu’elle se penche ses petits seins ondulent. S’ils n’étaient pas bien accrochés, ils viendraient rouler parmi les tubercules et les cucurbitacées. Voici les tomates. Des tomates de Marmande, légèrement aplaties, côtelées et potelées. Elle en cueille une, prête à tomber, la peau tendue par le soleil, un rouge de palette de peintre. Elle pose ses lèvres sur la peau un peu chaude, mord un bon coup et le jus encore froid de la nuit s’écoule dans sa gorge. Le bonheur ! Elle est mûre, elle la dévore. Juste bonne à farcir. Elle en cueille deux autres. Il en faut bien deux, une c’est trop peu et deux c’est trop, au diable l’avarice et les kilos…
— Ah facteur, quelle bonne nouvelle ?
— Des cartes postales, encore des cartes postales… Je vous observais et vous me donniez vachement envie…
— Ah oui, de quoi ?
— Ben, heu, de rentrer vite arroser mon potager…
— Vous voulez un petit verre ?
— Allez, djo, si vous insistez… Oh, quelles belles tomates !
— Vous voulez y goûtez ? Je suis seule, je vous invite à partager mon repas, deux pour une c’était trop, trois pour deux c’est parfait, allez vite me cueillir une tomate…
Décalottage avec un petit couteau bien aiguisé . Puis précautionneusement pour ne pas les écraser, elle les creuse avec une petite cuillère en prenant bien soin de garder la pulpe et le jus qui feront un bon coulis. Elle les farcit avec un mélange porc, mie de pain, oignon, persil. Le mélange doit être aérien, un tiers de pain pour deux de hachis. En haut la calotte et une heure de cuisson à four modéré. Elle servira avec du riz ou une purée de pommes de terre et le coulis par-dessus avec quelques copeaux de parmesan et du basilic fraîchement haché.
— Du jamais goûté ! Quelle chair, quel parfum !
— Je peux encore ?
— Allez-y facteur c’est ma tournée…