9. Les enjeux de l’impact économique

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Les théories de l’école néo-classique imposèrent le marché – animé par la recherche du profit et équilibré par le système des prix – comme la meilleure des solutions pour répartir les ressources. Elles servent encore aujourd’hui de fondement aux positions hardcore de fanatiques qui voient dans le fatras d’ASBL existantes une immense pompe à fric parasitant la « vraie » économie – via tout un système de subventions orchestré par l’État (le scélérat). Dans les esprits traditionnels, ce dernier représente l’autre grand pilier de la production et de la distribution des biens et services – celui qui intervient quand le marché déraille ou quand il n’est pas capable de fournir des solutions (comme dans la cas des bien publics ou collectifs). Dans cette perspective, l’influence du secteur associatif sur l’économie a longtemps été considérée comme marginale ou nulle – voir négative.

Aujourd’hui s’impose l’idée qu’un « tiers-secteur » brouillerait les cartes et les distinctions binaires (public ou privé) pour peser de manière considérable sur le développement économique. Cette hypothèse « dissonante » prend sa source dans des recherches en économie sociale dont le crédit s’est récemment accru depuis qu’elles sont parvenues à contourner un double blocage – conceptuel et statistique. La tradition théorique a fonctionné comme une croyance réalisatrice en construisant des appareils de mesure inaptes à appréhender le volume d’activité du secteur associatif sans le sous-estimer. Un problème statistique – décisif pour l’élaboration des politiques économiques – qui serait en passe d’être résolu grâce au compte satellite des Instituts Sans But Lucratif (ISBL).

Depuis 2004, l’Institut des Comptes Nationaux Belges publie annuellement un compte satellite des ISBL. Après l’Australie, la Belgique est le second pays au monde à fournir cette avancée – dont le Centre d’Économie Sociale ou CES de L’Ulg est un des grands protagonistes. Il a fallu élaborer un système de collecte d’information prenant certaines distances avec la méthodologie définie par le cadre général des comptes nationaux, tout en y restant connecté – comme un satellite. L’Université John Hopkins de Baltimore (USA) a coordonné les travaux d’un groupe d’experts internationaux (parmi lesquels on retrouve, par exemple, Sybille Mertens du CES de l’ULg) chargés d’élaborer une méthodologie qui se doit d’être commune – pour permettre les comparaisons. Ces travaux ont accouché d’un «manuel » (adopté par l’ONU en 2002) comprenant un cadre de référence pour la production d’un outil statistique adapté aux réalités des ISBL. Mais encore fallait-il tester sa validité pratique – faire tourner la machine histoire d’identifier les problème. Dans ce domaine, la Belgique a pu jouer les éclaireurs grâce à l’expérience de l’équipe du CES qui, dès le milieu des années 90, avait déjà mené des programmes de recherches expérimentales afin de mesurer le poids économique du secteur associatif (voir les travaux de Jacques Defourny, Sybille Mertens et Michel Marée).

La Belgique est à la pointe de la recherche en économie sociale. Bien. Et alors? À quoi cela nous sert-il? Ou plutôt, qu’est-ce que ça implique?

Il y a d’abord les chiffres que le dispositif du compte satellite révèlent – et qui restent un peu étonnants, même pour les personnes qui gravitent dans le secteur. En Belgique, l’associatif représente environ 14% des travailleurs du pays. Il « produit » 22 milliards d’€ – soit 4,6% du PIB – mais les spécialistes en économie sociale pense que ses chiffres pourraient encore être sous-estimés. On apprend aussi qu’en moyenne, 61,1% du financement des ASBL provient du secteur public– mais que les ressources des sous-secteurs comme la culture, les sports et les loisirs sont pour 48,9% de sources privées (cotisations, mécénat ou vente). Et cette clé de répartition (financement public ou privé) bascule complètement dans le domaine de la « défense des droits, intérêts et convictions », financé à 61,6% par des apports privés. Enfin, on
apprend que c’est en Flandre qu’on trouve le plus grand nombre de travailleurs du secteur (62%) – contre 23% en Wallonie. Même si c’est Bruxelles qui compte, proportionnellement, le plus d’emplois dans l’associatif.
Autant de données qui devraient consacrer définitivement la crédibilité des hypothèses affirmant l’importance de l’impact du secteur associatif sur l’économie. Et faire du développement du secteur un enjeu politique majeur? Ce ne sera pas si simple…

Selon les tenants de l’économie sociale, le «tiers secteurs » (ni public, ni privé) pourrait constituer une solution optimale dans des circonstances très actuelles 1. Le fait de ne pas rechercher de profit serait un avantage certain dans la conquête de cette confiance si importante dans le business du « relationnel » et dans l’économie de l’information. Dans ces domaines, les associations pourraient même bien damer le pions aux entreprises privées. Elles seraient aussi un modèle d’organisation mieux adapté que l’État pour produire certains types de biens collectifs : leur souplesse, leur taille et leur enracinement dans les réseaux sociaux permettent l’intégration de structures innovantes ou en meilleure adéquation avec les réalités des minorités – on constaterait que plus une population est hétérogène, plus le secteur associatif qui lui correspond est développé. L’hétérogénéité est d’ailleurs l’une des caractéristiques des sociétés en réseau.

Le développement du secteur associatif s’effectue en plein dans l’extension d’une zone grise de la théorie économique – à moins que ce ne soit «grâce à » cette extension… Non seulement parce qu’on y produit des biens et des services encore considérés il y a peu comme hors du cadre de l’économie 2] (confiance, innovation sociale, biens publics minoritaires) et devenus désormais économiquement déterminants. Mais surtout parce que l’essor du « tiers secteur » (qui débute dans les années 70) s’accompagne d’une dissolution des catégories binaires de la théorie économique « traditionnelle » – public/privé, marchand/non-marchand, intérêt général/intérêt particulier – qui continue de fonctionner à vide dans de nombreux discours.

En conclusion d’une récente enquête intitulée «Les métamorphose du monde associatif », Matthieu Hély avance que ce crédit désormais accordé au secteur associatif en tant que producteur de biens et services publics ou sociaux résulte « d’un travail historique de délégitimation des missions de l’État social et de légitimation de l’entreprise dans sa contribution à la production de bien publics ». Mais il ne le fait que pour préciser rapidement qu’aucun retour simpliste vers le service public « à la papa » ne saurait constituer une solution envisageable. Et il semble clair que le (petit) boom de l’associatif manifeste de profondes mutations : s’il était nécessaire de « prouver » l’impact économique du « tiers secteur » (grâce a des avancées techniques telles que le compte satellite), « reste » aujourd’hui à penser un bouleversement complexe qui exige pas mal d’innovations – au croisement entre concept et pratique.

L’enjeu consiste à construire des méthodes d’évaluation adaptées à la production « d’utilité sociale » – conçue (pour le meilleur et pour le pire) comme un pan déterminant de l’économie. Il s’agit quand même de trouver la méthodologie d’un vaste programme d’ingénierie sociale – qui de toute façon aura lieu. Sous-estimer l’ampleur du chantier pourrait bien être la grosse erreur de ceux qui construiraient (malgré leurs croyances) « un nouvel esprit du capitalisme ».

– Les associations en Belgique : une analyse quantitative et qualitative du secteur., p. 14, Graphique 3

Notes:

  1. voir Sybille Mertens, Associations et production de services, 2008 – http://hdl.handle.net/2268/10387
  2. Voir le dossier de C4 de [Mars 2009->http://c4.agora.eu.org/spip.php?rubrique38

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