Trois pas en avant, trois pas en arrière…

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05.06.09 – Le magasin Ikea de Hognoul a rouvert ses portes vendredi à 10 heures après deux semaines d’une grève entamée le 22 mai dernier.

05.06.09 – Une centaine de manifestants ont répondu à l’appel du SETCa et de la CNE à se rassembler vendredi dès 13h00 devant le concessionnaire IAC de Meiser à Schaerbeek afin de revendiquer le droit à mener des actions collectives.

05.06.09 – TEC: A Charleroi, la grève continue ce week-end.

La société occidentale s’est battue pour obtenir le droit au travail dans des conditions décentes. Mais n’est-ce pas un curieux paradoxe que ces formes de luttes qui impliquent un arrêt de travail et un blocage de l’outil de production ? Force est de constater que les patrons et la société capitaliste n’apprécient guère de voir la planche à billets à l’arrêt et s’empressent « d’ouvrir » le dialogue avec les grévistes, d’autant plus s’ils sont soutenus par les syndicats.
Les syndicats ! Certaines entreprises qui ont le vent en poupe tremblent à leur simple évocation. Entreprises modernes avec une image de marque bien nette, cela va de soi ! Mais lorsque l’on frotte un peu les vitres, ne voit-on pas apparaître des pratiques dignes du XIXème siècle ? La grève ferait-elle peur ? Pour l’éviter, pourquoi ne pas avoir recours à quelques pressions sur le personnel accompagnées d’une petite enveloppe de billets inodores et plus en cas de résistances. Ceci n’est pas la mafia ! Juste du business. Des dérives obsolètes, car lorsque l’on s’attarde sur les chiffes, un voile se lève sur un nouveau paradoxe : plus un pays connaît un taux de syndicalisation important, moins le taux de grève y est élevé 1. Championne toute catégorie en matière de grève : la France, pays qui compte le moins de salariés syndiqués, et son secteur public.

Indice sur le rôle des syndicats ? Ceux-ci permettraient vraisemblablement de centraliser la grogne des travailleurs et de faciliter la mise en place d’un dialogue. Finalement, Messieurs les patrons, il semble qu’aujourd’hui, ce soit démodé de donner le délégué syndical à manger aux cochons 2, il pourrait même encore vous rendre service.

Mais attention ne vous laissez pas prendre au piège, il est des grèves dites « sauvages ». On parle alors de «cessation collective, volontaire et concertée du travail, en dehors de toute consigne syndicale, par des salariés refusant d’astreindre leurs revendications au seul cadre de leurs préoccupations professionnelles. » Dommage pour vous si les cochons sont repus, car c’est maintenant que le délégué aurait pu vous aider.

Sauvages ou pas, elles ont parfois le don de faire mariner le grand public. Lorsque, le matin, la voix mielleuse du présentateur radio annonce : « grève générale dans les transports en commun… » Certains respirent alors le bonheur d’être l’otage d’une grève, sauvage ou pas ! Si la grève est une liberté plutôt qu’un droit, ne devrait-elle pas s’arrêter là où celle des autres commence ? Le revoilà le tant aimé sujet de dissertation, celui auquel nul n’échappe, celui qui, à l’époque, vous a envoyé illico à l’abattoir. Mais revenons à nos moutons. Est-ce encore juste lorsque l’arrêt de travail des uns nuit au droit du travail des autres ? Not in my backyard ?

La grève : liberté des riches

Il va de soi qu’on ne voit pas encore les « Gotha » ou les « Rothschild » descendre dans les rues. « Parce que quand on est riche ça ne s’arrête jamais, quand on est pauvre non plus d’ailleurs » 3. Cependant, le constat est réel. Il est plus facile de faire grève lorsque l’on a ou que l’on vit une situation
financière plutôt stable. La grève apparaît souvent comme une riposte à la tentative de réduire le pouvoir d’achat des travailleurs, et c’est la méthode la plus démonstrative de montrer son mécontentement vis-à-vis d’une politique économique et sociale décalée. Paradoxe encore que de ne pas travailler, et par conséquent de ne pas obtenir de salaire afin d’améliorer son pouvoir d’achat?

Evidemment, il n’en a pas toujours été ainsi. On reste tout de même loin des véritables épreuves de force et des répressions subies par les mineurs au XIXème siècle. Il faut d’ailleurs attendre la loi du 24 mai 1921 pour mettre fin à l’article 310 du code pénal. Article on ne peut plus hypocrite, qui condamnait non pas l’arrêt de travail mais tout ce qui l’entourait 4. D’ailleurs, rappelons-le, en Belgique, le droit à la grève n’existe pas, il s’agit, comme évoqué plus tôt, d’une liberté.

Et quand on n’a rien : régime sans sel ?

Si la méthode « Germinal » n’était déjà pas douce, sa variante « grève de la faim » n’en n’est pas moins amère. Elle devient malheureusement trop souvent le dernier recours pour ceux qui n’ont plus rien pour se faire entendre. Parce que lorsque l’on n’a rien à perdre, seule reste la vie. Ce chantage à la vie reste l’arme de prédilection pour ceux qui ont dû fuir leur patrie pour raison politique ou pour ceux qui sont venus chercher l’espoir d’une vie un peu plus digne. Plus digne ! Quoi de plus humain que de se retrouver dans un centre fermé surpeuplé où les conditions «d’accueil » sont déplorables ? Curieusement, lorsqu’un privé met à disposition un lieu exigu et parfois insalubre, il est traité de marchand de sommeil et croqué par la justice. C’est vrai qu’il faut souligner une différence : l’Etat « offre » le séjour en centre fermé. Comment dès lors se faire entendre quand on est enfermé, comment se faire entendre quand on n’a plus d’armes pour lutter? Acculé, on se met en route vers une « vie sans faim ».
Situation inhumaine et intolérable qui a débouché le 10 mai dernier sur un rassemblement Place Saint-Lambert à Liège et une manifestation jusqu’au centre fermé de Vottem. Cette démarche a bien entendu été soutenue par diverses associations d’aide aux sans papiers, mais elle a également été suivie par les syndicats.

La situation devient surréaliste lorsque, jouant leur rôle initial de défense des travailleurs, ces mêmes syndicats, quelques jours auparavant (le 3 mai) appuyaient une grève des gardiens de ce même centre fermé. Revendication : que le gouvernement tienne ses promesses ! Suite à l’agression d’un agent en 2006 à Merksplas, une aile «verte» pour les cas difficiles a vu le jour dans les centres fermés. Mais, faute de personnel, celle de Vottem n’est toujours pas opérationnelle.

Il serait donc possible d’être à la fois au four et au moulin ? Et par conséquent d’assurer une position politiquement correcte en défendant les sans papiers et les matons.

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Des grèves qui ont marqué l’histoire

Le 1er mai 1886, la pression syndicale permet à environ 200.000 travailleurs américains d’obtenir la journée de huit heures. Le souvenir de cette journée amène les Européens, quelques années plus tard, à instituer la Fête du Travail.

En 1997, la direction de Renault décide la fermeture d’un des sites historiques
de la marque au losange en Belgique : Renault Vilvoorde. 3 100 emplois sont directement supprimés, 4 000 chez les fournisseurs et les sous-traitants. Renault venait d’être élu par les Français marque du siècle en décembre 1996. L’image de l’entreprise se ternit et en mars 1997, des dizaines de milliers de personnes dans plusieurs pays de l’Europe des Quinze s’unissent pour la première Eurogrève.

Notes:

  1. Nombre de journées non travaillées (pour 1000 travailleurs) Eurostat. Respectivement pour 2001 et 2006: Belgique 41,23 / 24,75 | Espagne 119 / 47 | France 80,11 / 116 | Italie 59,26 / 29,16 | Danemark 21,52 / 32,6 | Royaume-Uni 20 / 28
  2. Référence à « Snatch » réalisé par Guy Ritchie, Columbia TriStar Films, 2000.
  3. « Ah ! Si j’étais riche » comédie de Michel Munz, Gérard Bitton, Téléma Productions, 2002.
  4. « sera puni d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de 26 francs à mille francs ou de l’une de ces peines seulement, toute personne, qui dans le but de forcer la hausse ou la baisse des salaires ou de porter atteinte au libre exercice de l’industrie ou du travail, aura commis des violences, proféré des injures ou des menaces, prononcé des amendes, défenses, des interdictions ou toute proscription quelconque, soit entre ceux qui travaillent, soit entre ceux qui font travailler. Il en est de même pour tous ceux qui, par des rassemblements près des établissements où s’exerce le travail, ou près de la demeure de ceux qui le dirigent auront porté atteinte à la liberté des maîtres et des ouvriers ».

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