« Teresa a 32 ans. Elle est d’origine péruvienne. Elle est arrivée en Belgique en 98, pour y rejoindre sa sœur et son demi-frère, et pour y faire des études. C’était juste avant la dernière grande vague de régularisation de 99, mais elle a eu peur de se présenter et d’être expulsée. Elle vit avec sa sœur, qui, elle, est en Belgique depuis plus longtemps, et qui est en ordre de papiers. Sa mère et son fils sont toujours au Pérou, et elle ne les a plus vus depuis son départ.
Elle est originaire d’une région montagneuse, et elle était institutrice. Avant de quitter le Pérou, elle venait de divorcer du père de son fils, un sympathisant du Sentier Lumineux, et à cause de la corruption qui règne là-bas, c’est le père qui a obtenu la garde. Mais l’an dernier, après que l’enfant a souffert d’une bronchite mal soignée, Teresa a pu obtenir des autorités péruviennes que sa mère obtienne un droit de garde partiel. La situation est extrêmement compliquée pour elle. Il faut s’imaginer que cette femme n’a plus vu son enfant depuis plus de dix ans, qu’elle est en contact avec le Pérou quasiment chaque jour, par téléphone ou par webcam, et qu’elle doit tout régler d’ici, ce qui lui demande énormément d’énergie et de courage. On ne cesse de lui dire qu’elle est partie, qu’elle n’est plus là depuis longtemps, qu’elle ne peut pas se rendre compte de la situation, et la seule solution pour Teresa serait de pouvoir prendre un avion et de se rendre directement sur place.
Elle vit donc dans une situation de grande souffrance, mais comme c’est quelqu’un de très courageux, qui fait preuve d’une maturité impressionnante, elle reste forte. Elle encaisse, comme on dit, mais à force, toute cette pression lui cause certains problèmes de santé.
De plus, son ex-mari ne cesse de tenter de la manipuler afin qu’elle lui envoie de l’argent. Mais elle tient bon. Elle est arrivée à s’arranger avec l’école de son fils, afin de leur payer les droits d’inscription directement, sans devoir passer par le père, qui risquerait de garder l’argent pour lui. Mais vous imaginez les difficultés que ça implique de devoir régler ce type de problèmes de Bruxelles? De ne jamais pouvoir rentrer chez soi ?
C’est à force de la voir dans cette situation inextricable que j’ai eu l’idée de lui proposer de l’épouser grâce au fameux « Pacs ». Ce serait une façon pour elle de pouvoir enfin rentrer au pays et surtout, d’essayer de ramener son fils ici. En fait, au départ, c’est mon ancien compagnon qui devait l’épouser, mais comme il est très souvent à l’étranger, ça risquait de se révéler difficile au niveau des enquêtes. Comme je le disais à Teresa, vu qu’elle travaille à la maison, elle sait où se trouvent les choses, elle n’aurait aucun mal à mettre sa culotte dans mon panier à linge. Et j’ai un ami échevin dans une commune, à qui je pourrais dire « à charge de revanche »… Mais évidemment, après, il y a les enquêtes, et je crains qu’ils soient encore beaucoup plus dures dans le cas d’un Pacs homosexuel.
Mais ce qui nous a fait renoncer temporairement à ce projet, c’est surtout le fait que le Pérou est un pays très catholique, et que s’ils s’aperçoivent qu’elle a épousé une femme, ils risquent de ne jamais vouloir lui rendre son gamin. Mais parfois, Teresa en a tellement marre qu’elle dit : « tant pis, on va le faire quand même ». Et puis, Teresa est elle aussi très catholique. Pour elle le mariage est une valeur importante, ce n’est pas quelque chose qu’on fait comme ça, en l’air. Et avec une femme en plus ! Ce n’est certainement pas quelque chose qu’elle ferait de gaieté de coeur. Mais elle me connaît, elle sait pourquoi je lui ai proposé ça. Elle sait aussi que j’ai travaillé avec des sans-papiers, et que c’est une réalité que je connais bien. Elle se rend bien compte aussi que sa situation ne laisse pas énormément de choix. Parfois, elle dit aussi qu’elle va rentrer, et tant pis si elle ne peut pas revenir. Mais après, elle reprend espoir. Comme il y a beaucoup de
corruption au Pérou, elle croit qu’ici, c’est pareil, et que c’est pour cette raison qu’aujourd’hui il est aussi difficile d’obtenir des papiers. C’est faux, évidemment, mais je crois que ça l’aide à tenir, et à garder espoir. Elle se dit que les gens d’ici ne sont pas si mauvais, que la politique d’immigration actuelle est seulement le résultat d’abus.
Elle est heureusement bien défendue, par un très bon avocat, mais en attendant, elle est toujours sans-papiers. C’est fou, Teresa est devenue une spécialiste du repassage, alors que là-bas, sa mère, qui voulait qu’elle fasse des études, ne l’aurait même jamais laissée ramasser une tasse ! C’est une autre raison pour laquelle j’avais pensé à l’épouser : pour qu’elle puisse enfin, grâce à ses papiers, chercher un autre type de travail.
J’ai peur pour elle. Il y a quelques temps, il y a eu une série d’arrestations dans le Phone Center d’où elle appelle sa mère quasiment chaque jour. Je lui ai même demandé de déménager, lui expliquant qu’elle risquait vraiment de se faire arrêter. Mais elle a refusé. Elle n’avait pas envie de changer de quartier. Par contre, elle ne va plus dans ce Phone Center. C’est vraiment très dur de vivre sans cesse avec ce genre de pression.
Aujourd’hui, la situation est devenue plus complexe, car mon compagnon et moi avons nous aussi des projets de mariage, mais je reste tout à fait prête à épouser Teresa. On verra… »