Citons cette prose admirable : « Pour toutes ces raisons, plus notre regrettable absence de courage, nous, sous-réalistes, avons décidé de fuir. Cette décision est irrévocable. ». Où ? Sur l’île de l’Utopie… Bien sûr, des groupes rivaux s’y formèrent et s’y entredéchirèrent. Ces derniers se révélant évidemment, tous, toujours plus révolutionnaires que les révolutionnaires. La fraction la plus engagée à l’extrême de l’extrême rébellion – deux personnes – se détacha ensuite des puérils belligérants et décida de partir à l’assaut des moulins les plus rétrogrades. N’écoutant que leur courage, ils décidèrent de créer un univers en rupture totale avec notre société : un monde futuriste dominé par les marques, dans lequel les individus qui ne consomment pas assez se font démembrer par le Tribunal de la consommation et sa chirurgie pénale.Toute ressemblance avec le présent serait purement fortuite.
Une bande dessinée désopilante et caustique, intitulée « Tout doit disparaître » éclôt du projet. En voici les quelques premières lignes : « Ce matin à l’aube, nous, Sous-réalistes, dans la plus grande rue marchande de la capitale, sur la façade d’une boutique chic dont nous tairons le nom pour ne pas lui faire de publicité – on connaît vos méthodes – avons taggué “NON A LA CONSOMMATION”. Si ce soir le gouvernement n’a pas déjà sauté suite à ce coup sans précédent, porté à sa raison d’être même, nous pouvons assurer les chiens de garde de l’ordre établi de notre détermination à réitérer. Sans hésiter. Très chers futurs camarades de lutte (potentiels), à bientôt et n’oubliez pas, soyez subversifs: dites NON A LA CONSOMMATION! ».
Quelques élucubrations plus tard, il s’ensuivit un site sur la Toile. Un questionnaire pour découvrir combien vous êtes un authentique révolutionnaire-face-à-l’agonie-du capitalisme-financiarisé, un horoscope financiarisé astrologiquement correct, un blog du futur rapporté au présent délivrant des informations truculentes pas-loin-d’être-bientôt-vraies, un Sarkozy GPS Tracking System pour les cerveaux lents… voici quelques services que vous propose le réseau entrepreneurialo-subversif, composé de ces deux êtres énigmatiques et de leurs épigones à contre-courant.
Le ton est habile et rafraîchissant dans l’atmosphère de rebellitude subventionnée qui caractérise une époque où la contestation est toujours-déjà intégrée et recyclée par la grande machine consumériste. Ce constat-là, les auteurs l’ont établi, semble-t-il, depuis des lustres et recherchent dès lors une manière de dénoncer la survie dans le monde marchant, en critiquant les critiques des critiques… exercice périlleux pour les leaders du marché de la contestation à prix discount.
A signaler également une « radio du futur » qui pastiche (à peine) la médiocrité de nos excellents professionnels du journalisme. Nous apprenons, entre autres, que le déclin de l’empire américain aboutira à la vente des Etats-Unis sur Ebay aux Chinois pour quelques yens, ou que le groupe Total annonce la production, par des moines birmans, d’une nouvelle énergie renouvelable, moins chère et plus propre.
Une intelligente manière de pousser la dite « réalité » un peu plus loin dans l’illogique qui est la sienne actuellement, pour révélationner, subrepticement, l’absurdité de notre présent.