Le bon appétit ! Canard aux navets

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Le dos aux carrelages blancs, ça fait des lustres qu’il s’est carré, massif sur le linoléum vert. Est-elle finie sa vie de frigidaire ? Quelques jours qu’elle est partie ! Ca le glace de se savoir débranché et inutile, tout plaqué de post-it : beurre / plus d’argent / facture gaz / lard salé / dentiste le 15 / fraises /annuler vacances / vin de Provence / crise de merde !/ fauchée/…..

Il chantonne monotone : « je suis un pauvre frigidaire solitaire, je n’ai plus d’électricité, je suis abandonné ; où est passé ma belle qui m’ouvrait et me fermait à longueur de journée… »
— Arrête de chialer, t’es pas tout seul.
— Qui est là ?
— C’est moi, Berthe, la grosse cuisinière pleine de boutons.
— Ah Berthe, tu pètes toujours des flammes ?
— Malheureusement moi aussi je suis débranchée, privée de gaz. T’as vu les factures sur la porte. Elle n’en pouvait plus la belle, elle est partie pour d’autres cieux. Rapproche-toi que nous causions un peu.

Escampette, escamotage. Elle s’envole et déménage, croisant en cours d’escalade une escadrille de canards sauvages.

— Hé Franck, on toque au hublot.
— Enfin un peu de distraction, je m’en vais voir à la porte… Oh, quelle bonne surprise ! Madame, vous tombez bien, du ciel je présume!
— Ok mec, c’est la crise là en bas, j’ai pris le large et le hasard m’a conduit à votre charmante station spatiale et orbitale que je me réjouis de visiter si vous me le permettez.
— Je vous en prie, entrez, il y a un porte scaphandre à droite dans le vestibule, vous pourrez vous mettre à l’aise avant de découvrir l’engin.
— Doukipudonktan ici, ça sent le renfermé ! Vous ne pourriez pas ouvrir un peu grand les fenêtres que je donne un bon coup de frais dans cette demeure, avant de vous préparer un souper qui vous changera du lyophilisé. J’ai plumé quelques canards en route… Vous êtes combien ici… ? Six? Ca ira, en tous cas pour les canards… Allez, déguerpissez quelques heures, prenez l’air puis une bonne douche.

Les canards n’étaient plus vivant, et pourtant profitant de l’apesanteur ils tentèrent plusieurs fois de s’envoler et les navets par nature terre à terre découvrirent le plaisir de battre des fanes. Elle attendit que les éléments eussent fini de se déchainer et redevinssent aliments. Alors, elle fit revenir dans une cocotte les deux canetons au beurre, sel et poivre et petits oignons. Avec les abattis elle prépara un court bouillon (1/4 de litre) : une carotte, un blanc de poireau et un bouquet garni. Les navets, à l’étouffée une grosse demi-heure avant glaçage avec une pincée de sucre. Ardemment elle monta un roux au fouet avec le bouillon passé. Il ne restait plus qu’à passer à table.

— A table !
— Quel délice ces cuisses !
— Et quels beaux navets ! Vous restez longtemps avec nous ?
— Le temps de faire la vaisselle et je m’éclipse, je cherche du boulot…
— …
— Ne faites pas cette tête –là, vous n’allez pas vous appesantir … Bon, d’accord, encore trois petits tours et je m’en vais.

Quelques révolutions plus tard, quelque peu ébouriffée, elle quitte l’appareil simplement, un contrat en poche : entretien régulier de la station orbitale et toute la panoplie.

Retour au nid. Elle va pouvoir rebrancher le frigo et rouvrir le robinet de gaz…
— Tiens tiens, le frigo a changé de place, il s’est collé à la cuisinière. Sont fous ces objets !

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