Pour sa cinquième tentative de coup d’Etat, Jan Bucquoy avait imaginé d’utiliser les technologies numériques. Un groupe Facebook avait été créé. « Entrez dans l’histoire avec le premier coup d’État organisé en événement facebook », précisait le communiqué. « Un évènement international unique et une occasion tout aussi unique de participer à un coup d’État au lieu de les voir à la télévision ! Il est très chic d’avoir un coup d’Etat dans son agenda ! C’est la grande tendance 2009 ! Les modalités du coup d’Etat seront transmises quelques jours avant la date prévue. » Aucune modalité ne fut transmise parce que comme d’habitude rien n’était préparé. Bien qu’approuvé par la « Fédération Sociale Hype (FSH) », et annoncé « en présence des membres de la société secrète des super-vilains », on ne peut pas dire pourtant que le « coup » attira plus de monde qu’à l’accoutumée. Ni moins d’ailleurs. La presse, elle, était au rendez-vous : l’attaque pacifique était annoncée dans l’agenda du « Courrier International » et un journaliste bulgare fut même détaché pour couvrir l’évènement.
Il y a un côté répétitif à ce happening, que Jan avait lancé comme une boutade il y a plus de dix ans (et qu’il a dû exécuter pour ne pas avoir l’air idiot) mais qu’il aimerait bien voir pris en charge par « la jeune génération ». Comme d’habitude, il n’y avait personne pour occuper sauvagement les autres lieux symboliques pressentis comme autant d’épicentre de la révolution : la centrale nucléaire de Tihange, la brasserie Jupiler de Leuven, la caserne de gendarmerie de Rollin (sur la plaine des manœuvres à Etterbeek), le Menneke Pis, la Bourse, le circuit de Francorchamps, les Delhaize, le Parlement, les abattoirs, les journaux… Et comme d’habitude, la police barrait la route à la petite bande de Jan, étendards anars et cocos au vent, aux abords de la Place Royale. Car il est interdit de manifester dans la « zone neutre », c.-à-d. l’espace entre les Palais de la Nation et celui du Roi.
Malgré un dispositif impressionnant, sept sprinteurs arriveront à forcer le barrage, trois arriveront même à sauter dans le petit jardin devant le palais. Heureusement qu’il s’agit d’un putsch pour rire, car s’il fallait compter sur nos forces de l’ordre… Moins sportif, ou plus prudent, Noël Godin distribuait des fraises sans crème fraîche pour le temps des cerises, pendant qu’un septuagénaire, qui avait lui aussi pris les policiers de vitesse, faisait un discours bilingue en hommage à la révolution poético-surréaliste de Jan. Les fidèles entonnent les slogans favoris du Tintin d’Harelbeke : « Le mariage, l’armée, les prisons, les zoos, les sprays pour aisselles, les autoroutes, les centres commerciaux, les écoles, les églises, la propriété privée seront supprimés. Le travail obligatoire sera le lot des malfrats. Tout sera réparti selon un système de loterie : les emplois, les postes de ministre, les biens, les habitations. La copulation dans les lieux publics sera non seulement autorisée, mais organisée » [*]. Des touristes canadiens sont visiblement amusés, ils ramèneront de leur visite au palais des photos plus originales que la relève de la garde. Celle de la chute du meneur de cette sédition, par exemple, maîtrisé par la police après avoir heurté le trottoir – voilà comment meurent les révolutions, à cause d’une bordure. Comme tous les grands stratèges, Jan avait pourtant longuement hésité. Non à cause de la météo incertaine – en cas d’averse, la fête sera reportée, car une longue expérience démontre qu’un coup d’Etat sous la pluie fait poule mouillée. Mais parce qu’il n’arrivait pas à se résigner qu’il allait rater ce moment capital de la culture nationale : le choc au sommet Anderlecht-Standard…