Différentes communautés de migrants (Turquie, Maroc, Afrique noire) cohabitent depuis de nombreuses années à côté des institutions européennes. Parfois avec son lot d’idées préconçues et de préjugés (« c’est dangereux là-bas, y a plein d’étrangers et surtout des Turcs ! »). Vingt-cinq mille habitants composent le paysage de la plus petite commune de Bruxelles, située au carrefour névralgique de la ville. Considérée comme la deuxième place hôtelière de la capitale, Saint-Josse-ten-Noode se donne pourtant les moyens de ses ambitions.
Oui, Saint-Josse bouge, et bouge bien. Outre l’Académie des Beaux-Arts et l’Académie de Musique, la commune peut se targuer de drainer des centaines de milliers de spectateurs par an. Le Théâtre Le Public, ainsi que Le Botanique, sont de véritables locomotives pour ce petit bout de ville. Ils proposent une offre culturelle intense et créative. Il est remarquable de constater que Le Théâtre Le Public attire une clientèle huppée et nantie en plein cœur d’un quartier très populaire, au milieu des fritkots pouraves et des cafés ethniques, de ceux qui ne sont fréquentés que par les hommes, là où le tabac s’incruste dans la toile des chemises et où les murs sont tapissés du drapeau national. Le public du Botanique est, lui, beaucoup plus varié, en fonction des activités proposées. Même si les prix pratiqués ne sont pas toujours, eux, très populaires… On retrouve le même décalage social au Mirano, the discothèque historique of Bruxelles, fréquentée par une faune mixte mais quand même bien branchouille, et pourtant dissimulée dans une rue où les commerces bon marché rivalisent avec les snacks pita.
Autre ambiance aux Ateliers Mommen, véritable cité des artistes située près de la station de métro Madou. Les Ateliers Mommen, c’est une invitation à la détente et aux plaisirs dans un très beau lieu issu du 19ème siècle. Mais c’est aussi un lieu de rencontres pour réfléchir au projet de sauvegarde du patrimoine culturel. L’Atelier de la Dolce Vita est le passage obligé des visiteurs. Chantal Salomoni, la responsable de ces trois étages colorés, s’ingénie avec beaucoup de convivialité depuis septembre 2000 à dynamiser cette plate-forme d’échanges. Les conteurs, les écrivains, les peintres, les sculpteurs, les rêveurs, les musiciens, les chanteurs, les comédiens, les globe-trotters, les photographes, les curieux, les inventeurs, les créateurs, tous s’emmêlent les sourires au 37a rue de la Charité, la bien nommée !
A quelques rues de là, la bibliothèque du CEC (Coopération, Education, Culture) permet aux passionnés des littératures africaines et caribéennes d’emprunter des ouvrages. La bibliothèque entend ainsi favoriser une meilleure connaissance des cultures contemporaines d’Afrique et de la diaspora. Pour Anne Gérard, directrice de l’organisation non gouvernementale, la littérature représente un médium privilégié dans la déconstruction des stéréotypes auprès des nouvelles générations.
Viviana partage cet avis. Habitant la petite commune depuis presque treize ans, elle se sent comme chez elle. « Chacun a sa place, tout le monde est reconnu dans sa culture. » explique-t-elle. Saint-Josse est comme un village. Le secret, selon cette assistance sociale d’origine chilienne, est qu’il faut rester tolérant par rapport aux autres cultures. « Le seul problème que je remarque au fil du temps, c’est l’arrivée des nouvelles communautés étrangères dans le quartier. Souvent, ces dernières s’imposent et sont moins conciliantes à notre égard. Et c’est cela qui crée des conflits » confie-t-elle.
C’est à la rue Traversière que se situe le plus grand centre d’hébergement pour jeunes de la Région de Bruxelles-Capitale, l’auberge de jeunesse Van Gogh. Rue mythique pour tous ceux qui se souviennent des nuits électriques du célébrissime jazz-club Le Travers. L’établissement aurait eu trente ans l’été dernier. Depuis sa fermeture, il y a un peu plus de huit ans, la Jazz Station a repris le flambeau dans une ancienne gare
entièrement rénovée sur la Chaussée de Louvain, toujours au cœur de Saint-Josse. Au travers d’une programmation éclectique, la Jazz Station comble les mélomanes autant que les curieux, et ce, pour des plongées dans l’univers d’une musique centenaire.
Pour Christian Doat, responsable d’un comité de quartier depuis presque dix ans, il est primordial d’avoir ce type de connexion entre la population multiculturelle et les organes de gestion de l’administration communale. « Les comités de quartier sont les relais des problèmes qui se posent dans les quartiers. Avant, le problème principal, c’était la sécurité par rapport aux personnes âgées, les bris de vitres de voiture et la propreté. » Pour ce jeune retraité, c’est avant tout un problème d’éducation. Des campagnes de sensibilisation sont donc financées par la commune et des réunions avec les riverains sont organisées plusieurs fois par an. « Cette interaction avec les habitants et les autorités communales se fait sur le long terme », précise Christian Doat. « La situation s’améliore lentement et sûrement, mais c’est un travail de longue haleine. Beaucoup d’immigrés ne parlent pas la langue ou la parlent mal. C’est l’éducation civique et basique pour les jeunes et dans les écoles qui fera avancer les choses. » Pour cet ancien gestionnaire des ressources humaines, « le vrai problème est que l’on n’a pas assez soigné l’accueil des nouveaux immigrés. Il faut bien souvent attendre la 2ème ou 3ème génération pour voir s’harmoniser la vie sociale avec les personnes d’origine étrangère. »
Au carrefour de la rue Royale et de la rue Traversière jaillit la Chaussée de
Haecht. Si vous restez sur la rue Royale, la soif est souvent désaltérée à De Ultieme Hallucinatie, hôtel de maître construit au milieu du 19ième siècle dans le style Art nouveau géométrique. L’ancien jardin a été transformé en brasserie avec des banquettes de train, à l’instar des gares peintes par le surréaliste Paul Delvaux. Le même qui peignit l’Institut de Zoologie de Liège.
Si vous remontez la Chaussée de Haecht, l’estomac sera souvent comblé avec une «pide», pizza à la turque. La communauté turque a essaimé les alentours du début de la chaussée. Elle a ancré son fief avec ses magasins, restaurants et professions libérales, fière de représenter son identité sans équivoque. « Elle a créé une sorte de ville dans la ville, sans réelle volonté de s’intégrer aux autres communautés » explique encore Christian Doat, « au contraire de la communauté marocaine intégrée depuis plus longtemps dans le quartier ». Pour Munir, résidant Chaussée de Haecht depuis deux ans, il n’y a aucun souci. « Les seules tensions qui existent se passent entre les kurdes et les turcs » précise ce jeune restaurateur. « Et les débordements que l’on a déjà pu entendre dans la presse étaient surtout dûs aux soirs de matchs de football. Surtout l’année passée, quand la Turquie a failli se retrouver en finale de la Coupe Mondiale. »
Salem à tous ! Sans transition, direction la rue de Brabant pour un dépaysement assuré. Les bazars bien achalandés s’égrènent à perte de vue. Côté tissu, c’est la rue idéale pour dénicher des coloris originaux et exotiques. Et les vendeurs ne sont pas avares de conseils, ils sont habitués aux visites d’étudiantes en stylisme en quête de fins de série. Côté bric-à-brac, point de déception, l’embarras du choix ne cède la place qu’aux prix démocratiques. Entre deux échoppes, le temps de déguster une pâtisserie ou encore un thé à la menthe. Et dès les beaux jours, la rue se transforme en turbulence, de quoi raviver la mémoire de ceux qui ont laissé une partie de leur cœur au pays.
C’est sur la place Rogier, au bout de la rue de Brabant que s’achève cette promenade. Oui, Saint-Josse est une commune aux multiples visages, une des plus métissées du genre bruxellois. Elle tient la palme de la plus forte densité de population, équivalente à celle de Calcutta en Inde. Mais également celle de la population la plus jeune.