La feuille antiproductiviste de Paul Ariès « Le Sarkophage », se demande si la monnaie fondante ne serait pas un moyen pour échapper à la crise (17 janvier 2009, p. 14). Soyons chauvins, c’est un peu une idée belge, puisqu’on la doit à un citoyen de Saint-Vith (mais à une époque où le canton faisait encore partie de l’Empire allemand), qui publie au début du XXe siècle des ouvrages de théorie monétaire qui font sensation.
Gesell, qui avait été commerçant, part du constat que le détenteur de monnaie dispose d’un avantage par rapport aux producteurs de biens et commerçants, le premier pouvant différer dans le temps son achat alors que le producteur et commerçant doit vendre ses produits le plus vite possible pour éviter que ceux-ci perdent de leur valeur. Pour remédier à cette situation, il imagine une monnaie franche ou « fondante » qui, à l’image des biens de consommation (nourriture, maison, vêtements…) se déprécie à intervalle fixe, c.-à-d. qu’elle perd de sa valeur tous les mois ou tous les deux mois. Selon cette théorie, l’argent n’est qu’un moyen d’échange qui a pour seule couverture la confiance dans le travail et l’activité du peuple. Il doit circuler vite pour éviter la thésaurisation. Le pari est que, quand vous ne pouvez pas garder votre épargne sous forme monétaire, vous l’investissez dans quelque chose qui produira de la valeur dans le futur. L’idée n’est pas restée un exercice intellectuel pour économiste en chambre, elle a été mise en pratique, avec succès.
Des expériences de monnaies franches ont été menées en Allemagne et en Autriche notamment, au début des années 30, qui permirent aux habitants de plusieurs communes de sortir du marasme de la Grande Dépression… avant d’être interdites pour incompatibilité avec le rôle monopolistique des banques centrales, seules autorisées à émettre de la monnaie – ce qui eut pour effet immédiat de faire replonger lesdits habitants dans la pauvreté. Aujourd’hui, les monnaies fondantes ont leurs partisans, peu nombreux il est vrai. Mais les crises systémiques, les déflations et le chômage de masse poussent un certain nombre d’individus à se rassembler autour d’une monnaie locale, complémentaire (et non concurrente) à la monnaie d’Etat, ou d’une monnaie régionale, fonctionnant sur les principes de la monnaie fondante – comme c’est le cas de certain SEL (systèmes d’échange local).
Des initiatives qui ne concernent pas que quelques chevelus décroissants, mais pourraient inspirer les financiers et inciter à créer des monnaies inter-entreprises (de tels systèmes existent déjà), propres à apporter une réponse à la crise bancaire. Son principal promoteur actuel, l’économiste bruxellois Bernard Lietaer, est convaincu que ces expériences sont appelées à se multiplier et défend l’idée d’une « abondance soutenable », dont il trouve des précédents dans l’Egypte des pyramides ou le Moyen-Âge des cathédrales, rien moins. Ses stimulantes réflexions ont au moins l’avantage de « dénaturaliser » l’argent : «L’argent, avance-t-il, est comme un anneau de fer que nous nous serions percé dans le nez. Nous avons oublié que nous l’avons conçu, et maintenant il nous entraîne partout. Je pense qu’il est temps de déterminer où nous voulons aller –selon moi vers la durabilité et la communauté– et concevoir un système monétaire pour nous y emmener ».
V.O.