L’Europe des “Processus”

Download PDF

Vers la fin des années 60, le chômage fait sa réapparition dans les pays industrialisés et en 1973, le premier choc pétrolier marque la fin de l’ère de prospérité consécutive à la seconde guerre mondiale.

Les années 70 sont marquées par une croissance faible (ralentissement de l’augmentation de la production de biens et de services), accompagnée d’une forte inflation (hausse du niveau général des prix), dans un contexte généralisé de hausse du taux de chômage. C’est à cette époque qu’apparut le courant de pensée dit «néolibéral», prônant une restriction des interventions publiques dans l’économie et dont l’influence en occident éclipsa celle de l’interventionnisme Keynésien (qui y était, depuis 1945, le paradigme économique de référence). Les conceptions néolibérales de l’Homme (individu qui ne doit compter que sur lui-même), de la société (qui résulte d’un contrat et n’est constituée que de rapports intéressés entre individus) et de l’économie (soutien à des courants qui défendent la vision d’une autorégulation des marchés et prônent le « laissez-faire, laissez aller ») furent mises en application et véhiculées dans le cadre des politiques menées principalement par M.Thatcher, en Grande-Bretagne, à partir de 1979, et par R.Reagan, aux Etats-Unis, dès 1980.

Mobilisation générale

Dans l’Europe des années 90, les analyses et recommandations de l’OCDE (Organisation de Coopération au Développement Economique) et dans une moindre mesure du FMI (Fonds Monétaire International) engagent les Etats, pour la plupart confrontés à un chômage endémique, sur le chemin d’une convergence des politiques nationales en matière d’emploi.

L’impact des recommandations de l’OCDE et du FMI, institutions toutes deux favorables aux axes politiques privilégiant une croissance basée sur la compétitivité des entreprises, aboutiront notamment à l’adoption par l’Union Européenne d’une méthode de coordination entre les Etats basée sur le partage de leurs expériences et la comparaison de leurs systèmes, et ayant pour objectif d’optimiser leurs politiques d’emploi. La stratégie pour l’emploi (SEE) était lancée. La SEE est basée sur 24 lignes directrices elles-mêmes réparties suivant quatre piliers : l’aptitude à l’emploi, l’esprit d’entreprise, l’adaptabilité et l’égalité des chances.

Subordonnée au développement de la compétitivité de l’Union Européenne, la SEE vise à faire de l’Europe un lieu propice à la création d’entreprises ainsi qu’un pôle d’attractivité pour les investisseurs.

Pour permettre à l’Europe d’atteindre ces objectifs, la SEE telle qu’elle a été conçue se doit de créer les conditions pour générer sur place une main d’oeuvre à la fois disponible (flexibilisée), performante (qualifiée) et bon marché (charges patronales et salaires réduits).

Ainsi, la SEE sera utilisée afin de générer et d’entretenir une masse de chômeurs mobiles et rapidement opérationnels : en introduisant davantage d’hommes, de femmes, de jeunes, de vieux, d’immigrés et de handicapés sur le marché de l’emploi, la SEE favorise l’augmentation de l’offre de travail. Une augmentation qui contribue au maintien d’une pression sur les salaires, et qui tend à les faire diminuer. C’est le fameux principe de l’offre et de la demande : les travailleurs qui se font rares sont chers, les travailleurs en surnombre sont bon marché.

Enfin, pour accroître les rendements et la productivité, la SEE met l’accent sur la formation tout au long de la vie et vise à familiariser les enfants avec cette situation dès l’école. L’accent sera placé notamment sur la promotion de l’usage des technologies de l’information et de communication (TIC).
En misant sur une mécanisation et une informatisation accrue, les tâches seront toujours davantage éloignées des savoirs-faire et savoirs-être liés à des années d’apprentissage et de pratique, ce qu’on appelle génériquement « avoir du métier ». Dorénavant, l’informatisation aidant, il n’y aura plus que des « opérateurs », des employés interchangeables par
définition. Et cet aspect d’interchangeabilité repose sur le fait que, quelle que soit la fonction, la formation requise ne durera que le temps de leur apprendre à se servir du logiciel ou de la machine employée pour accomplir la tâche. Autre aspect à noter : lorsqu’elles sont financées à partir des fonds structurels européens, les formations évitent aux entreprises des dépenses et pertes de rendement liées à la formation de leurs salariés dans le cadre d’un contrat de travail.

Et nous, dans tout ça ?

Le cadre est fixé, les objectifs aussi. Lisbonne, Luxembourg : nous sommes dans l’Europe des “processus”. Les programmes s’élaborent comme par enchantement et donnent à l’Europe une allure algorythmique. Plutôt que de servir des objectifs qui leur soient propres, les politiques sociales du système Européen sont soumises à la logique d’un marché. Des millions de personnes sont mobilisées dans une “entreprise” dont elles ne savent pas grand chose, une entreprise qu’elles portent à bout de bras sans savoir pourquoi elles y travaillent.

La réalité de notre situation, couverte par des termes ambigus et vagues, peut être entraperçue par la réflexion, les comparaisons et les recoupements, mais les discours de façade abondent. Les termes tels que celui de “modernisation”, employé si souvent à tout propos (vis-à-vis de l’éducation, des conditions de travail, des systèmes d’indemnisation…), les acronymes (SEE, OCDE, FMI…), le jargon, sont autant d’obstacles à la compréhension et, partant, à une vraie critique, de ces « processus » dont nous sommes les acteurs involontaires et…activés !

———————

La Stratégie Pour l’Emploi en 10 points

1. La mise en place de mesures préventives et actives pour les chômeurs et inactifs.

Les programmes d’assistance (profilage, offres de formations, orientation directe,…), de contrôle (entretiens réguliers, suivi, tests psychologiques…) et les sanctions (suspension d’allocations, radiation,…) en constituent les applications directes.

2. La promotion de l’esprit d’entreprise.

Développé dans le cadre de formation et éventuellement à l’école moyen les réformes scolaires adéquates. Les Etats dans cette perspectives sont encouragés à se fixer des objectifs de réduction progressive de la pression fiscale sur le travail et les coûts non salariaux du travail.

3. La promotion de la mobilité et de la flexibilité

(d’horaires, de salaire, d’emploi) sur le marché du travail.

4. La promotion du développement du capital humain et la formation tout au long de la vie.

Par exemple, des formations en vue d’accompagner l’évolution continue des standards technologiques.

5. L’augmentant de l’offre de main d’oeuvre et la promotion du vieillissement actif.

Les personnes âgées seront de plus en plus incitées à grossir les rangs des personnes “employables”, ou masse de travailleurs de réserve.

6. La promotion de l’égalité des genres.

Là encore, l’objectif est d’accroître la masse de travailleurs de réserve.

7. L’intégration et la lutte contre la discrimination des publics défavorisés (handicapés et personnes issues de l’immigration).

Le but est de favoriser l’attractivité de la main d’oeuvre d’origine étrangère (généralement moins chère) pour les tâches basiques comme pour les tâches hautement qualifiées.

8. Le renfort de l’attractivité du travail.

Il sera plus avantageux d’avoir un travai,l pas forcément parce que les salaires ou le pouvoir d’achat seront plus grands, mais simplement parce que le quotidien du chômeur sera rendu insoutenable.

9. La transformation de l’emploi illégal en emploi régulier.

10. Le développement du potentiel local, l’encouragement à la création d’activités et d’emploi dans le privé.

———————————-

On l’a vu, les stratégies mises en place depuis la fin des années 90 dans le cadre des politiques européennes pour l’emploi (cf.p.6) ont fait de l’activation un des axes prioritaires. La plupart
des pays de l’Union ont d’ailleurs mis en œuvre toutes sortes de mesures visant à rencontrer cet objectif, et les études comparatives sur le thème indiquent une tendance générale au renforcement de l’accompagnement et du contrôle des chômeurs. Toutefois, les politiques d’activation ne sont pas mises en œuvre de la même façon ni avec la même intensité selon les pays. Nous tenterons donc de définir les principales mesures adoptées par les pays membres, tout en comparant certaines modalités d’application et en soulignant, à travers des exemples, les particularités nationales. Des tendances devraient ainsi se dégager. Nous apporterons aussi quelques éléments d’évaluation et conclurons par les questions essentielles qu’induisent les stratégies européennes d’activation.

Les principales mesures relevées dans l’U.E.

Le principe même des stratégies d’activation est d’encourager les demandeurs d’emploi à une démarche plus active de recherche de travail et/ou d’amélioration de leur « employabilité ». Elles se définissent notamment par : a) une intervention précoce du service public de l’emploi (SPE) au cours de la période de chômage et des contacts fréquents entre conseillers et demandeurs d’emploi ; b) le pointage périodique et le suivi de la disponibilité pour le travail et des activités de recherche d’emploi ; c) l’orientation directe des demandeurs d’emploi vers les postes à pourvoir; d) la mise en place de conventions de retour à l’emploi ou de plans d’action individuels ; et e) l’orientation vers des programmes actifs du marché du travail (PAMT) afin d’éviter la baisse de motivation, de compétences et d’employabilité provoquée par un chômage de longue durée.

Toutes ces mesures obéissent au principe des « obligations mutuelles » et ont pour but de s’assurer que les bénéficiaires des allocations de chômage remplissent bien les conditions requises et, si nécessaire, d’appliquer des sanctions temporaires ou de procéder à des radiations. Par ailleurs, l’introduction de la concurrence et de mécanismes de marché est une caractéristique nouvelle des services de l’emploi dans certains pays, où la mise en œuvre des mesures d’activation est désormais confiée à des prestataires privés.

Variabilité des modalités d’application

L’inscription auprès du service de l’emploi est dans la plupart des pays une condition préalable à l’indemnisation. Dans une perspective d’activation, celle-ci permet une prise en charge immédiate du chômeur (constitution de son dossier…), qui favorise une intervention rapide et organisée des services de l’emploi.

Dans certains pays, l’ouverture des droits prend effet au moment de l’inscription (Allemagne, Autriche, Danemark, Grèce, Hongrie, Portugal, Rép.Slovaque, Royaume-Uni). Dans d’autres pays, la demande d’indemnisation précède la demande de placement (Belgique, Espagne, France, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Rép. Tchèque). Le délai avant le premier entretien approfondi, au cours duquel a lieu la constitution du dossier du demandeur d’emploi, est également variable. Parfois, cela se fait au moment de l’inscription (Autriche, Belgique, Grèce, Pays-Bas, Portugal, Rép.slovaque), mais dans d’autres cas on compte entre 5 et 10 jours (Allemagne, France, Rép.Tchèque, Royaume-Uni, Suède), voire deux semaines à un mois (Espagne, Irlande, Luxembourg).
La fréquence des contrôles de recherche d’emploi est elle aussi très variable. Cela peut aller de toutes les deux semaines (Rép.Tchèque, Royaume-Uni) à tous les mois (Autriche, France, Hongrie, Pays-Bas), en passant par des intervalles plus courts pour certains demandeurs d’emploi (une semaine en Finlande et en Rép.Slovaque). Dans certains pays, les contrôles ont très rares (Italie) voire inexistants (Grèce). De façon générale, on note tout de même que la fréquence des contrôles de recherche d’emploi tend à augmenter dans la plupart des pays.

Le nombre de démarches à justifier en un mois est également fort variable. On constate que, pour la plupart des pays, ce nombre varie selon divers facteurs tels que l’âge des chômeurs, l’
étape du processus d’accompagnement à laquelle ils sont arrivés, la participation à des programmes actifs du marché du travail (PAMT).

Notons aussi une variabilité de la fréquence des entretiens approfondis, qui peuvent se dérouler d’une fois tous les 15 jours (Rép.Tchèque, Royaume-Uni) à une fois par mois (Rép.Slovaque, Belgique, et jusqu’à une fois tous les deux ou trois mois (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Hongrie, Luxembourg, Suède)

Efficacité, coût et effets pervers

La plupart des études consultées constatent une corrélation entre stratégies d’activation et retour à l’emploi. Toutefois, beaucoup d’éléments manquent encore pour pouvoir effectuer une évaluation nuancée de l’efficacité des différentes mesures, et notamment du rapport coût-résultats. En Belgique, selon le rapport annuel 2008 de l’ONEM, les mesures d’activation ont coûté 620 millions d’euros (soit 36% de plus qu’en 2007). Et ce sans tenir compte des emplois subsidiés vers lesquels les chômeurs sont orientés via l’activation : les Titres-services ont coûté 880 millions d’euros en 2008, tandis que les frais d’assurance et d’administration relatifs aux prestations ALE s’élèvent à 6 millions d’euros, pour 2008 toujours.

La question du type d’emploi qu’ont retrouvé les personnes grâce aux politiques d’activation, ou celle de l’impact des sanctions et exclusions sur la soi-disant baisse du chômage, mériteraient également d’être prises en compte.
Enfin, d’autres questions restent sans réponse de la part des experts européens… En cas de chômage élevé et de carence d’emplois vacants, en quoi les stratégies d’activation peuvent-elles faire la différence ? La multiplication des obligations d’envoi de C.V. ne risquent-elles pas d’engendrer un cynisme de la part des employeurs ? Les chômeurs ne vont-ils pas, sous la pression, accepter des postes qui ne leur correspondent pas et, dès lors, retomber très vite au chômage ? Enfin, de strictes mesures d’activation sont-elles préférables, par exemple, à une politique d’indemnisation de tous ceux et celles qui produisent des richesses culturelles et alimentent l’économie du savoir ?

——————

Quelques particularités nationales

Pays-Bas :

Les personnes qui ne sont pas immédiatement employables sont orientées vers des opérateurs privés ou associatifs.
Le principe de concurrence et les lois du marché ont été appliqués aux stratégies d’activation qui sont en partie confiées à des organismes privés.

Allemagne :

Les demandeurs d’emploi doivent envoyer 30 lettres de motivation par mois. Ils doivent répondre dans les 24 heures à un courrier. Ils doivent mettre leur situation à nu devant leur conseiller, et montrer leurs extraits de compte. S’ils possèdent une voiture valant plus de 5000 eur, ils doivent la revendre pour en acheter une moins chère et vivre avec l’argent restant, car l’allocation est alors suspendue à hauteur de l’excédent. Le conseiller peut obliger le demandeur d’emploi à effectuer des travaux d’intérêt général (qui étaient jusqu’alors réalisés par des travailleurs salariés !) pour 1 euro de l’heure.

Irlande :

Il est interdit de déménager dans une zone offrant moins de possibilités d’embauche, sauf en fournissant une justification jugée valable par les services de l’emploi.

Royaume-Uni :

Le New Deal (grand programme national d’activation des chômeurs) comporte un plan strict en 3 phases, qui durent respectivement 16 semaines, 26 semaines, puis 6 semaines.

Danemark :

Le demandeur d’emploi doit déposer son curriculum vitae sur un site qui constitue une banque de C.V. à la disposition du service public de l’emploi, des caisses d’assurance chômage, des demandeurs d’emploi et des entreprises. Le demandeur doit réactiver son C.V toutes les semaines.

Aucun commentaire jusqu'à présent.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Archives

Catégories

Auteurs