Le Paradoxe au fil des nuits

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L’événementiel

Souvent présenté comme un milieu actif et dynamique, l’événementiel attire beaucoup de jeunes, d’autant plus quand le discours officiel affirme qu’il s’agit d’un secteur florissant et potentiellement créateur d’emploi. Il semble pourtant qu’en pratique, les choses ne soient pas aussi évidentes, ne serait-ce que pour se mettre d’accord sur la signification même du terme. Fabrice Lamproye, organisateur du festival «Les Ardentes », Marie-Claire Baldewyns, enseignante à la Haute Ecole de la Province de Liège et Jean-Marie Wynants, journaliste culturel pour « Le Soir », ont confronté leurs point de vues.

« Événementiel » : une définition

Une enquête préliminaire parmi les structures locales avait permis d’aboutir à ce constat surprenant : l’activité principale de nombreuses boîtes « d’organisation d’événements » consiste à proposer des séminaires de management et autres techniques de vente à des entreprises privées. L’événementiel tel qu’on le conçoit généralement, c’est-à-dire l’organisations d’événements culturels, n’entre que pour très peu dans les attributions de ces sociétés.

Mais au fond, qu’est-ce que l’événementiel ? Selon Marie-Claire Baldewyns, « la notion est aussi vaste que celle de « communication ». L’événementiel caractérise tous les projets présentant une composante originale dans leur forme ou dans leur contenu —voire les deux à la fois—qui nécessitent une préparation en amont, et visent un public-cible précis ». Jean-Marie Wynants propose quant à lui de s’en tenir au domaine des activités artistiques, et de considérer qu’on peut parler d’ « événement/événementiel » dès qu’on est en présence d’une manifestation culturelle, qu’il s’agisse de théâtre, de littérature, de cinéma, de musique, d’art plastique, etc. Ensuite, il établit cette nuance fondamentale : « l’événementiel, c’est le moment où le contenu artistique, quel qu’il soit, disparaît derrière l’événement. C’est un phénomène auquel nous sommes souvent confrontés en tant que journalistes : les seules informations que nous réussissons à obtenir sur une manifestation à laquelle nous sommes invités ne nous permettent pas de savoir de quoi il s’agit, mais visent uniquement à nous convaincre de la nécessité d’y être ! C’est une pratique courante chez les promoteurs : pour vendre un événement, on le « gonfle » en ajoutant des éléments qui se veulent sensationnels : l’événement est exceptionnel, ne se produira qu’une fois, et n’est donc à manquer sous aucun prétexte. Et la façon dont le public réagit est très frappante : on se rend compte que les gens sont déçus, bien sûr, mais ils ne veulent pas l’admettre, parce qu’après tout, c’est quand même « l’événement de l’année » ! Un exemple récent est la façon dont a été présenté « Astérix aux Jeux Olympiques » : la communication faite autour du film, basée sur son coût astronomique et sur les tensions entre les acteurs, à presque fait oublier qu’il s’agit de cinéma – c’est cette façon de vendre un produit que je qualifie d’« événementiel ». »

Travailler dans l’organisation d’événements

Le domaine de l’événementiel, toujours présenté comme un secteur en pleine expansion, attire beaucoup de futurs travailleurs. Mais comment forme-t-on les professionnels de ce secteur ? Pour ce qui est du domaine de l’enseignement, Marie-Claire Baldewyns rappelle que « le cours d’organisation d’événements n’est jamais qu’un élément parmi la multitude de cours qui constitue le programme des écoles de communication ». En effet, selon elle, un panel de cours tel que celui proposé par la Haute Ecole de la Province de Liège, allant des techniques d’expression écrite aux méthodes de communication d’entreprise, permet aux étudiants d’appréhender les métiers de la communication dans toute leur diversité : « la communication est dans tout, et cela se ressent à travers la multitude de domaines dans lesquels nos étudiants vont choisir de réaliser leurs stages, allant de l’organisation d’événements au
journalisme, en passant par le travail dans le monde associatif.
» Fabrice Lamproye rappelle quant à lui que l’événementiel se base sur l’association de compétences diverses : « un événement qui ne dure que quelques jours repose sur un énorme travail de fond, et nécessite d’associer diverses aptitudes : dans le cas de l’organisation d’un festival rock, il faut bien sûr s’occuper de la programmation, mais aussi de la recherche de sponsors et de la logistique, qui représentent une charge très importante. Il faut vraiment tenir compte de l’aspect pratique des choses si on veut travailler dans ce secteur. »

Concernant l’insertion dans le monde du travail, M-C Baldewyns reste assez optimiste : « il y a une multitude d’endroits où il est possible de travailler, allant du domaine culturel à celui des entreprises, en passant par les différents services de communication intégrés, comme ceux des hôpitaux par exemple. Et c’est surtout la personnalité des étudiants qui va les orienter dans leur choix professionnels. » J-M Wynants se montre quant à lui plus sceptique sur ce passage à la vie active : « de par mon expérience, je constate que beaucoup de personnes issues des études de communication au sens large, du journalisme aux relations publiques, débutent leur vie professionnelle par une activité alimentaire, et malheureusement, se voient contraintes de continuer à exercer cette activité pendant toute leur carrière, faute de mieux. » Selon lui, une formation en communication ne prépare pas nécessairement les étudiants à faire face aux difficultés concrètes du secteur : « en parlant avec des stagiaires, j’ai l’impression que les écoles donnent une vision idyllique de ce secteur, qu’on présente comme dynamique et motivant. Mais la réalité, c’est qu’un poste de « chargé de communication » peut par exemple consister à rédiger toute la journée des communiqués de presse pour de grosses entreprises, ce qui est assez éloigné de l’idéal des personnes concernées. De plus, c’est un milieu où on risque d’être plutôt mal payé, et où il y a d’autre part énormément – et de plus en plus ! – de turn-over.» Ce dernier point doit toutefois être re-contextualisé, selon M-C Baldewyns : « je ne pense pas que ce roulement soit spécifique à la communication : aujourd’hui, les jeunes diplômés, peu importe de quelle école, savent qu’ils ont peu de chances de conserver le même poste tout au long de leur carrière. C’est lié à notre époque ! »

L’événementiel dans un contexte de crise

Actuellement, le discours officiel tend à présenter la culture comme un important facteur du redéploiement économique, et, parallèlement, use de cet argument pour encourager le secteur culturel à délaisser progressivement les subsides et à rechercher de nouvelles sources de financement auprès des investisseurs privés, notamment via le sponsoring. C’est le cas d’un événement tel que « Les Ardentes ». Selon Fabrice Lamproye : « les subsides publics ne représentent que 10% du financement du festival. Nos revenus proviennent pour 50% de la billetterie, auxquels s’ajoutent 25% de financement privé. Le reste de notre recette est constituée de la vente de produits dérivés ainsi que des bénéfices réalisés grâce à l’HORECA. » Jean-Marie Wynants rappelle par ailleurs que pour les événements à gros budget, le merchandising constitue presque l’unique source de revenus : « pour un concert tel que, par exemple, celui de Madonna, la vente des tickets est devenue accessoire. Tout est axé sur les produits dérivés, et surtout sur le conditionnement du public, que l’on convainc de la nécessité de prouver sa participation à cet événement unique par l’achat d’un t-shirt ou d’un badge. »

L’intérêt économique que peut constituer l’événementiel pour la région dans laquelle il prend place dépend donc de la façon dont il est envisagé par ses promoteurs. En effet, dans le meilleur des cas, le secteur économique peut bénéficier de l’apport d’un festival, comme l’affirme F. Lamproye : « les Ardentes ont un effet très positif
sur l’économie de la région Liégeoise, et ce à trois niveaux. Premièrement, nous essayons au maximum de travailler avec des entreprises locales, tant au niveau de la technique et de la sécurité, que pour les concessions HORECA, qui font appel aux restaurateurs liégeois ; deuxièmement, le festival permet de donner un coup de projecteur à la ville de Liège, et de participer de façon positive à sa notoriété ; et troisièmement, il draine une clientèle non négligeable pour les commerçants du quartier de Coronmeuse ». Cependant, dans le cas d’événements où l’aspect mercantile domine, il n’y a aucun bénéfice pour le secteur culturel ou économique local : « tout le commerce fait autour de l’événement est organisé – et cadenassé ! – par la production
» explique J-M Wynants, « et cela constitue une énorme structure, allant de l’équipe de montage aux restaurateurs en passant par le personnel aux caisses, qui se déplace en même temps que l’événement, et ne laisse rien aux exploitants locaux ».

Ce type d’événementiel, régi par une logique commerciale, appartient au domaine de la culture de masse, et en tant que tel, il dépend du pouvoir d’achat des consommateurs regroupés sous le prétexte d’une manifestation culturelle. Dès lors, dans un contexte de crise économique où le niveau de vie est diminué, quelles peuvent être les répercussions sur le secteur de l’événementiel ? Selon J-M Wynants : « un pouvoir d’achat limité oblige à faire des choix, et la particularité du secteur culturel est que ce n’est pas nécessairement le produit le moins cher qui va être privilégié. Au contraire, le consommateur aura tendance à consacrer la totalité de son budget à ce qui lui aura été présenté comme un « événement », au dépend de plusieurs activités moins onéreuses, mais n’ayant pas bénéficié du même abattage publicitaire. » Cependant, la crise économique, en questionnant les valeurs de notre société, permet d’adopter un point de vue moins pessimiste : « nous vivons une crise plus culturelle qu’économique » ajoute J-M Wynants « notre mode de vie, construit autour de la culture de l’argent, montre ses limites. Et cela permet l’émergence de nouvelles initiatives, en réponse à la demande d’un public qui veut autre chose qu’un argument publicitaire, qui cherche à échanger autour d’une culture vivante. Donc ça veut dire qu’en temps de crise, on a besoin de divertissement, mais aussi d’une culture qui nous permette de nous sentir humains. »

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L’artiste au travail

Gagner sa vie en tant qu’artiste nécessite souvent de savoir jongler avec les différents dispositifs prévus par le système, tandis que le foisonnement de statuts précaires impose de posséder certains dons d’équilibriste. Il suffit d’évoquer le « statut d’artiste » pour s’en rendre compte : pour la majorité des travailleurs du secteur culturel, un grand flou entoure les législations sociales les concernant. Afin d’y voir un peu plus clair, Sophie Bodarwé, consultante chez SMart, François Dubois, chargé de projet pour Job’In, Murielle Frenay, secrétaire adjointe à la FGTB et Gonzague Millis, secrétaire à la CGSLB, ont confronté leurs connaissances et leurs opinions.

Spécificités de l’artiste au travail

Sophie Bodarwé rappelle les statuts existants en Belgique : « en théorie, l’artiste, comme toute personne exerçant une activité professionnelle, est soumis à un des trois régimes de sécurité sociale : celui des travailleurs salariés, celui des travailleurs indépendants, et celui des fonctionnaires de l’Etat. Quant aux chômeurs et bénéficiaires du RIS, ce ne sont pas des statuts, mais des régimes assimilés à celui des travailleurs salariés. » Et on voit immédiatement en quoi cet état des choses pose problème : de manière générale, les artistes savent qu’il leur sera presque impossible d’obtenir un contrat d’employé dans leur domaine d’activité, mais ils n’ont pas tous pour autant l’envie de démarrer une activité d’indépendant. Quant au statut de fonctionnaire précisé par Murielle Frenay, il n’
est envisageable que pour une petite partie d’entre eux, : « les artistes considérés comme fonctionnaires du service public sont ceux qui travaillent dans les grosses structures culturelles telles l’Opéra, l’OPL ou encore le Théâtre de la Place. »

En fait, cette difficulté pour l’artiste (au sens large) à s’insérer dans la structure légale découle de son profil atypique : « la spécificité du secteur culturel est qu’on est en présence de personnes qui travaillent sur base de projets » explique S. Bodarwé, « cela suppose donc de nouvelles façons de travailler, de nouvelles collaborations, de nouveaux financements pour chaque projet, et d’autre part, ce mode de fonctionnement ne peut permettre que des revenus irréguliers et aléatoires. »

Etre salarié via SMart

C’est face à ce constat qu’a été constituée, il y a dix ans, l’asbl SMart : dans un premier temps, sa mission a été d’aider les artistes en les informant sur les administrations auxquelles ils était confrontés (ONEM, Service Public des Finances…). Par la suite, l’asbl a mis à disposition de ses membres des outils de gestion administrative qui permettent d’être rémunéré en tant que salarié pour des prestations, artistiques ou non, d’ailleurs, car d’autres acteurs de la sphère culturelle sont concernés par le travail intermittent (journalistes, guides de musées, traducteurs, producteurs…). S. Bodarwé insiste sur le fait que « SMart n’est pas une agence intérim ! L’asbl agit en tant que « tiers-payant » : elle offre des services qui permettent d’engager facilement des artistes, en se chargeant des tâches administratives lourdes qui découlent de cet engagement (prélèvement des charges sociales et du précompte professionnel, remise de C4, fiches de paie, etc.) » 1

Créer une entreprise avec Job’In

Les artistes et artisans qui souhaiteraient se lancer dans une activité d’indépendant pourront quant à eux faire appel à Job’In. Également créée il y a 10 ans, cette asbl a pour projet initial « de proposer une alternative novatrice en matière de lutte contre le chômage: l’autocréation d’emploi » 2. François Dubois explique : « toute notre philosophie d’action se base sur l’idée d’accompagnement. Notre but n’est pas la création d’entreprise à tout prix, mais de faire naître des TPE viables. Notre démarche est d’encadrer le porteur de projet, en intervenant au niveau de la coordination, ou encore en complétant des connaissances lacunaires en termes de gestion d’entreprise. » Parmi les outils proposés par Job’In, les principaux sont la couveuse d’entreprise, dispositif permettant à l’entrepreneur de tester son activité dans des conditions réelles, en conservant ses droits de demandeur d’emploi (et donc son allocation de chômage) et la micro-finance, crédit de moins de 25.000 € permettant de lancer une activité économique. Par ailleurs, face à l’émergence récente d’«entrepreneurs créatifs », Job’In a mis en place une nouvelle section Design : « elle s’adresse aux designers (au sens large : designers industriels, mais aussi stylistes, scénographes, artistes plasticiens, etc.) dont le projet comporte une plus-value en terme d’innovation, et a pour caractéristique de mettre plus de temps à atteindre la maturité et donc la rentabilité économique. » C’est à l’intention de ce type de projet qu’a été créée la bourse de pré-activité : « cette prime de 15.000 € permet de financer une étude de faisabilité. Elle est non-remboursable : s’il s’avère que le produit n’est pas calibré au marché, il n’y a aucune obligation de se lancer comme indépendant. »

Positions des syndicats

Cependant, quelles sont les positions des syndicats face à cet encouragement à la création d’entreprise ? Pour Gonzague Milis : « notre mission, en tant que syndicat libéral, est de défendre le droit de chacun à choisir l’occupation qui lui convient. » Et par rapport aux artistes indépendants : « c’est peut-être un des
nouveaux champs d’application du syndicalisme : la solidarité pourrait s’étendre aux personnes qui travaillent seules ou en petites structures, puisqu’elles créent de la richesse et participent au développement… La CGSLB peut apporter au petit entrepreneur un soutien administratif, et surtout lui permettre de faire entendre sa voix dans les revendications politiques.
»

M. Frenay insiste : « la création d’entreprise ne doit pas être un projet professionnel par défaut. L’aide qu’apporte Job’In à la création d’entreprises, très éloignée des finalités commerciales néo-capitalistes, répond très bien à la demande de certains artisans. Mais le choix de démarrer une activité doit se faire en connaissance de cause. » Et d’ajouter : « un changement brutal de statut ne va pas sans une prise de risque ! Je pense qu’il serait plus intéressant d’envisager un glissement par paliers, qui permettrait, en fonction du nombre d’heures de travail, du chiffre d’affaire, etc. de passer progressivement du statut de chômeur complet indemnisé à celui d’indépendant. »

Concernant la représentation syndicales des artistes, les deux syndicalistes sont d’accord sur un point: les structures restent à inventer. « Un syndicat se fonde sur des principes de solidarité et de collectivité » explique M. Frenay. Et de poursuivre : « pour faire aboutir des revendications, les travailleurs doivent se grouper par fédérations, par affinités de métier, par entités géographiques, etc. Or il n’y a pas de coalition d’artistes : ils doivent trouver des façons de le faire, pour être défendus collectivement. »

Quid du « statut d’artiste » ?

Obtenir une réponse claire sur l’existence d’un « statut d’artiste » en Belgique n’est pas chose facile. Selon SMart : « il n’existe pas, à proprement parler, de «statut» de l’artiste. S’il existe dans la législation sociale, certaines règles propres aux artistes, il n’y a toutefois pas de «statut» spécifique pour les artistes » 3 Cependant, des cas particuliers existent, comme celui de M.Y, créatrice d’accessoires de mode: « j’ai obtenu auprès de l’ONEM un statut d’artiste qui me permet d’être chômeuse ET indépendante complémentaire. Théoriquement, je dois signaler les jours où je travaille dans mon atelier, parce qu’ils sont considérés comme du travail, et ne doivent pas être indemnisés par le chômage. En pratique, je suis obligée de jongler avec les réglementations pour pouvoir subsister. Je considère qu’il s’agit d’un état provisoire: mon but est de devenir indépendante à temps plein.»

Ce bricolage de statut est fortement décrié par SMart et Job’In : « l’ONEM, par dérogation et au cas par cas, autorise l’artiste à avoir des prestations ponctuelles : quand il fait une vente, un concert, etc., il coche sa carte de pointage, et le reste du temps il perçoit des allocations. Cela attire beaucoup d’artistes, mais ça les met dans une situation paradoxale : en tant que chômeurs, ils sont assimilés aux salariés, et continuent de dépendre de l’ONSS, mais en tant qu’indépendants complémentaires, ils doivent également verser une cotisation à l’INASTI 4» explique S. Bodarwé. F Dubois ajoute qu’ « un grand flou entoure ces réglementations : il suffit d’essayer de se renseigner auprès de l’ONEM pour s’en rendre compte. En conséquence, la plupart des artistes ne connaissent pas leurs droits et leurs obligations, ni les risques en cas de non-respect de ces derniers. »

Par ailleurs, une des dernières revendications de SMart porte sur les modalités d’attribution de ce «statut d’artiste » : « pour obtenir le droit de gérer son activité en tant qu’indépendant, l’artiste doit passer devant une Commission composée de deux membres de l’ONSS, deux membres de l’INASTI 5, et présidée par un juriste indépendant. Pour émettre son avis, celle-ci se base sur une série d’indicateurs, dont la possibilité pour l’artiste de se procurer un revenu vital. Mais ces indicateurs ne sont inscrits dans aucun des textes légaux ou réglementaires : SMart se bat pour que ce critère des revenus, indispensable, soit inscrit dans la loi. De plus, étant donné que la Commission est également sensée informer les artistes sur leurs droits sociaux, il serait nécessaire qu’un représentant des artistes en fasse également partie. »

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Les formes collectives

Le 4 avril après-midi , en conclusion des « Nuits du Paradoxe » consacrées aux formes artistiques collectives, une discussion informelle animée par N.Ryckewaert, permanente de l’asbl «D’une certaine gaieté », a réuni des membres des collectifs «Kramick » et « Albalianza », et des asbl « Fragments » et «Jaune Orange » qui, du mercredi au samedi, entre expo, fresque collective, projections, théâtre, concert et DJ-ing, se sont approprié l’espace des Ecuries du Manège.

Comment et pourquoi émerge à un moment donné le désir de mettre en commun des contenus et des pratiques artistiques? Quelles sont les spécificités d’un travail collectif? Quels sont les écueils à éviter? Comment se prennent les décisions et se répartissent les tâches? Quelles solutions pour régler les conflits? … Autant de questions abordées avec Barrack Rima, Aude Grillon, Deborah Kempczynski (Fragments), Gaëtan Lino, Jérôme Collette, Hugo Vandendriessche (Albalianza), Eric Swennen (Jaune Orange), Julie Gelon et Anne-Sophie Bomal (Kramick). Echos croisés…

« Fragments » s’est constitué en asbl afin de mettre sur pied une structure juridique qui leur permette d’introduire des demandes de subsides. Différents microcosmes sociaux coexistent au sein de l’association. « Parmi les membres, certains sont plutôt des théoriciens : il y a un journaliste, un linguiste traducteur et un libraire, qui est aussi philosophe. Ils ne pratiquent pas de discipline artistique, mais l’espace d’échange entre nous fonctionne » explique Barrack. Sur la notion de « collectif », il précise : « Ce n’est pas vraiment un projet collectif centré sur un concept précis, avec une orientation définie… Nos liens se créent davantage par affinités, par contextes, par projets. Certains vont et viennent, travaillent quelques mois avec nous, puis on ne les voit plus pendant une longue période… » Une forme d’intermittence spatio-temporelle, qui n’empêche en rien ce désir fondamental d’aller vers les autres, qui fonde la plupart des initiatives collectives, comme le dit très bien Aude : «Nous sommes tout de même le résultat de cette envie de confronter et de partager, de ne pas être seul(e). Le fait qu’on soit plusieurs donne aussi une liberté, d’essayer, de regarder, de se planter… ».

Pour « Albalianza », la constitution d’une forme collective est toute récente. Gaëtan raconte : « On se croisait souvent dans les soirées, on était souvent amené à bosser ensemble. On s’est dit que ce serait peut-être pas mal de se mettre autour d’une table et de commencer à se poser des questions. Tenter de voir comment on pourrait être efficaces, comment on pourrait peut-être représenter d’autres personnes qui gravitent autour de nous et qui nous intéressent. » Gregory poursuit : « On a été assez ambitieux, en fait. Chaque groupe s’est amené avec ses propres objectifs. Quand on s’est mis en collectif, ça a fait beaucoup d’objectifs à gérer… »

Le collectif « Kramick » est né des questionnements et de l’état des lieux de jeunes diplômés en études artistiques . Julie se souvient: « Nous étions convaincus du talent de certains proches, mais on voyait ces talents se perdre un peu. Ça nous faisait peur, on ne voulait pas abandonner nos passions, par nécessité ou pas fatigue. Alors on conçu un événement qu’on a vraiment bien pensé, avec l’idée de le faire durer dans le temps. Ça a très bien marché. Mais
nous avions beaucoup d’ambition, on voulait sauver tous les dessinateurs en détresse, leur trouver du travail, organiser des passerelles entre les professionnels et les jeunes créateurs, se faire les relais du milieu associatif. Parce qu’à la base, on pensait qu’il n’y avait rien à Liège, dans le domaine, mais en réalité, tous les ans, il y a des nouvelles initiatives
».

« Jaune Orange » s’est créé il y aura bientôt dix ans, à l’époque où le monde découvrait les mp3 et les pages internet « perso ». Eric explique : « On côtoyait déjà quelques groupes, alors on s’est dit : « Créons nous-mêmes des page web, des mp3, des bios. » Et puis, de fil en aiguille c’est devenu dix, quinze groupes, ensuite des soirées, des concerts et une première compilation. » Le développement de «Jaune Orange » fut tel que, pour pouvoir poursuivre leurs activités de façon efficace, ils ont décidé à un moment donné de passer à un statut d’asbl et de structurer quelque peu leur fonctionnement : « On s’est rendu compte que des réunions à quinze groupes, c’était insoutenable. C’est assez compliqué d’être constructif. Donc il y a quelques années, on a pris la décision tous ensemble de créer un Conseil d’administration pour gérer les activités au quotidien et promouvoir tout ce qui touche à «Jaune Orange.»

Du commun au conflictuel…

Cette question du nombre, et de la difficulté de prendre des décisions ou de concrétiser les choses quand on est quinze ou davantage encore autour de la table, ne concerne pas que « Jaune Orange ». «Albalianza » relève exactement les mêmes écueils. « Nous nous sommes posé la question de savoir s’il ne faudrait pas un organe décisionnel de 3, 4 personnes ? À un moment , il faut que le reste du groupe fasse confiance, car ce n’est pas possible autrement ». Outre la question du nombre, la forme collective implique inévitablement celle du conflit. Comment gérer les désaccords? « Albalianza » a été dès le début confronté à cette question : « A notre première réunion, alors qu’on était censés être des amis, il y a eu un gros clash sur la question de faire rentrer ou non la politique dans le collectif. A un moment donné, il a fallu que les personnes concernées fassent le choix de poursuivre, ou de se retirer du groupe . Si on n’a pas envie de travailler ensemble, il faut choisir dès le début. Il faut une énergie plus ou moins commune . Finalement, il y a eu une espèce de filtrage naturel : ceux qui n’étaient pas d’accord ne sont pas revenus… ».

« Fragments », au contraire, n’aborde absolument pas le conflit de la même façon : « On n’est pas toujours d’accord, loin de là, mais quand on ne l’est pas , on ne se réunit pas pour essayer de se mettre d’accord…Si on est dans une forme collective, on est avant tout dans une forme libre » précisent Barrack et Aude. « Kramick », jusqu’ici, semble avoir réussi à éviter ce souci, ainsi que l’explique Julie : « Pour le moment, on a de la chance, ça se passe très naturellement et sans heurts. Quelqu’un amène un projet et c’est lui qui en gère plus ou moins l’organisation. Puis, les autres se mettent d’accord sur ce qu’ils vont amener ».

Les micro-politiques de groupe indiquent souvent des difficultés dans la répartition des tâches. Pour «Albalianza », les choses se traduisent en termes de « moteurs » : « Il y a toujours des gens qui sont plus actifs que les autres. Il y a ceux qui sont sur le terrain, qui ont pensé aux choses, qui ont préparé un ordre du jour… Au final, sur une quinzaine de personnes, seules trois ou quatre maîtrisent la matière sur la longueur et peuvent faire le point sur là où en est et là où on va ». Julie, de « Kramick », va dans le même sens : « C’est clair qu’il y a des gens qui s’impliquent plus dès le début. Mais parfois, ils se fatiguent et s’en vont. Ce n’est pas toujours facile d’être la locomotive…si la personne se retrouve seule, cela peut très vite être usant. » « Jaune Orange» ponctue : « Oui, d’ailleurs, les fondateurs du collectif ne sont plus là aujourd’
hui…
»

Echanges de pratiques et mélange des genres

Notre souhait, en tant qu’organisateurs, était que ces quatre formes artistiques collectives puissent non seulement coexister, mais se mélanger, échanger, mettre en commun expériences, désirs, techniques… Force fut de constater, lors de cette discussion, que nous n’avions pas suffisamment pensé et réfléchi cette mise en commun potentielle. Nous avons cru que la coexistence des contenus artistiques et des personnes dans un même espace-temps suffirait à ce que ça fonctionne, sans nous rendre compte que, par exemple, « Albalianza » et « Jaune Orange » n’ont physiquement pas eu l’occasion de croiser «Kramick» et « Fragments »… pour une simple question d’horaires. Et, au-delà de ce décalage temporel, cette discussion, qui s’est tenue le dernier jour, fut finalement la seule occasion de communiquer et de formaliser cette idée d’échange. Aude, de « Fragments », regrette cette carence de contacts : « Dans la programmation, les choses ont été cloisonnées. Nos projections se sont par exemple déroulées à des moments où il y avait peu de public, alors qu’on aurait pu profiter de la soirée du vendredi, où les gens allaient et venaient partout, pour diffuser nos productions, quitte à inventer d’autres formes telles qu’installation ou performance… » Deborah ajoute : « je projetais des photos, j’aurais pu le faire en direct avec un Dj. Ça aurait créé quelque chose de commun dans le même espace ». Barrack insiste : « je pense que l’échange, il arrive au moment où on confronte la pratique et la matière. » Anne-Sophie, de « Kramick », pense les choses au futur: « On pourrait imaginer une résidence, où on vivrait ensemble pendant une semaine pour imaginer un projet en commun à l’arrivée ».

Quels qu’aient été les écueils en termes de communication et de mise en commun préalable, toutes les personnes réunies autour de la table ce samedi après-midi se sont réjouies de cette occasion de se découvrir, finalement, et de croiser leurs regards sur leurs pratiques, leur histoire respective, et cette expérience de quatre jours aux Ecuries du Manège.

Notes:

  1. http://www.smartasbl.be/article.php3?id_article=275
  2. http://www.jobin.be/Mission_2.htm
  3. « Le statut social de l’artiste », sur le site de SMart : http://www.smartasbl.be/IMG/pdf/Statut_artiste.pdf
  4. « Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants »
  5. Présentation de la Commission par l’INASTI http://www.rsvz-inasti.fgov.be/fr/selfemployed/
    artist_commission.htm

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