En marge de la crise automobile : la marche

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C4 : Qu’est-ce que Trage Wegen ?

Andy Vandevyvere, [collaborateur à TW] : « Trage Wegen » s’occupe principalement des routes lentes autonomes, c’est-à-dire des chemins d’accès public destinés prioritairement aux usagers non-motorisés. C’est essentiellement un travail de sensibilisation, réalisé au niveau local avec les communes et les acteurs concernés, pour réhabiliter les anciennes liaisons intervillages (ou intravillages) tombées en déshérence, parfois même disparues. Beaucoup de ces chemins ont été effacés des paysages, faute d’entretien et d’usage, mais leur existence légale persiste, à travers un document qui fait toujours autorité, l’Atlas des chemins et sentiers vicinaux réalisé dans les années 1840-1845 . On repère ce qui existait autrefois, on compile les données et publie des outils, et, à partir de là, on voit ce qui peut être réhabilité, en collaboration avec les usagers. Nous privilégions le dialogue, parce que les intérêts sont parfois très divergents entre les agriculteurs, qui considèrent les chemins surtout en fonction de l’exploitation agricole, les communes, invitées à reconsidérer leur négligence du passé vis-à-vis de ce patrimoine paysager, les clubs récréatifs (promeneurs, cyclistes, cavaliers, etc.), ou encore les associations de préservation du patrimoine ou de défense de l’environnement…

C4 : Comment est née l’association ?

A.V. : En 2002, une quarantaine d’associations environnementales se sont rassemblées en plate-forme, liée au « Bond beter leefmilieu » (équivalent flamand d’Inter Environnement), avec le souci de réhabiliter l’espace public, d’aménager le territoire de manière à rendre agréable et confortable cette voirie à utilisation lente. Les anciens chemins constituent un patrimoine qui, avec la mécanisation et l’accroissement de l’échelle de l’entreprise agricole notamment, avait été laissé à l’abandon. Au début des années 90, ces chemins, tombés en désuétude depuis parfois fort longtemps, sont de nouveau l’objet d’attention.

C4 : Quel intérêt y a-t-il à ces vieux sentiers ?
A.V. : Ils ont des rôles multiples à jouer. Un rôle environnemental évident : habitat idéal pour la faune et la flore, les chemins permettent à la biodiversité qui réside dans le paysage quotidien de se développer. Il ne s’agit pas seulement de créer des espaces naturels clos, isolés les uns des autres, il faut les relier, créer des corridors verts. La prise de conscience est relativement récente : pour ouvrir des opportunités intéressantes en terme de biodiversité, il faut travailler sur tout le territoire, sur le toit des immeubles ou avec des végétations murales, pour donner des exemples urbains. Les sentiers ont également une fonction « durable » en ce qu’ils stimulent des déplacements écologiques et contribuent au « modal shift ». En créant une infrastructure de sentiers qui soit agréable et sûre pour les usagers les plus vulnérables, on espère briser avec le paradigme de l’espace monofonctionnel et la « pensée capsulaire » qui ont cours depuis les Trente glorieuses et qu’aucun appel à la « prise de conscience » n’a pu jusqu’ici exorciser complètement. Enfin, ces sentiers ont un intérêt récréatif certain, ils permettent, notamment pour les plus jeunes, de découvrir sa région en s’amusant.


C4 : On comprend l’intérêt de liaisons intervillages pour la campagne, mais ce travail de réhabilitation est-il valable pour les zones urbaines modernes ?

A.V. : La distinction entre ville et campagne n’est plus si nette. Dans les vastes zones périurbaines, ce travail a tout son sens. Dans les centres-villes, ça passe par un autre biais, surtout par les piétonniers, mais aussi les intérieurs d’îlots, les friches, les axes ferroviaires, etc. C’est l’idée de l’« écopolis », avec ses maillages bleu et vert, qui ouvrent les villes grâce à de nouvelles liaisons possibles. Dans la capitale, malgré les efforts de Bruxelles-Environnement (ex-IBGE), il y a encore beaucoup d’opportunités à saisir.

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C4 : Par définition, les chemins traversent les frontières des hommes. Quelles sont les collaborations inter-régionales que vous développez ?


A.V. 
: Les GR (Sentiers de Grande Randonnée) sont nos voisins de bureau ! Mais c’est vrai qu’on se concentre davantage sur le niveau local. Connecter les sentiers en réseaux, itinéraires, etc, c’est un travail qui se fait à un échelon supérieur, car il y a des enjeux, touristiques notamment, à réaliser des boucles que l’on peut plus facilement « vendre » au public. Nous, on fait les maillons, aux autres de réaliser les boucles !


C4 : N’y a-t-il pas un risque de « fonctionnaliser » les déplacements (piétons) ?

A.V. : Les chemins sont la trace de ce que les hommes en ont fait, les inscriptions de leurs mouvements spontanés. On ne peut pas recréer artificiellement les conditions naturelles d’utilisation. Nous sommes à l’écoute des demandes et des dynamiques locales. On donne des ouvertures, des possibles, pour que les usagers se l’accaparent.

C4 : C’est peut-être un effet de la crise, mais la marche et les déplacements piétons commencent, timidement, à intéresser les gestionnaires de tous poils, politiques notamment. Une bonne évolution ?

A.V. : On ne peut qu’approuver les efforts qui visent à promouvoir les déplacements quotidiens non-motorisés. La revalorisation des réseaux de sentiers ouvre des alternatives pour tous. Cependant, il faut non seulement prendre garde à que l’on réhabilite, mais aussi être attentif à la façon dont on s’y prend. Le risque d’une certaine « dysneylandisation », d’un dispositif qui chercherait à créer des chemins uniformes, lisses et aseptisés, est réel. Prenons l’exemple du discours qui prétend rendre l’espace public plus « enchanté » pour les enfants. Une idée louable, sauf qu’elle peut vite s’enliser dans la mise en scène d’un espace public factice, normalisant et sécuritaire.


C4 : Votre travail correspond-il à une philosophie de la lenteur ?

A.V. : Le déplacement, ce n’est pas seulement aller d’un point A à un point B, mais aussi une opportunité pour établir un certain rapport avec son alentour, ce joyeux brassage d’éléments humains, non-humains, naturels, matériels, symboliques, etc. Nous ne sommes pas contre la vitesse, mais diversifions nos manières d’être dans l’espace, de le construire , et de nous y déplacer.

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