L’être humain traverse au cours de sa vie de nombreux processus de crise. Certains lui sont personnels, tandis que d’autres touchent aussi son environnement. Si les plus intimes sont d’ordre psychologique ou familial, d’autres sont plus globaux et concernent les différentes sphères dans lesquelles il évolue, qu’elles soient politiques, sociales ou autres. Malgré leur nature spécifique, ces différentes crises ont une ligne directrice commune : plusieurs étapes peuvent ainsi être distinguées dans le développement d’une crise. Au départ, l’individu ou l’organisme concerné oscille entre la phase d’équilibre et celle de vulnérabilité. A l’état d’équilibre, de nombreux facteurs risquent de tout déstabiliser. Suite à ces nombreuses atteintes, l’état d’équilibre, appelé aussi homéostasie (tendance de tout organisme vivant à revenir à un état d’équilibre), se transforme en vulnérabilité. Si les réponses habituellement apportées ne suffisent plus à retourner à l’état initial, la perte de contrôle devient ingérable et tourne donc à l’état de crise. Un état tout d’abord caractérisé par la désorganisation, qui passe ensuite par une phase aiguë de paroxysme, pour se terminer par une « issue de crise » 1
Celle-ci peut être de trois sortes. La première est l’issue positive et entraîne un fonctionnement supérieur à l’état initial grâce à la mise sur pied de nouvelles stratégies. La seconde est neutre et débouche sur un fonctionnement identique à l’état initial. La troisième, quant à elle, est négative et entraîne un fonctionnement inférieur : la stratégie utilisée se révèle inadéquate pour faire face au problème et la désorganisation s’amplifie. Ainsi, la crise permet à l’organisme ou au système qu’elle perturbe de se fortifier ou bien, à l’opposé, le contraint à péricliter et sans doute en fin de compte à disparaître.
Le cas de la société capitaliste dans laquelle nous vivons permet malheureusement une propagation des crises par effet de domino : l’Histoire humaine foisonne d’exemples de crises qui n’ont servi que de prémisses à d’autres, parfois encore plus profondes et d’une autre nature. Ainsi, une crise financière risque fort de déboucher sur une crise économique, puis sociale et politique.
Ce que l’Histoire aurait dû nous apprendre
Aujourd’hui, c’est une crise financière ayant déjà muté en crise économique qui préoccupe et secoue l’ensemble de la planète. Cette crise est impressionnante car elle est sans doute la première à extension planétaire. Pourtant, ce n’est pas la première d’importance que le monde ait connu, et certainement pas la dernière, car l’une des caractéristiques de l’humanité est précisément sa propension à être traversée par les crises. Il est indéniable que depuis que le capitalisme a pris le pouvoir, la crise semble même être son état naturel. D’ailleurs, dans cet ordre d’idée, la journaliste et écrivaine canadienne Naomi Klein avance que les crises constitueraient le moteur du capitalisme. Les tenants de la doctrine libérale auraient ainsi souvent profité de ces nombreuses périodes de débâcle afin de restreindre l’intervention de l’Etat, de déréguler toujours un peu plus le marché, en appelant à l’Etat de droit uniquement quand cela les arrangeait 2.
L’une des premières crises financières d’importance se déclencha en 1636, à Amsterdam, en raison d’une spéculation effrénée autour d’un produit insolite, symbole à l’époque de luxe et de richesse : le bulbe de tulipe. Le prix de celui-ci commença à grimper, et comme chacun surenchérissait, il atteignit des sommes absurdes valant jusqu’à vingt fois le salaire annuel d’un artisan très spécialisé. C’est seulement quand certains se rendirent compte de l’irrationalité de ce prix que son cours commença à chuter et provoqua la panique sur les marchés. Cet épisode eut une issue positive qui conduisit à la structuration des marchés financiers des
Provinces-Unies (qui correspondent aujourd’hui aux Pays-bas) et qui permit à ce pays de figurer parmi les grandes puissances pendant de nombreuses années.
De nombreuses autres crises émaillèrent les 18e et 19e siècle. Ce dernier en connut d’ailleurs une longue et importante, connue sous le nom de « Grande Stagnation ». Celle-ci débuta avec l’effondrement de la bourse de Vienne en 1873. Le contexte était caractérisé par l’expansion sans précédent des grandes banques d’affaire dont l’inexpérience (bien qu’aujourd’hui, deux siècle d’expérience plus tard…) contribua à l’apparition de bulles spéculatives à l’origine du krach. Cette période fut surtout celle d’un important marasme économique contrastant avec la phase de croissance que venaient de connaître les pays occidentaux grâce aux innovations des secteurs chimiques et sidérurgiques. Ce passage de l’histoire a vite été oublié, en raison de l’apparition de « la crise de 1929» dont le déroulement aurait dû, en toute logique, servir de leçon. D’autant que cette banqueroute d’une ampleur effrayante fut suivie de près par une guerre abominable.
Le krach de 1929 trouve ses origines après la première guerre mondiale, alors que le capitalisme américain semble se porter à merveille. Les banques prêtaient allègrement et l’euphorie était à son comble : la confiance en une croissance illimitée aveuglait tout le monde. Une « bulle », tout d’abord immobilière, s’est alors formée, suivie d’une autre « bulle » sur le marché des actions (cela ne vous rappelle rien ?). Plusieurs éléments vinrent tout bousculer : parmi ceux-ci, le non-remboursement de prêts aux banques, et la constitution d’un cartel des grandes compagnies pétrolières qui fit monter le prix du pétrole et provoqua la chute de la vente de voitures. Le marché commença à s’effondrer et ruina ceux qui avaient gagé leurs emprunts sur la valeur de leur portefeuille boursier. Ceux-ci paniquèrent et tentèrent de vendre pour pouvoir honorer leurs échéances, mais ils ne firent ainsi que précipiter le cours des bourses vers la catastrophe.
La crise financière se transforma en un désastre économique, la récession dura 43 mois et la panique se répercuta un peu partout dans le monde. Chaque pays se réfugia dans des mesures protectionnistes. Roosevelt, alors président des Etats-Unis, décida alors de prendre quelques mesures draconiennes pour relancer l’économie et éviter que les banques ne commettent les mêmes erreurs. Il fit notamment adopter le Glass Steagal Act, qui obligeait les institutions bancaires à faire un choix entre banque d’affaire ou de dépôt. Cette disposition a été abolie, sous l’ère Bush, avec les suites que l’on connaît.
Le 20e siècle fut le théâtre de crises incessantes dans le monde entier, tant financières qu’économiques, politiques ou sociales. Les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 sont encore gravés dans les mémoires. Ils eurent un impact terrible sur les prix du pétrole et se répercutèrent sur l’économie mondiale. D’autres crises furent plus locales mais chacune d’elles apporta son lot de faillites et de malheurs dans les régions touchées. Il y eut, entre autres, en 1993, celle du système monétaire européen, mais aussi la crise économique mexicaine de 1994. Citons aussi celle qui dévasta l’économie asiatique en 1997 ou encore la crise russe de 1998 et, la même année, celle d’Argentine. Quant au 21e siècle, il démarre sur les chapeaux de roue de la débâcle. Un présage?