Il aura fallu 15 ans d’attente aux Liégeois pour voir le musée du Grand Curtius ouvrir ses portes. C’est en effet chose faite depuis le 6 mars 2009. Annoncé comme une grande opportunité pour la région liégeoise de relancer son activité culturelle, on s’interroge tout de même sur son impact économique. Le Grand Curtius, décrit par le pouvoir organisateur comme étant un nouveau pôle muséal dont la notoriété dépasserait nos frontières, découle davantage d’un calcul budgétaire et immobilier que d’une démarche culturelle. Ce lieu, considéré comme un «écrin architectural » qui a pour vocation de rassembler des collections prestigieuses provenant du Musée d’Armes, du Musée du Verre, du Musée d’Archéologie et des Arts décoratifs ainsi que du Musée d’Art religieux et d’Art mosan est d’abord le reflet d’une histoire de chiffres : avec un espace de plus de 5000 m2 dédié à 7000 ans d’histoire. 5800 pièces qui sont enfin dépoussiérées et exposées au public. 50.000 visiteurs annoncés par an plus que nécessaires afin de compenser les 46,3 millions d’euros consacrés à la mise en place du Musée.
L’envergure d’un tel projet est donc une aubaine, notamment en matière de création d’emploi pour une région souvent stigmatisée ainsi que pour un secteur socioculturel qui offre bien peu de débouchés aux jeunes diplômés.
Culture = gardiennage ?
La création de 90 postes est d’ailleurs confirmée pour assurer la bonne marche du musée. Etrangement, ce ne sont pas les diplômés en histoire de l’art qui bénéficient le plus de la sécurité de l’emploi mais le gardiennat. Une cinquantaine de gardiens jouissent en effet de contrats à durée Indéterminée dont l’horaire est établi de la sorte : une semaine 10h à 14h, week-end inclus et une semaine 10h à18h sans le week-end. D’ailleurs, c’est simple, le Grand Curtius n’a tout bonnement pas engagé de guides. Paradoxe pour un musée ? Peut-être, mais selon l’expérience d’Art&Fact Liège (Association des diplômés des sections d’histoire de l’art, archéologie et musicologie et d’histoire et philologie orientales depuis 1981), il n’est pas toujours facile d’engager un guide car les demandes de visites varient fortement et, lors des périodes plus creuses, il peut devenir difficile de payer ses salariés. Cependant, avec la politique de « non-discrimination » au niveau de l’engagement des guides, l’asbl ainsi que les historiens de l’art se présentant pour ce poste ont été un peu surpris.
Les premiers contacts avec le musée laissaient présager un désir du pouvoir organisateur de travailler avec des guides universitaires qualifiés en la matière. Mais, il y a environ trois mois, une nouvelle information est tombée : une formation Forem allait être mise en place pour former les historiens aux postes de guides. Les réactions ne se sont pas fait attendre car il existe déjà un Master spécifique à l’Université de Liège et cette formation a été suivie par la plupart des universitaires intéressés par la fonction de guide. Rapidement, les critères d’engagement ont été adaptés et la formation s’est transformée en examen portant sur les connaissances du domaine artistique. Finalement, même si l’offre d’emploi ne spécifie pas le type de diplôme requis, on constate que les personnes recrutées sont presque toutes issues de chez Art&Fact; outre l’accréditation de la Région Wallonne nécessaire pour exercer au sein du musée, ces guides détiennent un diplôme universitaire ou bénéficient d’une expérience reconnue.
Bricol-âge ?
Cependant, l’asbl met le doigt sur la difficulté de trouver des guides capables de réaliser la visite dans une langue étrangère. Dès lors, il faut parfois faire appel à des personnes pensionnées capables de répondre à cette demande. Pourquoi le Forem n’organise-t-il pas des formations en langues pour les historiens(-nes) de l’art, plutôt qu’une formation accélérée en histoire de l’art pour les historiens(-nes) tout court ? D’autre part, on constate qu’il est pratiquement impossible de vivre comme guide indépendant à
Liège. La plupart des musées fonctionnent avec des guides vacataires, engagés et payé(e)s à la prestation. Même si Art&Fact propose des partenariats privilégiés aux institutions de renom afin que le guide obtienne une rémunération se rapprochant le plus possible des barèmes appliqués par des institutions comme les Bozar, il est difficile de pouvoir en vivre. Le cachet d’une visite tourne aux environs des 65 euros, frais administratifs à déduire. Le contexte de crise ne facilitant rien, il n’est plus rare de voir les guides passer par des agences comme Smart ou faire appel au statut d’indépendant complémentaire pour pouvoir continuer à pratiquer leur métier.
Ouvert depuis peu, il est normal de voir le Grand Curtius faire face à bon nombre de maladies infantiles. Et tout le monde s’accorde pour dire que la bonne volonté est de mise de la part des responsables du musée. L’entrée en fonction de l’équipe est très récente et elle a été parfois prise de court pour certains détails. La centralisation des réservations serait déjà une facilité. Les audio-guides doivent encore être améliorés. Le fait de fixer les groupes pour les visites à 15 et pas à 25 permettrait une meilleure circulation au sein de l’espace du musée. L’aspect scolaire est encore à mettre en place et, pour cela, on attend l’entrée en fonction du responsable pédagogique. Heureusement, l’expo « De demain à Delvaux » s’annonce déjà être un franc succès et les guides sont occupé(e)s jusqu’à juin. De quoi se plaint-on ?
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La valse lente des guides de musée
Entretien avec M., jeune historienne de l’Art
Lorsque l’on voit un musée d’une telle envergure s’ouvrir près de chez soi, c’est évidemment le cœur rempli d’espoir que l’on se présente au premier rendez-vous. Mais une fois sur place, on tombe un peu de haut. « C’est en présence de l’échevin de la culture que nous avons TOUS été reçus la première fois. Tous, c’est-à-dire toutes les personnes ayant répondu à l’annonce, quelles que soient leurs formations et tous âges confondus. » Se lancer sur le marché de l’emploi dans un domaine culturel et en vivre n’est pas toujours simple. La politique de non-discrimination du musée ne facilite rien : « Je me suis retrouvée aux côtés de personnes retraitées, parfois âgées de 85 an,s qui proposaient leurs services. Il est certain que ce sont des passionnés, mais tous n’ont pas les notions d’histoire de l’art adéquates pour travailler dans un musée. Puis, passé un certain âge, je trouve que l’on pourrait quand même laisser la place aux jeunes. Physiquement parlant, pour certains, tenir deux heures avec un groupe ne semblait pas évident. Alors, si le groupe s’avère être une classe d’enfants un peu turbulents … » Notre guide reconnaît que ce problème n’est pas propre au Curtius. Sous prétexte que l’art soit une « passion », tout passionné peut être recruté pour mener une visite. « Rien à faire, cela reste une profession », insiste la jeune diplômée. « Même si la valeur de l’aspect anecdotique est importante et enrichit une visite guidée, elle cadre souvent mieux pour la visite d’une ville que d’un musée. Concrètement, inclure tout le monde comme guide, c’est offrir des visites de qualité trop variable. » Une autre aberration découle de la bonne volonté d’être équitable envers chacun des guides : « chacun notre tour nous aurons notre visite ». Avec un tel principe, s’il y a soixante guides, notre historienne de l’art n’aura qu’une visite sur soixante. « Cela pose déjà un problème un niveau des disponibilités du guide. Ensuite, il arrive fréquemment qu’un groupe demande un guide en particulier. Sans compter que plus on effectue une visite, meilleure elle sera. Mais évidemment, je suis très contente de travailler dans le cadre du Grand Curtius et, avec le temps, je suis sûre que les petits défauts d’organisation seront gommés au profit de projet éducatif cohérent. »