Carnet de route

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« Pour nous, il s’agit de ne pas continuer à accepter un monde qui parle de paix, mais qui tolère la guerre, un monde qui parle de liberté, mais qui accepte l’hypocrisie du capitalisme, qui parle de progrès, mais qui souffre de l’étouffement de la bureaucratie communiste »

Rudi Dutschke

Le concept de « jeunesse » en tant qu’étape spécifique de l’existence n’a commencé à être étudié que vers le début du XXème siècle. Au Moyen-Age, on ne faisait pas de distinction entre jeunes et vieux, mais entre individus riches et pauvres, cultivés ou incultes, religieux ou laïques.

Avec la démocratisation de l’accès aux études au XXème siècle, la jeunesse commença progressivement à prendre conscience d’elle-même, surtout dans les écoles et dans les universités. De nombreux pédagogues d’avant-garde ne la considèrent plus comme un élément passif, mais bien comme le moteur d’une révolution culturelle.

Après la seconde Guerre Mondiale, et avec le développement de la société de consommation, le jeune, qui a désormais un pouvoir d’achat, est perçu par les industriels comme un acheteur potentiellement inépuisable, au vu de son exigence encore enfantine de satisfaction immédiate. Pourtant, peu à peu frustrée, découragée et inadaptée à la civilisation moderne, une partie de la jeunesse va s’engager dans différentes formes de révolte.

Des émeutes grecques

La révolte qui secoue la Grèce depuis décembre est le résultat d’une grande sensation d’insécurité et du manque de repères de la jeunesse grecque. Ces jeunes sont la première génération d’après-guerre qui vit dans des conditions économiques pires que celles de leurs parents. On parle de « la génération de 700 euros », mais en réalité, la grande majorité des moins de 30 ans vit avec des revenus inférieurs. Le taux de chômage est très élevé : 9,4% selon le sondage de janvier 2009, et il atteint 25% chez les 15-24 ans. En outre, toute la population souffre de la violence de la police, vestige de la guerre civile. Depuis la fin de la dictature militaire en 1974, plus de 15 personnes ont été tuées par des policiers. La mort de l’adolescent Alexis Grigoropoulos, 15 ans, le 6 décembre 2008, a été le déclencheur d’une révolte qui couvait depuis longtemps, en particulier vis-à-vis du comportement agressif de la police et de l’inéquité de la justice grecque à cet égard.

De plus, tandis que l’économie grecque se réjouit de la rentabilité que procure le pillage des pays balkaniques, les immigrés souffrent des lois racistes, des actions impunies de groupes nazis et de la xénophobie généralisée. Le gouvernement conservateur est, lui aussi, la cible de la colère du peuple. Yannis Androulidakis, secrétaire international de l’ESE grecque (mouvement anarcho-syndicaliste), affirme: « Récemment un scandale dit de ‘Vatopedi’ a éclaté. Le gouvernement a offert des terres publique à l’Église, ce qui a ébranlé la crédibilité de celle-ci, sur laquelle une bonne partie de la population s’appuyait. Je rappellerai aussi que deux familles (Papandréou pour le centre gauche, Pasok et Caramanlis pour la droite) ont gouverné 34 années sur les 40 dernières en Grèce ». Il faut ajouter à cela la corruption du gouvernement, les privatisation de l’électricité, des ports et de l’Olympic Airways. Sur cela vient se greffer la gestion désastreuse des incendies de 2007 et la déroute de la sécurité sociale provoquée par les lois des socialistes en 2001 puis par celles de la droite en 2006.

Dans les universités d’Athènes, et même dans les lycées, on remarque l’apparition de groupes politiques radicaux. Il y a des réunions fréquentes autour de la place Exarchia et dans le quartier de l’École Polytechnique, où les jeunes organisent des manifestations, des parades ou d’autres actions plus radicales, telles que des attaques contre des postes de police ou des destructions de vitrines, d’agences de banque, ou de caméras de surveillance, ce qui semble devenir une pratique routinière. Ces émeutes sont la traduction du malaise d’une
jeunesse sans avenir, qui ne s’identifie plus aux valeurs dominantes, et qui ne se reconnaît pas dans ses dirigeants.

… Aux désillusions brésiliennes

Mais la jeunesse ne réagit pas toujours et partout de la même façon lorsqu’elle se confronte au système économique et politique actuel. Au Brésil, la révolte des adolescents et des jeunes adultes des classes défavorisées a encore des bases traditionnelles : c’est une réponse à un état de misère complète. La révolte est le fruit de la pauvreté et des privations. Les besoins basiques de la majorité de la population sont à peine satisfaits, et à côté de ça, les jeunes gens sont bombardés de publicités qui parlent d’un monde dont ils sont exclus. Le vol est au départ un moyen de survie, mais, de plus en plus, il devient aussi un moyen de s’adapter coûte que coûte à un modèle imposé par la société, une forme de besoin identitaire perverti par les lois du marché. La violence ne cesse de grandir dans les rues et aujourd’hui, les attaques à main armée pour le vol d’un téléphone portable sont devenues banales. Ceux qui refusent toute intégration au système manifestent leur opposition par la destruction de tous les symboles de richesse.

Par contre, la plupart des jeunes issus des familles plus aisées sont encore partagés entre un effort d’intégration au système et une apathie généralisée, fruit d’une certaine fatigue au terme d’années de lutte et de résistance sous la dictature. Les jeunes croyaient que la révolution était à portée de la main, mais c’est le contraire qui s’est produit : on assista à une nouvelle stabilisation du système capitaliste. Cette déception et cette répression expliquent l’affaiblissement des mouvements au Brésil actuellement. L’infime partie de la jeunesse qui s’engage encore tente de construire une forme de résistance à l’effet pervers de la globalisation qui envahit la culture et l’économie brésilienne, faisant concurrence aux richesses nationales. Chez les jeunes de la classe moyenne, l’appartenance à une identité politique de gauche a presque totalement disparu. La corruption des partis et le gouvernement du président Lula n’ont semé que désillusion. Le plus important mouvement gauchiste brésilien qui subsiste se trouve dans les Etats du sud du pays, surtout à Rio Grande do Sul, dont la capitale, Porto Alegre, a été cinq fois le siège du Forum Social Mondial, le plus grand événement altermondialiste de notre époque.

… En passant par la résistance intellectuelle et culturelle belge

En Belgique, la posture juvénile est distincte. Selon le sociologue germano-américain Herbert Marcuse (1898-1979) : « Dans les pays capitalistes qui ont atteint un niveau élévé de développement, la révolution ne sortira pas de la misère et des privations, mais bien de la nécessité d’humaniser la vie, en même temps que de la dégradation des forces productives ». Héritiers de la crise latente des sociétés industrialisées, les jeunes citadins belges s’inquiètent de leur futur dans la société du consumérisme, où leurs modes de consommation – l’acquisition de biens éphémères – ne tend pas à les intégrer au devenir social. Ils doivent faire face à un avenir incertain, dans un monde en perpétuelle évolution. La division du travail est de plus en plus émiettée. L’institution familiale est en crise, créant des cellules monoparentales contraintes à vivre dans des minuscules appartements en ville, ou des familles recomposées où les relations sont souvent complexes. La science et la technologie ne cherchent plus à rendre l’homme libre et heureux, mais deviennent un instrument de contrôle social à travers l’usage massif des caméras de surveillance dans des endroits publics, les techniques de fichage via internet et autres logiciels «espions»…

La contestation belge est plus intellectuelle et culturelle dans la mesure où le conditionnement idéologique, d’une part, et la violence et le contrôle d’état, de l’autre, se manifestent à travers des phénomènes plus subtils, psychologiques et indirects.

On entend notamment la voix de la
résistance dans l’apparition de squats, qui défendent des idées et des pratiques hors-circuits capitalistes via des évènements culturels tels que projections de films, organisations de soirées, media center, potager collectif… Citons par exemple l’armée révolutionnaire des clowns – des jeunes déguisés qui agissent contre les effets néfastes de la globalisation et du système capitaliste.

Quelles convergences?

Quelles caractéristiques ont en commun les luttes des jeunes dans les trois pays cités? Citons, entre autres, le goût pour l’utopie, la volonté de retour à certaines pratiques ancestrales, la prise de conscience de l’environnement et de la nécessité de le préserver, le désir de construire des réseaux, d’échanger, d’inventer, notamment à travers les nouveaux outils de communication… Un certain penchant pour l’aventure et le nomadisme. Une forme d’aversion pour les tabous et les modèles dominants. Une tendance épicurienne au « carpe diem ».

Beaucoup de jeunes ne croient plus à la possibilité d’une révolution de style classique. En revanche, le concept de « révolution permanente », ancré dans un changement profond de la pensée et du comportement, leur semble être une des voies possibles pour transformer le monde.

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