« Paradoxe : l’anal fait encore tabou. Or, le langage même nous l’enseigne, des fondements de l’être à l’étron qui délivre notre fondement, tout nous ramène à notre essence, à la fois physiologique et philosophique. En explorant méthodiquement les régions et les significations de cette partie « fondamentale » de notre personne, Bob O’NEILL nous plonge, avec une science et une crudité magistrales, dans cet univers excrémentiel autant qu’existentiel. Si, comme l’a écrit Saint Augustin, inter fæces et urinam nascimur (« nous naissons entre la merdre et l’urine »), rien de plus passionnant que d’étudier et de découvrir ce que notre imaginaire fait, dans la vie et dans l’art, de cette donnée de base de la condition humaine. » En guise de mise en bouche, on lira donc ses Variations scatologiques – Pour une poétique des entrailles (la Musardine, collection « l’Attrape-corps ») car c’est pour le moins « chié ». Restons dans la zone des « globes inférieurs », mais plutôt esthétiquement cette fois, en admirant comme il se doit le Cul de la femme, de Pierre LOUŸS (aux Éditions Astarté, 58, rue Amelot F 75011 Paris), un album qui célèbre « la culture de l’obscène ». On y trouve une fabuleuse collection de documents licencieux délicieusement surannés, classés et décrits méthodiquement par le Maître, sans pudeur, sans honte ni détours. Les citations qui accompagnent ces somptueuses photographies sont extraites du Manuel de Gomorrhe (1906) que la Musardine (toujours elle) publia en 2004, dans la collection « les Lectures amoureuses », dirigée et présentée par Jean-Jacques Pauvert. On fera fête aussi au gros album présentant un solide lot de pages du « Journal bête et méchant » qui nous a ravis de 1960 à 1985, Hara-Kiri, les Belles images, présentées par Cavanna, Delfeil de Ton, Stéphane Mazurier et Michèle Bernier (chez Hoëbeke) : Ô Professeur Choron, comme tu nous manques ! Et aussi un de tes meilleurs potes dont on réédite l’essentiel des couvertures de Charlie Hebdo (du temps où c’était encore bien – comprendre avant l’ignoble Val qui osa virer l »immense Siné), Hara-Kiri Hebdo & l’Hebdo Hara-Kiri : Reiser à la une fait littéralement sauter aux yeux le Génie (avec G majuscule) de ce dessinateur surdoué trop tôt disparu. Question de ne pas en finir avec le Mauvais goût (qui vaut bien le bon, selon le Père Ubu), on plongera dans le n°6 du Correspondancier du Collège de ‘Pataphysique qui lui est entièrement consacré. C’est le Régent Guénolé Azertiope qui en a fait la sauce ; on s’amuse et on apprend. On baigne dans le bonheur itou avec le n°2 des Cahiers de l’Institut International de Recherches et d’Exploration sur les Fous Littéraires, qui fête, dignement et très largement, le bicentenaire de la naissance de Paulin Gagne (avec une indispensable bibliographie (œuvres et critique) que l’on doit à Tanka G. Tremblay mais aussi un solide lot d’inédits du genre époustouflants ! ). On y traite aussi de Bluet d’Arbères, comte de Permission, de Nicolas Cirier et de bien d’autres « hétéroclites » parfaitement dignes d’intérêt. Contactez dare-dare Marc Ways & l’ I.I.R.E.F.L. (1, rue du Tremblot F 54122 Fontenoy-la-Joûte) en vue de vous abonner à cette revue carrément exceptionnelle. On béera en apprenant presque tout sur le plus fou de nos réalisateurs flamboyant, en dévorant Jean-Jacques Rousseau, cinéaste de l’Absurde, paru chez Archimbaud Klincksieck, sous la direction de Frédéric Sojcher. Vous serez fascinés, à l’instar de Benoît Poelvoorde, Bertrand Tavernier, Noël Godin ou moi-même par ce Magistral Fêlé wallon qui consacre toutes ses économies à son délire de cinéma, car sa vie est rocambolesque et ses films 100% hallucinants.
Ceux qui ignorent tout de l’anarchie se muniront du Dictionnaire de l’Anarchie, concocté par Michel RAGON, qui vient de paraître chez Albin Michel. Les autres compléteront leur bibliothèque par une dizaine de livres récents, évidemment tous indispensables.
Aux Éditions libertaires (35, Allée de l’Angle, Chaucre F 17190 St Georges d’Oléron), sont parus les Milieux libres (Vivre en anarchie à la Belle Époque en France) de Céline BEAUDET et Expériences de vie communautaire anarchiste en France (le milieu libre de Vaux (Aisne) 1902-1907 et la colonie naturiste et végétalienne de Bascon (Aisne) 1911-1951), de Tony LEGENDRE, deux ouvrages qui vous apporteront un grand bol d’air frais. Aux mêmes éditions, quelques monographies devraient vous séduire : Émile Henry, De la propagande par le fait au terrorisme anarchiste, de Walter BADIER, Émile Pouget, la Plume rouge et noire du Père Peinard, de Xose Ulla QUIBEN, Buonarroti L’inoxydable de Jean-Marc SCHIAPPA et Alexandre Marius Jacob, un anarchiste de la Belle Époque d’Alain SERGENT. Jean-Marc DELPECH dresse le portrait du même « merveilleux » à l’Atelier de création libertaire (BP1186 F 69202 Lyon cedex 01), Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur. Une petite phrase de Jacob, peut-être, puisqu’on en parle ? C’est alors que j’ai compris toute la puissance morale de ce préjugé : se croire vertueux et intègre parce qu’on est esclave. Deux gros livres historiques ne sont point non plus à rater : les Anarchistes contre la République, Contribution à l’histoire des réseaux sous la Troisième République (1880-1914) de Vivien BOUHET (aux Presses Universitaires de Rennes, UHB Rennes 2 – Campus de La Harpe, 2, rue du doyen Denis Leroy F 35044 Rennes Cedex) et les Briseurs de formules, les écrivains anarchistes en France à la fin du XIXème siècle de Caroline GRANIER (chez Ressouvenances, F 02600 Cœuvres), une anthologie fort complète et vraiment bien foutue. On réfléchira autrement après avoir pris connaissance de l’œuvre complète de Théodore J. KACZYNSKI, mieux connu sous le pseudonyme d’UNABOMBER, l’Effondrement du système technologique (paru chez Xenia, CP 395, 1800 Vevey, Suisse). Enfin, on bondira de joie en dévorant l’énorme biographie d’un écrivain magistral, Laurent Tailhade ou De la provocation considérée comme un art de vivre, due à Gilles PICQ, qui en est, et de loin, le meilleur spécialiste (chez Maisonneuve & Larose, 15, rue Victor Cousin F 75005 Paris) : « Un remarquable travail de recherche sur un personnage hors du commun, mais oublié, de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle : Laurent Tailhade, poète, polémiste, journaliste, dandy, anarchiste, franc-maçon, morphinomane, aficionado, découvreur d’Ibsen et traducteur de Pétrone, dreyfusard, bretteur, adepte du spiritisme, bisexuel et partisan de la libération des femmes, a traversé presque tous les mouvements de la pensée de la république naissante. » Restons-en là (du moins pour l’instant) avec l’anarchie, si vous le voulez bien. Vous avez abondamment de quoi lire jusqu’au numéro suivant de C4, non ?…
Il y a quelques mois, je vous recommandais chaudement l’Imaginaire érotique au Japon, d’Agnès GIARD (chez Albin Michel). La même nous offre pour l’heure un Dictionnaire de l’amour et du plaisir au Japon (chez Drugstore-Glénat, 31/33, rue Ernest Renan F 92130 Issy-les-Moulineaux) qui vaut « foutrement » le détour. « À travers 400 mots-clés, il s’agit ici de cerner la pensée japonaise et sa culture érotique, une culture qui dépasse largement le cadre de la sexualité, témoignant à la fois du tourbillon créatif du Japon contemporain et de son enracinement dans une tradition spirituelle millénaire ». Et c’est pour le moins « chaudement » dépaysant de la première à la dernière page. PLONK & REPLONK, les allumés suisses de La Chaux-de-Fonds, qui nous avaient littéralement fait hurler de rire avec les Plus beaux dimanches après-midi du monde, remettent ça avec un autre recueil de leurs décapantes productions : les 1000 & 1 lundis – joyeusetés et nouvelleries. Si votre libraire n’a pas ces albums en vitrine d’abord, en piles sur le comptoir ensuite, dites-lui de ma part qu’il ferait mieux de changer de métier… Mais sans doute
a-t-il le Journal d’une femme adultère, de Curt LEVIANT (Anatolia), un roman du genre parfaitement lisible, au comique volontiers noir. Roman quant à lui incontournable: l’ultime production du très regretté François CARADEC, le Doigt coupé de la rue du Bison (Fayard Noir), qui se lit une première fois pour l’intrigue, une seconde pour tenter de repérer toutes les clés qui nous ont – évidemment – échappé lors de notre première lecture : de la haute ‘Pataphysique flirtant avec le polar. Après la Soupe de Kafka, aux inoubliables recettes, Mark CRICK nous offre la Baignoire de Goethe (éditions Baker Street). Ce pasticheur fou nous initie ici aux délices du bricolage domestique, Hemingway, Dostoïevski, Sartre, Kundera, etc. construisant, outre un univers romanesque, qui un mur, qui un plancher, voire posant une clôture… et c’est assez formidable, les illustrations ne l’étant pas moins. Annie LE BRUN nous donne (enfin) l’occasion de saluer l’immense talent de Leonora Carrington, « la Mariée du vent », grâce à l’essai qu’elle publie sur elle chez Gallimard. Pour ma part, je tiens « le Cornet acoustique » pour le plus grand roman surréaliste dans l’absolu et « En bas » pour l’un des meilleurs textes jamais écrit sur la folie. Quant aux peintures de cette « somnambule échappée d’un poème de Yeats », comme la définit Octavio Paz, elles sont à ce point sublimes qu’on en pleurerait de bonheur. Les éditions des Cendres nous gratifient d’un Libri vaincu, Enquêtes policières & secrets bibliographiques, un livre magnifique qui vous aidera à en savoir plus sur le plus grand voleur de livres de tous les temps. Si vous en ignorez tout, ça va vous décoiffer. Merci à Jean-Marie et Dany de m’avoir révélé l’existence d’Éric CHEVILLARD. Bien qu’une quinzaine de romans aient été publiés du bonhomme par les éditions de Minuit (plus d’autres petites choses chez Fata Morgana ou chez Argol), cet auteur n’était point tombé dans mon collimateur. J’ai commencé par Démolir Nisard, qui m’a emballé, j’en suis à mon septième et je me suis juré de les lire tous. C’est là un maître écrivain à encenser toutes affaires cessantes. On vous l’aura dit. J’ai laissé pour la fin le bouquin qui m’a le plus diverti ces temps-ci: la Folie de Banvard, de l’américain Paul COLLINS (aux éditions le Promeneur), « Treize récits de malchance, d’obscure célébrité et de splendide anonymat ». Voici Banvard, le peintre qui fut le plus riche du monde et mourut ruiné par la faute de Barnum, William Henry Ireland, qui pondit une quantité de faux Shakespeare pour faire en sorte que son père pose enfin sur lui un œil favorable, John Cleves Symmes, qui ne démordit pas de l’idée que la terre était creuse, René Blondlot, qui découvrit d’illusoires Rayons N, la Langue musicale universelle de Jean-François Sudre, Robert Coates, le plus mauvais acteur du monde, et puis Ephraim Bull et ses vignes, George Psalmanazar, le faux Formosan, et Alfred Ely, Martin Farquhar Tupper, le général Augustus J. Pleasonton, Delia Bacon ou Thomas Dick, autant de personnages hors du commun, bien oubliés aujourd’hui, dont les lubies sont ici ressuscitées pour notre plus grand plaisir. C’est du nanan! Là-dessus, je vais attaquer un autre Chevillard. À plus…