Smart : une vision politique ?

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Smart est né voilà 10 ans pour répondre à l’imbroglio administratif que vivent les intermittents du spectacle 1. A mi-chemin entre le secrétariat social et le syndicat, l’association entend répondre à tous les aspects juridiques et bureaucratiques qui jalonnent l’univers de la création afin de rendre l’artiste plus autonome. Smart propose à ses membres « des outils et des moyens juridiques, administratifs et logistiques qui permettent aux artistes d’accroître leur autonomie et de renforcer leur position vis-à-vis de leurs interlocuteurs. » 2 Car la gestion administrative est tout de même réalisée par le travailleur via une interface privée du web site de l’association. Grâce à des outils performants, les données encodées génèrent automatiquement les contrats, les C4, et autre Dimona ou Activa. Outre la facturation pour les donneurs d’ordre, Smart offre un soutien juridique devant les administrations ou les tribunaux, anime un bureau d’étude produisant des expertises dans les domaines artistiques et un fonds de garantie au cas où le donneur d’ordre tomberait en faillite.

En 2004 déjà, Smart fait du lobbying sur le cabinet Reynders (Ministère des Finances) pour faire évoluer la législation fiscale vers une meilleurs reconnaissance des activités artistiques. C’est cette année qu’est approuvé en Conseil des ministres un nouveau régime dit « régime d’indemnités réduites » (en abrégé “RPI“ ou Régime des Petites Indemnités) en faveur des artistes, 3 sous-statut par excellence, mais qui a le mérite de permettre aux artistes de toucher de petits cachets nets d’impôt.

Si la culture génère un chiffre d’affaire colossal, et que les artistes sont toujours autant dans la dèche, mais où diable va cet argent?

Et, par ailleurs, quelle vision politique un organisme comme SMART, forcément bien informé sur les difficultés vécues par les artistes, proposerait-il face à un système qui continue d’intégrer par défaut le modèle du travailleur salarié, avec comme alternatives qui n’en sont pas, le statut d’indépendant ou d’intérimaire !

Nous avons demandé à Alain Dewasseige, administrateur de Smart, s’il avait une idée sur la question.

C4 : Il y a comme une intégration de l’économie culturelle par défaut, sans vision claire de la part du gouvernement (ce qui n’est pas le cas pour d’autres secteurs). Quelle est votre position sur le sujet?

Alain Dewasseige : « Ce qui se passe en Belgique, et qui est encore plus flagrant en Communauté française, est la séparation des pouvoirs. La logique veut que la culture se gère à un niveau de pouvoir (Communauté française), et l’économie à un autre (Région wallonne). Excepté ce qui a été fait pour le cinéma avec Wallimage 4, on ne considère pas que la culture relève aussi de l’économie. Les culturels ont probablement leur part de responsabilité là-dedans, dans une optique un peu «puriste », et ne considérant pas la culture comme un produit. Bien sûr qu’il s’agit d’un produit pas tout à fait comme les autres. Mais en attendant, c’est un produit qui peut prendre de la valeur, qui est sur le marché, qui crée des modes et qui est pris dans le système capitaliste. Donc il ne faut pas croire que les deux soient séparés. D’ailleurs, le système économique a pénétré le champ de la culture, pour les produits multiples, mais surtout pour les produits uniques. Il suffit de voir les sommes dépensées lors des ventes aux enchères d’œuvres d’art. »

C4 : Sans compter les emplois indirects, générés aussi par la culture subventionnée.

A. D : « Bien sûr, il y a toutes sortes d’activités
qui se développent autour de la production artistique. Promo, tourisme, etc. Il faut cesser de voir la culture distincte des niveaux de pouvoirs. Je suis favorable à ce que la culture soit intégrée aux différents niveaux de pouvoir de la Région pour pouvoir développer des articulations avec les politiques de l’emploi et de formation professionnelle, en collaboration avec les services d’aménagement du territoire et de répartition de l’équipement.
»

C4 : En attendant, l’ONEM, sans le vouloir, est le plus gros pouvoir subsidiant du secteur culturel, alors que ce n’est pas son rôle?

A.D. : « Il faut peut-être inverser la proposition. Quand l’artiste n’est pas au travail, il est normal qu’il ait droit à une aide. C’est aussi le rôle de l’ONEM de répondre à des problématiques relatives à des secteurs relativement intermittents. Cela dit, il faut bien reconnaître que les investissements culturels générateurs d’emplois pour les artistes au niveau de la Communauté française sont trop peu nombreux. Il y a des investissements énormes pour les rénovations de structures ou de grandes institutions, mais qui ne profitent pas vraiment aux artistes. Il devrait avoir un plan de relance de la création, et particulièrement pour les secteurs littéraire, et art plastique. Le montant alloué aux bourses, aux commandes ou aux résidences d’artistes est vraiment trop faible. Nous sommes face à un déséquilibre flagrant entre financements des structures et financements des individus. »

C4 : Beaucoup d’artistes sont durant la majorité du temps au chômage. Les sommes dépensées par l’ONEM pour ces artistes ne devrait-elles pas être transférées vers d’autre enveloppes, pour créer ce plan de relance dont vous parlez? Idéalement, un fonds de garantie artistique ne serait-il pas souhaitable ?

A.D. : « Il s’agit là d’articulation de politiques culturelles et d’emploi qui n’ont pas lieu pour le moment. »

C4 : Et pourtant… Certaines agences d’intérim proposent maintenant de prendre en charge les prestations artistiques. C’est qu’il y a tout de même un enjeu ?

A.D. : « Il y a à ce sujet plusieurs problématiques. D’une part, en application de la loi programme de 2002, on prévoit que les agences d’intérim peuvent prendre en charge les contrats artistiques pour les donneurs d’ordre occasionnel. C’est ce que dit la loi, en tout cas. Alors que l’on voit un théâtre, bien connu sur la place de Liège, qui passe l’ensemble de ses contrats avec une agence d’intérim, en toute illégalité. Car on ne peut pas dire que ce théâtre soit un “donneur d’ordre occasionnel” si vous voyez ce que je veux dire. Le premier problème avec les agences d’intérim, c’est qu’elles ont élargi le spectre de leurs activités alors que la loi ne les autorise pas. Le deuxième problème pour les artistes avec les agences d’intérim est bien qu’elles se contentent de mettre en adéquation l’offre et la demande, de gérer les remplacements, les petits contrats. A Smart, les artistes ont des projets sur le long terme et des contrats réguliers. Il y a donc une démarche singulière entre Smart et les agences d’intérim. Et une dernière chose, alors que les agences se contentent de gérer les contrats, elles ne font absolument pas tout le travail d’accompagnement, de support juridique et de conseil que nous pratiquons. »

C4 : C’est à se demander pourquoi des artistes passent par des agences d’intérim ?

A.D. : « On se le demande encore! Les donneurs d’ordre doivent probablement avoir des avantages en échange d’un contrat d’exclusivité avec ces agences. »

Notes:

  1. Voir C4 N° 167/168 : http://c4.agora.eu.org/spip.php?article1213
  2. SMart 1998-2008. Histoire, portraits, activités et perspectives : http://www.smartasbl.be/newsdetail.php?lang=fr&param1=280
  3. Plus d’infos sur le R.P.I. : http://www.arts-sceniques.be/bibliotheque/jurist_details.php?Id=21
  4. Wallimage : Fond d’investissement de la Région Wallonne pour la production cinématographique.

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