Quelles pistes pour les artistes ?

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Depuis le 24 décembre 2002, tous les artistes créateurs et les techniciens artistiques se voient ouvert l’accès à la sécurité sociale des travailleurs salariés, «privilège » réservé jusque là aux seuls artistes de spectacle (comédiens, musiciens, danseurs, etc.). Dès lors, moyennant justification d’un certain nombre de journées de travail salarié sur une période donnée (pour les moins de 36 ans, 312 jours sur les 18 derniers mois), tous ceux qui se revendiquent « artistes » pourront bénéficier de meilleures prestations sociales en terme d’assurance soins de santé, d’allocations familiales, et surtout d’assurance chômage (leurs allocations étant alors majorées à 60% du dernier salaire perçu).

L’autre nouveauté introduite par cette loi est que les artistes peuvent désormais adopter le statut d’indépendant moyennant évaluation de leur dossier par une «commission artiste » composée de représentants de l’ONSS et de l’INASTI.
Cette innovation ne va pas sans poser problème. Si le statut d’indépendant peut paraître avantageux, il ne l’est vraiment que pour ceux qui seront capables de faire du chiffre. Pour ceux qui ne poursuivent pas un but de lucre, il ne peut être intéressant qu’à titre complémentaire, c’est-à-dire lorsqu’il se juxtapose à un statut de salarié mi-temps… et encore !

Le risque existe que les artistes économiquement les plus précarisés soient poussés à devenir indépendants sous la pression du marché. Le secteur culturel étant sous-financé dans la plupart des domaines, les donneurs d’ordre pourraient avoir tendance à faire des économies en engageant des artistes indépendants (moins chers et administrativement plus faciles à gérer) plutôt que des artistes salariés.

Enfin, dernière petite subtilité, celle qui règle le régime des petites indemnités (les RPI). Le 9 juillet 2004, le conseil des ministres a approuvé en faveur des artistes un régime dit « des petites indemnités » (RPI). Ce régime s’applique aux artistes pour peu que la rémunération perçue par jour et par année n’excède pas certains montants (fixés par exemple à 106,4 € et 2138,7 € respectivement pour l’année 2008) et que le nombre de journées de prestations ne dépasse pas 7 jours consécutifs et n’excède pas 30 jours sur l’année. L’indemnisation des heures prestées par l’artiste sous ces conditions sera exemptée de prélèvement sociaux (ONSS, etc.) et l’artiste n’aura aucun document spécifique à remplir. Il lui sera juste demandé de noircir les cases de sa carte C3A correspondant aux jours où il aura travaillé.

A présent que l’état des lieux de la situation a été posé, voyons au travers des parcours de différents artistes la façon dont ces derniers ont su composer avec le contexte juridique encadrant leurs pratiques.

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David E. a publié ses premiers dessins à l’âge de 10 ans environ. Cinq ans plus tard, il exposait dans les cafés de Liège. A 20 ans, il investit une usine pour en faire son atelier. Aujourd’hui, son évolution continue et il multiplie les projets, les collaborations, les voyages. Pour décoller, David n’aura pas eu besoin de passer par l’enseignement supérieur.

« Avec les amis, on était très actifs : réalisation de K7 audio, publications de fanzines, organisation de soirées et d’expos… on touchait à tout. C’est à travers tout ça qu’on s’est formés. Si l’enseignement supérieur reste intéressant, il a aussi un aspect coercitif : il t’impose certains standards, certaines manières de faire, et ça peut vite cadenasser les pratiques. Question enseignement, le HISK à Gand propose un master en deux ans qui est très puissant. Et puis, il y a l’académie Jan Van Eyck à Maastricht qui est vraiment très bien. Liège a l’avantage d’être une ville pleine d’énergie et où tu te sens à l’aise pour travailler : l’ambiance y est excellente pour la création. Mais pour ce qui est de l’enseignement, en tout cas à Saint-Luc, la plupart des professeurs sont totalement déconnectés de ce qui se fait à l’heure actuelle. En Belgique, les villes
les plus intéressantes pour qui souhaite faire connaître son travail restent Gand et Anvers, c’est là qu’on trouve le plus fort dynamisme économique en la matière. Cependant, l’idéal quand on a 20-25 ans, si on a un peu d’argent, c’est de passer par Londres, New-York ou Los Angeles. A Londres, n’importe qui peut prendre rendez-vous avec le directeur du Moma même si ce n’est que pour 7’30’’ d’entretien. Dans les pays anglo-saxons, ils sont bien plus proactifs en ce qui concerne le repérage des nouveaux talents. Les revues d’art comme «Art Forum » à Los Angeles vont jusqu’à envoyer des gens chez ceux qui exposent dans leur cuisine. Pour faire de l’art, il faut trouver sa nécessité. Je vois ça comme une absence de choix. Ça doit venir naturellement. C’est à force de faire que tu y arrives, tout est dans le temps, il faut se lancer, c’est tout. Si t’as un truc à dire, il faut le sortir.
»

Samir a 25 ans, il a commencé à vivre de la musique à 20 ans, dès l’obtention de son 1er prix d’académie. Entre autres projets, il est notamment compositeur et interprète pour le groupe Oswald Arcady.

« Le statut d’artiste, je ne l’ai pas encore, mais avec les 14 heures de cours que je donne par semaine, les stages et les démarches que j’entreprends pour les concerts et tout ce qui tourne autour, je n’ai pas de soucis à me faire avec l’ONEM. Jusqu’à présent, je fais tout moi-même ou avec le groupe. Si j’avais un conseil à donner à ceux qui prennent de l’ampleur en musique, ce serait de s’associer à un manager, ça soulage de pas mal de soucis. Sinon, pour l’assistance administrative il y des asbl comme Smart ou des services comme « Art et Vie » par exemple. Art et vie ne fait pas seulement de l’assistance dans la gestion administrative des contrats mais intervient dans le paiement d’une partie du cachet de la salle où tu vas jouer. Ça aide à décrocher plus facilement un contrat. Pour faire de la musique une profession, il faut jouer le plus souvent possible : faire connaître son travail, faire des rencontres et entretenir les contacts, c’est très important. Avec le recul je me dis que si le conservatoire en lui-même ne m’a pas beaucoup apporté au niveau musique, les rencontres que j’y ai faites ont été déterminantes. Finalement, quand tu envisages de sortir un album, tu peux te faire produire par une maison de disques. C’est elle qui gère ton projet, ça t’allège la tâche d’une certaine façon, mais tu y perds aussi une certaine liberté d’initiative. Personnellement, je ne serais tenté par ce genre de fonctionnement que si je trouve un producteur qui partage ma démarche artistique et melaisse tout de même de la marge de manœuvre. »

Simon, 27 ans, licencié et agrégé en littérature romane, diplômé du Conservatoire de Mons en arts scéniques.

« Au cours de mes études, j’avais déjà fait du théâtre en amateur. Quand j’ai eu fini, histoire de pas être frustré à 35 ans je me suis dis « allez, je fais le conservatoire ». Bien que le milieu des comédiens ne m’attirait pas nécessairement, le gros avantage de la formation, c’est que, mine de rien, en 4 ans, tu rencontres beaucoup de gens différents avec chacun leur manière de travailler, c’est comme ça que tu te formes. Pour l’instant, j’essaie de multiplier les secteurs. Je circule beaucoup. C’est un métier où tu dois toujours te remettre en question. En fonction des projets, il se peut que tu sois envoyé en formation pour apprendre, par exemple, à monter à cheval ou à te servir d’une épée suivant ce qu’on te demande pour le rôle que tu vas jouer. C’est vrai qu’on peut se dire « je pourrais prendre un mi-temps quelque part », l’enseignement du français dans mon cas par exemple, histoire d’avoir une certaine sécurité financière. Mais alors les horaires ne permettent plus d’être disponible pour certains des projets qui se présentent. Pour l’ONEM, ma situation est parfois difficile à expliquer, leur système est mal adapté aux intermittents. Là, travaille avec l’asbl Isolat à Namur, une petite structure d’art scéniques alternatifs (art de rue, etc.). D’
ailleurs on a lancé un appel à projet en vue de la séparation de Namur en deux au moyen d’un mur à construire en une nuit pour commémorer la chute du mur de Berlin et évoquer toutes les séparations qui subsistent aujourd’hui. Le milieu du théâtre belge actif, c’est environ 1000 personnes, or il faut savoir que chaque année, il y a environ une centaine de diplômés qui sortent des cinq écoles officielles (l’IAD, l’INSAS et les conservatoires de Mons, Bruxelles et Liège). Il peut s’écouler une vingtaine d’années avant qu’un comédien soit reconnu par la Communauté Française. Et puis pour ce qui est des subsides, des statuts, etc. tout ça est politisé, on ne va pas le nier.. Il ne faut pas hésiter à se servir des outils mis à ta disposition pour multiplier les activités. Il y a le Centre des Arts Scéniques (CAS) pour les auditions par exemple. En tant que comédien, il faut créer son boulot autant que possible : les jours où tu n’as rien de prévu, profites-en pour réfléchir (idées de spectacles, gestion du temps, etc.). Il faut aussi savoir ce que tu veux dire. Enfin, tu dois être capable de combiner ça avec les amitités et la vie de famille. IL y a des choix à faire.
»

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