Politiques, économistes et médias s’accordent pour faire du binôme « culture et économie » une formule dans l’air du temps. On nous dit qu’en Europe ou au Canada, la culture génère un chiffre d’affaires plus important que l’industrie automobile. On dénombre toujours plus d’études financées par les ministères, de colloques organisés par les universités, de débats initiés par le secteur associatif, ou de publications tous azimuts, qui questionnent les liens entre culture et économie, et tentent d’en dégager les enjeux et les implications.
On ne saurait nier le passage vers une nouvelle économie dont les productions sont davantage immatérielles et tributaires de processus cognitifs 1 . Les principes fordistes de division du travail, qui séparaient conception et réalisation et parcellisaient les tâches, deviennent obsolètes dans le cadre de production de biens immatériels où l’on observe au contraire des processus qui reposent sur une polyvalence absolue du travailleur, et qui tendent à gommer les frontières entre sphère de l’entreprise et sphère privée. D’une part, les richesses culturelles produites ne le sont pas forcément dans les entreprises et par des salariés, et d’autre part la notion même de « culture » implique des dispositifs de mise en réseau, de connexion, de coopération, qui nécessitent une réorganisation complète des cadres de production et des législations en vigueur.
Car l’observation des pratiques de terrain fait vite apparaître une question de taille : si le secteur culturel est aussi florissant qu’on le dit, pourquoi les artistes et les travailleurs du secteur doivent-ils à ce point s’épuiser, entre jonglage et funambulisme, pour survivre?
Pourquoi autant de diplômés des écoles d’art et des sections de communication viennent-ils grossir les rangs de cette nouvelle espèce qu’on pourrait appeler « chômeur à temps partiel » ?
Entre inadéquation des législations —de l’assurance-chômage au droit du travail en passant par le droit fiscal— et nouvelles pistes à explorer, tels les financements privés, la micro-finance et même, pour certains, une forme de revenu garanti (cf.p.19), ce sont des modèles et des discours dominants ancrés depuis des générations qui vont devoir muter en profondeur.
Passage à vide ou passage à niveaux ? L’avenir nous le dira…
Notes:
- Cognitif : qui fait intervenir la connaissance ↩