Pour comprendre le rôle des syndicats belges dans la gestion de l’assurance-chômage, il faut opérer un retour en arrière d’un peu plus d’un siècle. Comme l’explique bien Jean Faniel 1, c’est fin XIXe que, face au succès —et à la concurrence— des caisses de secours mutuel mises en place par le mouvement coopératif, les syndicalistes comprennent les enjeux de ces caisses, qui procurent aux salariés un soutien matériel en cas de besoin (maladie, vieillesse, chômage). La mise sur pied d’une caisse de chômage au sein du syndicat revêt en outre une importance toute particulière aux yeux des syndicalistes, car en procurant un revenu de remplacement à ses membres sans emploi, le collectif des travailleurs syndiqués empêche qu’ils ne soient amenés à proposer leurs services à prix très bas à d’éventuels employeurs. Dès le début du XXe siècle, les pouvoirs publics locaux commencent à allouer des subsides aux sans-emploi, par le biais de Fonds de chômage communaux. Les conseils d’administration de ces organismes sont composés de représentants du pouvoir communal et de syndicalistes. Ce nouveau dispositif renforce encore l’attrait des travailleurs pour les syndicats et offre à ceux-ci un tout nouveau rôle de cogestion d’un service public. Une grande étape est franchie à la fin de la Grande Guerre, avec l’octroi de subsides nationaux aux caisses de chômage.
Le début des contradictions
Par l’essor du mouvement syndical qu’elles suscitent et par leurs effets régulateurs sur le marché de l’emploi, ces caisses posent donc de manière évidente certaines limites au système capitaliste en place. Cependant, en développant les tâches “administratives” des syndicats, et en associant les responsables de ceux-ci, à l’échelon local d’abord, national ensuite, à la gestion des organes publics contrôlant l’octroi des subsides, la mise en place de cette forme d’assurance-chômage contribue de manière importante à renforcer le processus de bureaucratisation et d’intégration à la société capitaliste que connaissent les organisations syndicales. Les tâches qui découlent de ces fonctions absorbent du temps et de l’énergie des permanents syndicaux, qui ne peuvent pas être investis dans d’autres formes d’activité syndicale. Ces contradictions qui traversent les instances syndicales vont s’amplifier avec l’explosion du chômage. De 1974 à 1975, le nombre de chômeurs augmente de 70%.
Ceci favorise l’apparition de groupes de sans-emploi, qui se développent à l’intérieur ou en dehors des structures syndicales. Les dirigeants des syndicats belges entretiennent une relation complexe à l’égard de ceux-ci. Soucieux de préserver leur rôle de porte-parole des salariés, ils posent leurs organisations comme défenseurs des chômeurs, tout en voulant maîtriser la conflictualité potentiellement engendrée par ces groupes, dont ils freinent la constitution et limitent au maximum l’action.
Notons aussi la position ambiguë des organisations syndicales qui ont des représentants dans les instances de gestion de l’ONEM. Si cette position leur permet de porter des revendications, parfois avec l’appui des groupes de chômeurs, et de les faire aboutir dans certains cas, il reste que la position défendue reste déterminée par les dirigeants syndicaux et par les techniciens des bureaux d’étude, les chômeurs étant rarement consultés. De plus, certaines des positions défendues durant ces dernières décennies par les représentants syndicaux, notamment au sein des instances de gestion de l’ONEM, ont à plusieurs reprises accompagné des mesures restrictives —dans le but affiché d’en atténuer la portée— plutôt que de s’y opposer frontalement.
Tout cela montre bien le mouvement dialectique qui traverse la double dimension de gestion, d’une part, et de contestation, d’autre part, de l’action syndicale.
Les tendances dans l’U.E.
On distingue trois types de gestion : la gestion par des organismes privés, la gestion par l’Etat
et la gestion par des organismes parapublics associant les représentants des partenaires sociaux.
Au Danemark, en Finlande, en France, aux Pays-Bas et en Suède, la gestion est assurée par des organismes privés. Aux Pays-BAS et en Suède, il s’agit d’organismes administratifs indépendants, au Danemark et en Finlande, d’organismes dépendant des syndicats, et en France d’un organisme paritaire.
L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne et l’Italie ont confié leur système à des organismes parapublics tripartites composés de représentants de l’Etat, des organisations syndicales et patronales.
En Grèce, en Irlande, en Luxembourg, au Portugal, au Royaume-Uni, ainsi que dans la plupart des « nouveaux pays » (Estonie, Lettonie, Lituanie, République Tchèque, Chypre…) la gestion dépend directement de l’Etat.
Les directions
A l’occasion du rapprochement en France entre ANPE et Assedic, qui forment désormais le « Pôle Emploi », une étude 2 s’est attachée à analyser la structur de l’indemnisation et du placement dans sept pays de l’U.E. : l’Allemagne, la Belgique (plus particulièrement la Wallonie), le Danemark, l’Espagne, la Grande-Bretagne, l’Italie et les Pays-Bas. Pour chacun de ces pays, trois points ont été examinés : l’organisation du système d’indemnisation du chômage, le placement des demandeurs d’emploi, en mettant en évidence, le cas échéant, la collaboration entre les structures publiques et les opérateurs privés, et les liens entre l’indemnisation du chômage et la recherche d’emploi. L’examen des dispositions dans ces pays révèle trois grandes directions : la volonté générale de réformer le modèle de l’indemnisation et du placement des chômeurs, le renforcement des liens entre l’indemnisation et le placement, et la recherche d’une meilleure efficacité du système de placement. Le renforcement des liens entre l’indemnisation et le placement se manifeste à différents niveaux : par des changements institutionnels, par la mise à disposition des demandeurs d’emploi de guichets uniques, et par la subordination du versement des allocations de chômage à la recherche active d’un emploi. Les changements institutionnels sont particulièrement évidents en Allemagne, en Espagne, en Grande-Bretagne, ainsi qu’au Danemark et aux Pays-Bas. En Allemagne et en Espagne, un organisme unique gère l’indemnisation et le placement des demandeurs d’emploi : dans le premier cas, c’est l’Agence fédérale du travail, qui s’est substituée à l’Office fédéral au 1er janvier 2004 et, dans le second, c’est l’Institut national pour l’emploi. En Grande-Bretagne, l’indemnisation et le placement relèvent depuis avril 2002 de la même agence du ministère de l’Emploi et des Pensions, Jobcentre Plus. Au Danemark, les liens entre les organismes chargés de l’indemnisation et du placement se sont resserrés récemment. Il en va de même aux Pays-Bas, où la loi SUWI de novembre 2001 oblige les deux organismes de droit public respectivement compétents pour l’indemnisation et le placement à collaborer pour favoriser le retour des chômeurs à l’emploi et à échanger des informations, un organisme ad hoc veillant au respect des protocoles d’échange.
En même temps que les structures publiques de placement se modernisent, notamment en mettant en oeuvre des méthodes de gestion calquées sur celles des entreprises, le recours aux opérateurs privés s’étend.
Ces constats posent une question importante : si les liens entre indemnisation et placement se resserrent, avec un modèle inspiré des entreprises, et si le recours à des opérateurs privés se développe, ne risque-t-on pas de voir le système d’assurance-chômage tout entier, comme c’est déjà le cas pour les pensions, glisser sur la pente de la privatisation ?
A suivre…
—————————————-
Il nous a semblé opportun, dans le cadre d’une réflexion sur la gestion et l’indemnisation de l’assurance-chômage, de proposer des chiffres qui donnent une idée comparative des PIB des divers pays de l’U.
E., de la part du PIB consacrée aux dépenses sociales, et de la part des dépenses sociales consacrées à l’assurance-chômage. Les différences entre les divers pays, notamment sur la part des dépenses sociales consacrées à l’assurance-chômage, peuvent interpeller…
j Organisme chargé du paiement des allocations de chômage et type de gestion
k PIB global (millions de dollars)
l Dépenses de protection sociale par rapport au PIB
m Dépenses de protection sociale consacrées au chômage en % du PIB
Sources statistiques : www.eurocompar.eu Chiffres 2004 ou 2006
Allemagne
j Agence fédérale du travail, parapublique tripartite
k 2.915.867
l 29,50%
m 8,30 %
Autriche
j Confédération des organismes de sécurité sociale autrichienne, parapublique tripartite
k 321.934
l 29,10 %
m5,80 %
Belgique
j Syndicats ou Caisse Auxiliaire de Payement des Alloc.chômage, parapublique tripartite
k 393.590
l 29,30%
m 11,90%
Bulgarie
j Institut national des assurances sociales, publique, assumée par l’Etat
k 31.483
l –
m –
Chypre
j Service des affaires sociales, publique assumée par l’Etat
k 18.235
l 17,80%
m 4,90%
Danemark
j Caisse d’assurance chômage (A-kasse), par les syndicats
k 275 .237
l 30,70%
m 9,20%
Espagne
j Service public de l’emploi d’Etat, parapublique tripartite
k 1.225.750
l 20%
m 12,50%
Estonie
j Fonds d’assurance chômage & Office du Marché du travail, publique
k 16410
l 13,40%
m 1,60%
Finlande
j Institut d’assurance sociale (chômage public) & Fédération des fonds d’indemnisation du chômage, par les syndicats
k 210.837
l 26,70%
m 9,50%
France
j Pôle emploi (fusion Assedic- ANPE), paritaire
k 2.252.213
l 31 ,20%
m 7,30%
Grèce
j Organisme de l’Emploi de la main d’œuvre, publique assumée par l’Etat
k 307.709
l 26%
m 5,70%
Irlande
j Service des Affaires Sociales, publique assumée par l’Etat
k 222.650
l 17%
m 7,90%
Italie
j L’Institut national de prévoyance sociale (INPS), parapublique
tripartite
k 1.852.585
l 26,10%
m 1,90%
Lettonie
j Agence nationale d’assurance sociale, publique
k 20.116
l 12,60%
m 3,30%
Lituanie
j Bourse lituanienne du travail, publique
k 29784
l 13,30%
m 1,50%
Malte
j Département de la sécurité sociale, publique
k 6085
l 18,80%
m 6,80%
Pays-bas
j UWV-Werkbedrijf, privée paritaire
k 663.119
l 28,50%
m 5,80%
Pologne
j Bureaux de l’Emploi, publique
k 338.689
l 20%
m 3,40%
Portugal
j Institut de la Solidarité et Sécurité Sociale, publique assumée par l’Etat
k 194.989
l 24,90%
m 5,30%
République Tchèque
j Les services de l’emploi, publique
k 141.801
l 19,60%
m 3,80%
Roumanie
j Agence pour l’Emploi, publique assumée par l’Etat
k 194.989
l 121901
m –
Royaume-Uni
j Service Jobcentre Plus, publique assumée par l’Etat
k 2.398.946
l 26,30%
m 2,60%
Slovaquie
j Caisse d’assurance sociale, publique
k 54.969
l 17,20%
m 6%
Slovénie
j Office pour l’Emploi, publique
k 37.240
l 24,30%
m 3%
Suède
j Confédération suédoise des Caisses de chômage, privée
k 385.293
l 32,90%
m 6%
———————–
Pages réalisées par : Donatella Fettucci, Nicolas Zurstrassen, Joe Napolillo, Mariana de Azevedo, Christophe F., Carla Ferro, Sébastien Vandenborght, Dimitri Brulmans, N.R., Greg Pascon et Chris Wouters