La foire des désirs

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« La culture, devenue intégralement marchandise, doit aussi devenir la marchandise-vedette de la société spectaculaire. »
Guy Debord , La Société du spectacle

« Chez tout acteur mêlé aux affaires du monde, les événements ne sont qu’une succession de chocs, d’émotions, de caprices, de coïncidences le plus souvent improbables. »
Jacques Attali, Verbatim III

Comme disait déjà le philosophe et sociologue allemand Herbert Marcuse (1898-1979), le système capitaliste actuellement dominant est un système qui règle la totalité des relations sociales, avec une nouvelle forme de rationalité: la rationalité technique, basée sur des critères d’efficacité et de précision. L’idéologie actuelle est celle de l’économie capitaliste. En quoi consiste le rôle des événements dans celle-ci? Les marchés publics grecs de l’Antiquité sont une première preuve d’agissements à but commercial. A partir du XIXè siècle, avec le développement de l’économie capitaliste occidentale, les pratiques de la communication événementielle ont, elles aussi, évolué.

Dans les années 30, c’est l’ère des salons. Les nouvelles foires des temps modernes prennent de l’ampleur, notamment le secteur de l’automobile, quand Ford arrive à séduire le public en organisant des visites de ses usines. Mais l’essor de la communication par l’événement débute vraiment au cours des années 80. Deux facteurs l’expliquent : la publicité dans les médias a engendré beaucoup d’excès, ce qui a produit une évolution des besoins de communication. Et puis, la crise de 73, après le choc pétrolier, est un moment-clé qui détermine un boom des d’agences de communication. Face aux difficultés financières, les entreprises ont dû chercher des modes de communication moins chers et plus percutants.

Usages et avantages de la communication événementielle

Les entreprises sollicitent de plus en plus le travail des agences de communication spécifiques. Il consiste à créer des événements pour optimiser les ventes d’un produit déterminé. Ces agences créent des projets sur mesure pour les annonceurs. C’est une stratégie de marketing qui accroît et renforce rapidement la notoriété d’une marque, et essaye d’atteindre de nouvelles populations-cibles. Elle engendre la sympathie parce que elle crée un lien affectif entre la marchandise et les participants. Potentiellement attractive, elle incite les gens à se déplacer et à se rendre « là où il faut être » pour recevoir collectivement un message précis.

La Belgique ne manque pas d’événements culturels catalogués comme « événementiels ». Certains se répètent annuellement : la Foire du Livre, le FIFF (Festival International du Film Francophone), le BIFF (Brussels International Film Festival), la Fête de la Musique, et d’autres festivals musicaux d’été comme Couleur Café, Dour, Graspop, etc. La Zinneke Parade, elle, joue sur l’intégration de la multiculturalité. En 2008, le festival Esperanzah a attiré enrivon 30.000 personnes, en trois jours de festivités. Aujourd’hui, on n’y va plus seulement pour écouter de la musique, mais aussi pour participer à une idée. Beaucoup de ces événements n’hésitent pas à exploiter des valeurs «politiquement correctes ».

Les liens entre la culture et la communication événementielle semblent de plus en plus intriqués. Pourquoi communiquer par l’événement ? Tout d’abord, parce que c’est une formule potentiellement moins coûteuse. Ensuite, parce qu’il fait partie de la communication hors média. Par sa capacité de transmettre des émotions, il est considéré comme un « media chaud », offrant par exemple des possibilités de rencontres, dans une humanité submergée par le câble et le virtuel. Les hors média s’adressent à um public plus restreint, mais permettent d’épurer le message délivré, de l’individualiser au maximum, et donc avoir plus d’impact. Car bien qu’éphémère, la communication événementielle s’inscrit dans la durée ; elle marque les esprits en privilégiant la relation directe. Elle est protéiforme et parle à tous les
publics.

Les techniques de communication ont évolué dans la mesure où la technologie communicationnelle s’est développée. Aujourd’hui, dans l’ère de la société du spectacle, nous sommes dans une logique de production marchande. Cette théâtralisation de la vie, surtout de la vie des entreprises, est une conséquence de ce que l’École de Francfort appelait « l’industrie culturelle ». Nous voulons tout consommer, y compris la culture. De plus, les entreprises culturelles constituent une force économique importante due à la quantité d’emplois qu’elles génèrent et à leur contribution au PIB du pays. Le rapport « The economy of culture in Europe » offre quelques données de base: en 2003, le secteur culturel contribue pour 2,6% au PIB de l’UE, emploie environ 6 millions de personnes dans toute l’UE – et constitue donc, à côté des industries chimiques et automobiles, l’un des trois secteurs les plus importants. Alors que le taux d‘emploi général a baissé entre 2002 et 2004, il a augmenté de 1,85% dans le secteur culturel sur la même période. L‘étude évalue le chiffre d‘affaires du secteur culturel pour 2003 à plus de 654 milliards d’euros. La Province de Limbourg a publié en 2008 une étude sur la valeur économique de la culture dans sa région et dans ses régions voisines. Dans la région projet, le secteur culturel comprend en 2005 plus de 28.000 entreprises, réalise un chiffre d‘affaires de plus de 8 milliards d’euros et emploie environ 122.000 personnes.
Les entreprises consacrent en moyenne 7% de leur budget communication à la publicité par l’événement, selon une étude d’ANAé (Association des Agences de Communication Événementielle) en 2002. Les associations sont ainsi obligées de faire de même pour survivre dans l’écrasante concurrence du marché. Elles ne font pas souvent appel aux agences de communication à cause de leur coût élevé. Pourtant, leur création interne s’inspire nettement de leurs techniques de publicité événementielle. La FGTB, par exemple, a mis en place et développé l’asbl Promotion et Culture, dont le groupe-cible est formé par des femmes, des jeunes, des sans emploi, des immigrés et des pensionnés.

Nouveaux modes de diffusion de l’information

Nous sommes submergés par une vague continue d’information. En grande partie due à l’explosion des nouvelles technologies du XXème siècle, la télévision, la téléphonie mobile et l’internet. Ce dernier est aujourd’hui le moyen de communication favori des annonceurs. Encore plus efficaces que les liens sponsorisés ou les bannières publicitaires classiques, les campagnes publicitaires par email produisent souvent des résultats surprenants. L’email, vecteur de communication simple, accessible à tous, et peu coûteux, est un moyen efficace d’atteindre quotidiennement la cible.

Les utilisateurs du site Facebook, le nouveau phénomène virtuel, utilisent une stratégie similaire pour promouvoir des événements culturels. Les Éditions Maelström, La Maison de la Poésie d’Amay et la Cinématek de Bruxelles s’y retrouvent sous forme de « groupes de discussion ». Les organisateurs d’événements envoient des invitations à tous leurs contacts, la population ciblée qui elle-même s’inscrit dans leurs listes de diffusion. Et ça marche très bien! Les événements, y compris des manifs organisées via Facebook peuvent réunir des centaines de personnes. La freeze à Paris, le 8 mars 2008, a assemblé plus de 3.000 personnes devant le Trocadero, qui protestaient contre la vitesse exagérée du style de vie de la société capitaliste.

Quant au gsm, si les publicitaires sont plus réticents, ça s’explique par le fait que le rapport entretenu par les gens avec leur mobile est plus intime que celui développé avec l’ordinateur. Les annonceurs ont (encore) peur d’être trop envahissants. Ils hésitent à répéter les erreurs commises sur le web: déjà sur email il y a énormément de publicités considerées comme spam. S’ils ratent leur public-cible, ils risquent de s’exposer à un effet pervers, : voir leur produit ou événement critiqués via les chats ou les réseaux sociaux. Mais malgré ça,
qui n’a jamais reçu des invitations à des soirées, des activités culturelles ou des concerts par sms ? Nous ne pouvons pas exclure l’infinité de possibilités de modes de communication qui peuvent encore apparaître, surtout si on considère l’émergence de nouvelles technologies, ou de nouvelles combinaisons entre celles qui existent déjà.

Des prévisions plutôt optimistes

La crise économique actuelle bénéficie à la communication événementielle parce qu’elle entraîne une crise identitaire dans la population face à laquelle la culture peut jouer un rôle important. Dans ce cadre, l’événementiel croît sans cesse. Les enquêtes d ANAé attestent d’une croissance de 4 à 8% dans le monde des agences de com. Il s’y vérifie donc une progression constante de l’activité événementielle, y compris dans ces temps difficiles pour la communication en général. Il semble que ce marché n’ait pas encore atteint ni sa maturité ni la saturation, mal dont souffre la publicité médiatique. Ce qui permet aux intéressés de regarder l’avenir avec optimisme…

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