Le secteur culturel semble mieux se porter. Pour preuve, en 2009, l’enveloppe de la ministre de la Culture et de l’Audiovisuel, Fadila Laanan, se voit gonflée de 10 millions. Parallèlement à cela naît un engouement pour l’art comme vecteur d’une nouvelle économie des villes. Entre la création de « Métropole culture » de la Communauté Wallonie-Bruxelles, le combat « Liège-Mons 2015 », capitale européenne de la culture ou le nouveau venu « Passages » 1, on frôle la démesure. L’attirance réciproque de l’état et de la Culture n’est pas nouvelle. Selon Remi Caron 2, faire étalage de ses richesses culturelles au-delà des frontières, a toujours été un faire valoir de sa fécondité intellectuelle et d’autorité. En théorie, ces projets ont pour vocation d’offrir une meilleure visibilité du patrimoine culturel d’une région, de tisser des liens sociaux durables et de véhiculer l’idée sous-jacente de retombées économiques et touristiques. En pratique, c’est une autre histoire. Si la culture s’offre à l’Etat, c’est en raison des coûts qu’elle engendre. Reste à savoir si la répartition des divers budgets ne favorisera pas les grosses structures publiques en laissant pour compte les petites mains de la culture qui se battent pour leur survie.
Porteur de paradoxe
Si le temps de la colère est passé, la fragilité du secteur artistico-culturel reste toujours bien perceptible. Et, afin de répondre aux besoins de la collectivité, une nouvelle tendance en pleine expansion et mieux valorisée se développe : le secteur associatif. C’est ce que démontre l’étude sur « Les associations en Belgique. Une analyse quantitative et qualitative du secteur. » confiée par la Fondation Roi Baudouin à l’Université de Liège (Centre d’Economie sociale) et à la KUL (Hoger Instituut van de Arbeid). Le constat y est clair: plus d’un salarié sur dix travaille pour le secteur associatif, hors enseignement. À l’échelle belge, les asbl représentent 428.000 emplois en temps plein. Ce sont aussi 17.000 associations dont la production totale s’élève à plus de 22 milliards d’euros. L’étude reflète le dynamisme du secteur où l’on privilégie des valeurs en marge du contexte de compétitivité et de production prônées par le système économique actuel. Mais comment le secteur perçoit-t-il sa propre réalité ?
Pas de culture sans droits sociaux
Si les petites structures peinent dans leur lutte contre les grandes, qu’en est-il des artistes qui se retrouvent seuls face au marché ? Ils sont d’éternels intérimaires, sans possibilité de CDI, dont l’esprit créatif n’est pas mis en valeur et encore moins rémunéré. Et même si le politique tend vers un meilleur financement du secteur, faut-il encore que l’argent soit utilisé à bon escient. Des dérapages existent, même dans des institutions nationales où le paraître prime sur l’être humain. Ici, pour obtenir un rôle, de jeunes comédiens ont accepté de sacrifier une partie de leur salaire. Trois semaines de bénévolat forcé qui laissent perplexe quand le rideau se lève sur le faste et le coût du décorum. Il est encore trop aisé de bafouer les droits des artistes aujourd’hui.
————————-
C’est ce que nous avons tenté de découvrir en interrogeant Véronique Stasse, coordinatrice du CPCR.
C4 : Quelle est l’identité de votre association ?
Véronique Stasse : « CPCR veut dire Centre Poly-Culturel Résistances. On fonctionne comme centre culturel mais alternatif. Si l’on compare avec des centres culturels, reconnus comme Ans ou Seraing, c’est totalement différent. On part de la demande des gens et des collectifs du quartier puis on construit autour d’eux. Notre volonté est de répondre à un besoin d’
artistes ou de collectifs qui ont envie d’un espace pour se retrouver, pour se construire. Le lieu appartient à tout le monde avec des règles et un fonctionnement interne. Le fait de posséder le statut d’éducation permanente adulte fait que nous n’avons pas vraiment comme vocation de lancer un nouveau groupe de musique, mais nous appuyons principalement les adultes ou les collectifs qui auraient envie de créer leur propre asbl. L’association sert de tremplin ».
C4 : Généralement, l’associatif défend des valeurs autres que celles de structures « commerciales ». Quelles sont les vôtres et les difficultés rencontrées dans la réalité ?
V.S. : « Il est clair que nous défendons des valeurs humanistes, et c’est vrai que c’est assez difficile. Jusqu’à il y a cinq ans, nous fonctionnions de manière relativement autonome. Aucune personne n’était rémunérée dans l’équipe. Nous étions tous des « militants ». Nous n’aimons pas trop le terme « bénévole ». Puis, nous avons demandé et reçu la reconnaissance « éducation permanente ». C’est très différent de ce que nous voulions initialement, c’est-à-dire un lieu pour les gens. Car le statut d’éducation permanente implique un certain nombre d’heures d’activités qui s’inscrivent dans des axes bien précis, et malheureusement le festif ne rentre pas dedans. Il y a cependant du positif. Cette reconnaissance nous a aussi permis d’évoluer et de créer un premier emploi administratif. Suite à cela, nous avons continué notre recherche de financement afin d’avoir une structure stable, et aujourd’hui nous sommes une équipe de quatre personnes dont trois sous contrat APE indéterminé ».
C4 : Quelles sont vos subventions ?
V.S. : « En dehors de l’éducation permanente, nous répondons à certains appels à projets « extraordinaires » comme le FIPI (Fonds d’Impulsion à la Politique des Immigrés). Mais nous ne recevons rien ni de la ville de Liège, ni de la Province. C’est voulu, cela nous permet de garder une forme d’indépendance. De plus, les demandes de subsides sont synonymes de tracasseries administratives et donc de temps perdu pour d’autres projets plus aboutis ».
C4 : Comment rester concurrentiel sur le marché de l’associatif ?
V.S. : « Nous avons notre particularité : répondre à la demande du public. À côté de cela, nous essayons de trouver des activités plus lucratives, comme des soirées DJ (une fois par mois). Même si ce n’est pas ce que nous préférons, cela permet des rentrées financières pour des actions plus innovantes. C’est une forme d’équilibre ».
C4 : Comment ressentez-vous l’évolution du secteur associatif ?
V.S. : « Il existe de plus en plus de lieux associatifs et culturels. Sur les deux dernières années, beaucoup se sont ouverts, et fatalement beaucoup ont aussi fermé. Parfois, on se marche un peu les uns sur les autres. On constate aussi qu’il y a énormément de « récupération » de projets qui fonctionnent bien par d’autres ».
C4 : Quel avenir pour le secteur ?
V.S. : « Pas trop de tracas pour nous grâce à notre indépendance. Nos neuf années d’existence dans le quartier font que nous sommes appréciés et reconnus par les habitants pour qui nous sommes une référence. Cela fait notre force. Quant aux pouvoirs publics, il est probable qu’ils financeront encore moins le secteur associatif. On le constate déjà avec « Liège 2015 ». L’objectif serait une reconnaissance des petits lieux, mais au final ce sont les grosses structures qui vont en tirer tout le bénéfice. On sent encore un manque de reconnaissance des associations. Un exemple : L’Opéra Royal de Wallonie qui voulait s’installer sur l’Esplanade Saint-Léonard durant les travaux de rénovations, sans les autorisations adéquates et sans aucune concertation avec les quartiers. Il existe bien « deux poids, deux mesures » entre les grosses institutions et les petites structures ».
Notes: