(Contre-cultures)

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Il convient, avant de s’interroger sur sa possible disparition, de se demander d’où vient la contre-culture. Elle est le fruit de la pensée marxiste qui voyait en l’art un moyen de domination des classes possédantes sur le prolétariat. Cette pensée a abouti à la volonté de créer un art qui renverserait l’ordre des choses. Le but était de donner aux classes dominées les moyens de production pour combattre une culture de masse imposée par les élites.

Cette vision de l’art a été fortement diffusée par l’Ecole de Francfort, qui a mis en exergue la domination imposée par la classe bourgeoise à travers l’art.

On retrouve notamment cette pensée dans La dialectique de la raison d’Adorno et Horkheimer qui critiquent la culture industrielle. Ils affirment tout d’abord que la frustration que cette culture fait subir à ses spectateurs a pour effet de les assujettir en réprimant leurs désirs. Cette expérience de frustration par l’art accoutumerait d’après eux les spectateurs à accepter que tous leurs désirs, y compris politiques, soient frustrés. Au final, cette culture de masse déboucherait sur une sorte de fatalité laissant penser aux publics que les gens qui réussissent étaient faits pour ça, et qu’il ne faut donc pas à lutter contre l’ordre établi.

L’école de Francfort développe cependant, par rapport à la culture, une vision double qui est peut-être à l’origine de la contre-culture. En effet, si, d’une part, elle considère l’art comme un ethos bourgeois favorisant l’individualisme, elle voit aussi en lui un moyen de contestation contre les institutions.

Walter Benjamin, par exemple, dans « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » voyait l’art comme à la fois ce qui permet à l’ordre archaïque de subsister par sa dimension nostalgique, et ce qui permet de modifier cet ordre. Il fallait, d’après lui, politiser l’art pour modifier les conditions sociales. Cette pensée sera reprise par les avant-gardes et une grande partie des contre-cultures.

Naissance du terme

Le terme « contre-culture » apparaît en français pendant la révolution culturelle de mai 68. Il rassemble des pratiques culturelles qui s’opposent aux usages de la culture dominante. Cette contre-culture est à la fois subversive et révolutionnaire, comportant souvent un fond social ou politique. Michel Lancelot, dans un essai paru en 1971, dira que la contre-culture « repose sur la création permanente et la critique systématique ».

Il n’y a véritablement contre-culture, d’après Gattolin, que « si des événements majeurs conduisent une fraction déterminante de la population à s’engager dans une logique d’antagonisme radical avec le système et l’ordre établi ».

C’est, d’après lui, la mobilisation contre la guerre du Vietnam qui a permis à la première forme de contre-culture de voir le jour. Ainsi, à San Francisco, est né le mouvement hippie qui s’est rapidement répandu, créant des espaces où un univers contestataire voyait le jour autour de la liberté sexuelle, de l’utilisation de drogues, mais aussi d’un imaginaire politique contestataire marqué par la figure d’Ernesto Guevara, et la création de médias alternatifs propres au courant.

C’est notamment ce courant qui a influencé Mai 68. Ce terme, comme le souligne André Gattolin dans un article paru dans la revue « Mediamorphoses », est quelque peu abandonné dans les années 80 pour « des postures identitaires plus éphémères et diversifiées », regroupées sous la notion de « subculture » par Hebdige. L’économie de la culture a littéralement surfé sur cette vague contestataire en incorporant dans ses stratégies publicitaires des valeurs qui avaient été érigées par les contre-cultures, afin de vendre ses produits de consommation.

Contre-cultures actuelles

Cette notion a, toutefois, été reprise depuis les années 90 par une nouvelle vague contestataire, en partie altermondialiste, qui utilise les nouveaux moyens de communication pour s’opposer à l’
industrie capitaliste.

Ce mouvement a pour but de « changer le monde sans prendre le pouvoir » comme l’explique J.Holloway. Il s’articule autour d’une critique des médias et d’une contre-information favorisée par les innovations techniques qui permettent, entre autre, d’échapper au contrôle de l’industrie capitaliste. Aris Papatheodorou explique l’émergence de ces pratiques: « La culture hacker d’abord, à la façon empirique d’un droit coutumier, puis le mouvement du Logiciel libre, comme affirmation directement politique, en posant comme centrale la nécessaire liberté de circulation et d’utilisation du code source, en pratiquant de fait la coopération productive dans l’innovation logicielle, ont produit bien plus que des lignes de code : ils ont contribué à une large diffusion des savoirs techno-scientifiques au-delà des seuls cercles d’experts ; ils ont largement estompé la distinction entre producteur (du code) et utilisateur »

Parmi ces pratiques, on retrouve le « peer to peer », le « copyleft », l’ « open source », les réseaux d’échanges de savoir,… :

« Open Source » est le terme que l’on utilise pour qualifier les logiciels dont la licence respecte les critères de possibilité de libre redistribution, d’accès au code source, et de travaux dérivés. Le freeware désigne, quant à lui, les logiciels gratuits qui ne sont ni nécessairement ouverts ni libres.

Le « peer to peer » (pair à pair) est un modèle informatique qui permet à plusieurs ordinateurs de communiquer via un réseau et de partager des fichiers sur Internet. Il a pour avantage de lever la dichotomie serveur-client. Ce système est donc entièrement composé de pairs qui s’échangent les ressources, chaque membre étant à la fois serveur et client. Cela permet la décentralisation des données, l’anonymat (qui permet d’éviter d’éventuelles poursuites judiciaires), le brouillage du protocole (afin d’éviter les filtrages des fournisseurs d’accès Internet ) et le chiffrement (on peut savoir qui est l’utilisateur mais pas ce qu’il télécharge).

Le « copyleft » est la possibilité donnée par le titulaire d’un droit d’auteur de copier, d’utiliser, d’étudier, de modifier et de distribuer son œuvre dans la mesure où ces possibilités restent préservées. Le contributeur apportant une modification ne peut distribuer sa contribution que par le biais du « copyleft ». La première utilisation de ce concept a été faite par Richard Stallman dans le cadre du projet GNU. Ce dernier s’explique quant au but du copyleft :« L’idée centrale du copyleft est de donner à quiconque la permission d’exécuter le programme, de le copier, de le modifier, et d’en distribuer des versions modifiées – mais pas la permission d’ajouter des restrictions de son cru. C’est ainsi que les libertés cruciales qui définissent le logiciel libre sont garanties pour quiconque en possède une copie; elles deviennent des droits inaliénables ».

On note parmi ses pratiquants le collectif Wu Ming. Ils expliquent leur démarche en ces termes : « Si je mets un copyright sur une oeuvre, cela veut dire que j’en suis le propriétaire et je profite du pouvoir que cela me confère pour dire que vous pouvez faire ce que vous voulez de mon oeuvre : vous pouvez la copier, la diffuser, la modifier, mais vous ne pouvez pas empêcher quelqu’un d’autre de le faire, autrement dit, vous ne pouvez pas vous approprier cette oeuvre et empêcher sa libre circulation, vous ne pouvez pas mettre de copyright à votre tour parce qu’il y en a déjà un, qu’il m’appartient, et que je vous emm… ».

Ce principe, contrairement à ce qu’on serait amené à penser, ne fait pas perdre de l’argent à ses éditeurs : comme ils l’expliquent « plus une œuvre circule, plus elle se vend ».

Fruit d’une idéologie contestataire, la contre-culture est aujourd’hui mise à mal par le capitalisme qu’elle a toujours critiqué. Ses postures jadis affichées ont été incorporées par le système. Avec cette nouvelle génération de contre-culture apparaissent ces questions : quelles énergies et quelles
ressources pour renouveler les pratiques ? Quelles lignes de fuite et stratégies novatrices pour organiser des résistances au système qui ne soient pas aussitôt digérées et « upgradées » par lui, puis recrachées comme autant de nouvelles marchandises ?

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