Arrêtez-vous dans n’importe quelle rue d’une ville assez mouvementée et vous constaterez que le trafic est dense et que les gens font leur chemin machinalement. Mais si on prend le temps de s’attarder quelques instants, on découvre parfois des particularités à ces grandes artères. C’est le cas de la rue Montignies du quartier de Monsville à Quaregnon. Après y avoir fait quelques pas, on entre dans l’une de ces impasses typiques du Borinage. Quaregnon, ville de près de 19.000 habitants, se situe à quelques kilomètres de Mons, capitale du Hainaut. Vestige du passé minier, elle fait partie de ces villes hennuyères qui ont connu la Wallonie riche du temps des charbonnages. L’impasse Montignies abrite quelques maisons typiques de cette époque. De loin, la ruelle attire peu. Mais après quelques pas, on se rend compte que les habitations sont pour la plupart bien entretenues par leurs propriétaires. Façades rénovées, fleurs aux abords des fenêtres… Au n°47, habite Bernard. L’homme de 58 ans invite tout passant à entrer d’une façon si amicale que l’on a l’impression de le connaître depuis toujours. « Cette maison et celle d’à côté ont été habitées par quatre générations de ma famille, c’est dire si on y est attaché ! Plus jeune, je me souviens que ma maman avait trouvé une autre maison dans une autre ville, pas loin d’ici, mon père n’a jamais voulu déménager. Aujourd’hui, je ne pense pas que je pourrais partir non plus ». Monsville est situé à quelque pas du centre-ville, et ce qui caractérise ce quartier c’est sa longue rue principale. Perpendiculairement, on y découvre de nombreuses impasses aussi intrigantes les unes que les autres, pour peu que l’on prenne le temps de s’y arrêter. « On a du mal à les compter les ruelles ici… Je dirais qu’il y en a bien une vingtaine ! Et encore, je ne les connais pas toutes ».
Bernard n’habite pas seulement le quartier de Monsville, il le vit. Il fait partie de ces personnes qui n’oublient pas d’où elles viennent, non parce que cela s’impose à elles, mais parce qu’elles le veulent. Le Quaregnonnais est loin d’être un personnage grognon nostalgique. Il évolue avec son temps, mais tout en gardant ce cachet authentique du passé. Dans sa demeure on trouve de nombreux objets ‘anciens’ : des tableaux d’artistes d’époque, une lampe de mineur, un vieux tourne-disques, ou encore d’anciens jeux de foire. Quand Bernard évoque son Monsville, c’est tout son être qui s’anime ! Et encore plus quand on lui demande si son quartier a changé. « Du changement c’est certain. Avec la fin des charbonnages notamment. La population s’est diversifiée avec l’immigration. Mais au final, tout le monde se connaît que l’on soit Belge ou étranger ».
Quand Bernard parle « d’avant », c’est de la fin de la faste période des charbonnages, avant les années 60. « Petit, j’ai connu mon père mineur. Rien qu’à Quaregnon, il y avait trois mines en activité, c’est dire les emplois perdus quand tout a fermé. Et il ne faut pas penser qu’il n’y a que les charbonnages qui se sont éteints. A l’époque, il y avait pas mal d’usines : des faïenceries, des ateliers de confection… ». Depuis la fermeture des sites miniers, Quaregnon, comme d’autres villes du Hainaut, peine à se relever du désastre économique. Certes, de nombreux commerces et entreprises ont investi la région de Mons, mais il est important de souligner qu’à côté de ça, les villes voisines souffrent encore du chômage. Beaucoup de familles sont en situation difficile, voire précaire.
Réanimer le quartier
Si certaines grandes villes belges laissent mourir leurs quartiers, d’autres, au contraire, s’acharnent à leur redonner vie. Certains diront que les évolutions industrielles et technologiques les étouffent. D’autres confieront qu’ils sont motivés par cette envie de renouer avec les racines de leurs ancêtres.
Il y a quelques mois, à l’initiative de Susan Heenan, employée à l’administration communale, tout le quartier de Monsville s’est replongé dans la belle époque,
lors d’une journée balade-exposition. « Un jour, Susan est venue me voir car elle sait que je suis collectionneur d’anciennes cartes postales de Quaregnon ; j’en ai des milliers ! », raconte Bernard. Le projet «Monsville s’expose » avait pour objectif de montrer à toutes les générations le Monsville d’avant le 21ème siècle. « Dans des magasins, les cafés et même des habitations, on a affiché des photos et des cartes postales agrandies ». Le 21 octobre dernier, la population quaregnonnaise a donc passé toute la journée dans cet ancien quartier populaire dans le cadre du projet initié par la ville. Ce dernier, imaginé il y a un an, entre dans le cadre de la rénovation du quartier. A cette occasion, nombreuses étaient les personnes qui en découvraient certaines facettes pour la première fois. Balade en fanfare dans les ruelles, rencontres avec les habitants, le projet en a séduit plus d’un.
Les promeneurs ont également eu le loisir de faire connaissance avec le Monsville d’aujourd’hui grâce à l’expo de photos modernes mise en place par les organisateurs. Les jeunes ont activement participé au projet. La maison de quartier a en effet proposé aux enfants de photographier Monsville avec leur propre regard. Clichés anciens et récents se côtoyaient pour le plus grand plaisir du public. Et ce qui ressort principalement des clichés des ados, c’est sans conteste le côté multiculturel du quartier, car Quaregnon est avant tout une cité cosmopolite où cohabitent des gens de toutes nationalités et origines sociales.
Quid de l’avenir ?
La commune de Quaregnon et ses habitants ont en effet pris conscience du besoin de réinvestir ce quartier quelque peu oublié. Tout Quaregnonnais connaît Monsville, c’est un peu comme le quartier du Midi pour les Bruxellois.
Quand on habite depuis toujours un endroit, on voit rarement ce qui s’y passe, c’est souvent l’étranger qui pointe les richesses du quartier. Mais aujourd’hui les anciens et les jeunes de Monsville ont décidé de réveiller leurs rues. L’exposition a été la première étape. Que pourrait-on imaginer pour la suite ?
Ce qui fait vivre un quartier, ce sont notamment ses commerces. Monsville n’en compte plus énormément. « Autrefois, il y avait deux cinémas et des dancings aussi, sans compter les cafés et les maisons du peuple où les copains se réunissaient», raconte Bernard sourire aux lèvres. Librairies, papeteries, quincailleries et boutiques de mode envahissaient la Grand’Rue. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose…Pourquoi ? Par peur d’investir dans un quartier justement peu prisé par la population ? C’est la réponse la plus plausible que les Quaregnonnais trouvent à leur question…
« Personnellement, je ne pense pas que Monsville puisse un jour redevenir aussi riche et animé qu’autrefois… Ce n’est pas impossible, mais ce serait difficile », confie Bernard. Quand on se balade dans le quartier, on remarque de nombreuses habitations abandonnées, des bâtiments en ruine. Des logements se rénovent, se construisent même, mais il est certain que Monsville n’est pas un quartier qui fait l’unanimité auprès des jeunes. A moins de dix kilomètres de là, centres commerciaux et zonings industriels fleurissent de toute part. Et ça n’est pas prêt de s’arrêter. Les terrains vagues sont envahis. Dans moins d’un an, le groupe français Décathlon s’établira dans la ville. Depuis peu on parle également de l’arrivée du géant suédois IKEA, sans oublier Google et Microsoft. Les habitants de Quaregnon et de Monsville regardent cette évolution tantôt d’un œil approbateur, tantôt avec méfiance. « L’arrivée de l’axiale boraine, de l’autoroute, ça a dévasté le paysage, mais que voulez-vous… C’est ça le changement », sourit Bernard. L’arrivée de ces nouvelles entreprises pourrait toutefois avoir le mérite de donner l’espoir aux jeunes de ces quartiers moins favorisés de trouver de l’emploi…