L’Humour Fast Food

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Accros de la zappette ou friands de la gazette, il y en a pour tous les goûts. Omniprésent dans toutes les émissions de divertissements, et pas nécessairement de qualité, le rire se voit de plus en plus utilisé par les médias comme une arme de séduction et non plus comme un moyen de dénonciation. A y regarder de plus près, le chaland peut en venir à s’interroger sur la qualité et le rôle du produit exposé. L’humour de «plateau TV » est-il aussi impertinent aujourd’hui qu’hier?

Les années 80 avec leurs lots de provoc’ qui fustigeaient les bonnes consciences, ont laissé place à moult one man/woman show policés où des Jean-Marie Bigard à l’humour facile priment sur la poésie et les messages de fond.

L’humour évoluerait-il avec son époque?

S’il est évident qu’aujourd’hui l’aspect mercantile prévaut sur le rôle critique de l’humour, un bref regard par-dessus l’épaule rappelle combien il n’a pas toujours été aisé de rire de tout, et encore moins avec n’importe qui. L’humour dans la presse n’a pas toujours eu la cote et ce n’est certainement pas Honoré Daumier qui contredirait le propos, lui, qui grâce à sa caricature de Louis Philippe en Gargantua en 1832, écopait de six mois d’emprisonnement. Inutile de dire qu’après des vacances forcées et des petites lois sur la censure en 1835, le fusain de Daumier s’est davantage tourné vers la satire des moeurs au détriment de la critique politique.

Évidemment, il s’agissait là des prémisses de la caricature et la société moderne n’envoie a priori plus en prison pour des jeux de mots provocants. Le monde a changé. Et pourtant!

La géographie influence-t-elle l’humour?

Est-il vrai que le camarade Staline collecte les blagues qui courent sur lui ?
Oui, mais pour cela il rassemble d’abord ceux qui les racontent. (Vilovic Melor, 1979)

Au hasard, la Birmanie : 2003, Par Par Lay et Lu Saw, deux comiques, ont été récompensés par la torture et une condamnation à sept ans de prison pour avoir un peu trop titillé l’Etat. Toutefois, il n’y a pas lieu ici de dénoncer toutes les ignominies commises de par le monde, mais plutôt de soulever le couvercle de la marmite « humour » pour constater que le rire ne se digère pas de la même façon d’un pays à un autre. Lorsque l’on y regarde de plus près encore, force est de constater que cette différence se veut ancrée dans la culture de chacun. Si un juif se moque des juifs, il fera rire. Si un non juif reprend le même propos, celui-ci ne prend-il pas le risque de se faire traiter d’antisémite?

Étrangement, alors que certains vomissent la dérision qui s’attaque de trop près au pouvoir, d’autres sont parvenus à en faire leur mets principal. C’est notamment le cas du Canard enchaîné qui a réussi, selon les dires de Roger Fressoz directeur du journal de 1970 à 1992, « à garder une certaine constance et stabilité depuis sa création en 1915 ».

Mélange judicieux d’épices dont la recette ne prendrait sans doute pas de la sorte sans une forme de «relation privilégiée » avec le politique que connaît le journal. Piquantes et dénonciatrices d’abus, les informations et la satire qui sont diffusées dans une presse communément considérée comme peu sérieuse, voire underground, paraissent farcesques, inoffensives, pour le pouvoir en place. Et puis, s’attaquer à ce genre de presse est aussi perçu par l’opinion publique comme un manque d’humour.

Certains échappent au couperet de l’autocensure grâce leur « manque de sérieux » ou simplement parce que le divertissement proposé est en accord avec la tendance politique de la « maison ». D’autres déchaînent les foudres. Ici la maxime de Pierre Desproges « On peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui », et le « … et pas n’importe quand » ajouté par Gerald Herman, prend son sens.

S’il est vrai que la dérision flirte souvent avec les limites de la liberté d’expression, il est judicieux de s’interroger sur ce qu’il est bon de publier, et quand. La
tolérance du public et du pouvoir fut loin d’être similaire lorsque la presse dite sérieuse a publié les tristement célèbres caricatures de Mahomet en 2005. La polémique fait inévitablement réfléchir aux fondements de la liberté de la presse et d’expression. Le débat porte ici autant sur l’aniconisme de l’Islam que sur le dangereux amalgame du prophète à l’islamisme et au terrorisme.

Les exemples touchant à l’intégrité ou à la religion ont souvent démontré qu’ils étaient assez peu solubles dans l’humour, notamment parce qu’ils bousculent des fondements ancestraux. Dernièrement, le remerciement de Siné, dinosaure du monde de la caricature, est venu alimenter la polémique. Le propos jugé antisémite a servi à son licenciement. Inutile de dire que la raison se trouve plus dans la caricature du fils de Sarkozy. Autrement dit, « on ne badine pas avec le politique ». Bien entendu des humoristes tels qu’Anne Roumanoff qui n’a de cesse d’évoquer le mariage de Blanche Neige avec un nain, sont légions, mais rire du physique d’une personne, est-ce offrir une critique constructive sur la société ? Ce baratin où l’on fait semblant de critiquer le pouvoir est pourtant largement diffusé et toléré. Quel est ici l’avantage pour le pouvoir en place ? La population y voit sa liberté d’expression respectée bien que… L’humour bidon sert l’Etat et la censure s’exerce d’une autre façon. Trop politiquement incorrect, c’est la porte. N’est-ce pas un drôle de paradoxe que celui de mêler l’humour et la langue de bois ? Où est le temps de l’ouragan Desproges qui s’abattait sur Jean-Marie Le Pen avec son désormais célèbre: « Je suis sûr qu’il y a plus d’humanité dans l’oeil d’un chien quand il remue la queue que dans la queue de Le Pen quand il remue son oeil » ?

L’humour pour ouvrir les consciences?

La dérision doit certainement rester une arme qui permet de dénoncer des situations abusives. C’est l’arme du faible contre le puissant. Vitrioler le lecteur de manière gratuite et brutale, c’est aller à l’encontre de ce principe. Faut–il pour autant vivre du rire sans choquer? L’insidieuse autocensure nécessaire pour se vendre n’arrondirait-elle pas les angles au point d’endormir la conscience du spectateur ? Écouter les propos « anti-cons » de Desproges aujourd’hui pourrait en révulser plus d’un, alors que s’y exprime une analyse pertinente de la société. Les médias et la société de loisir favorisant le rire facile, l’auditeur n’y serait plus habitué. Pour être heureux, il est nécessaire de consommer et sans se poser trop de questions. À tel point qu’à force d’avaler des propos sans broncher, le retour à la réalité s’avère brutal. Le réveil en sursaut de la Belgique a d’ailleurs pu se mesurer lors de l’émission télévision Bye Bye Belgium sur la Une. Pourtant, ce n’est pas faute de connaître le sarcasme et l’ironie dont est pourvue l’émission. Politiquement incorrect, « surréalisme Belge » ? Les réactions qui s’en suivirent, qu’elles tendent au rire ou à l’outrage, ont démontré que la télévision du divertissement est, trop souvent à tort, considérée comme vecteur de «Vérité ». Dangereux, lorsque la qualité des émissions y est moindre.

Arme de dénonciation ou de séduction, l’humour, comme la société occidentale, devient prudent. Propos illustré pas Didier Bourdon dans son clip « On ne peut plus rien dire ». L’époque de Daumier révolue ? Malgré les lois sur les libertés d’expression, nos humoristes tendent pourtant vers les dessins faciles de Walt Disney. Et force est de constater que si l’on considère la dérision comme étant une violence, aujourd’hui, elle devient une violence politiquement correcte par définition.

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