Les Élixirs Verts du Consumérisme

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« Le droit de se faire plaisir, la liberté de consommer finiront par menacer de mort les sociétés les plus prometteuses. » Jacques Attali – Extrait de « Lignes d’horizon »

« Consommer, c’est en réalité se consumer, c’est consumer toute flamme, tout désir violent, toute passion. » Jacques Sternberg – Extrait de « Vivre en survivant»

Plusieurs types de consommations engagées sont apparus au cours de la dernière décennie, dans cette ère du développement durable. Les principaux sont : le commerce équitable, le commerce éthique, le commerce solidaire, les produits de l’agriculture biologique, et enfin la production locale. Semer la confusion dans l’esprit des consommateurs est une stratégie intéressante pour les entreprises contemporaines issues de ce marché assez récent. Cependant, les consommateurs ne se préoccupent pas de faire la distinction entre ces différents secteurs, de comprendre leurs fondements et leurs buts, de sorte que le concept initial risque d’être dilué dans une sorte de marché “light”, ne tenant d’équitable que le nom. Il semble que la génération de Mai 68 et sa descendance se satisfassent d’apaiser leur conscience écologique en piochant dans le bio et le commerce équitable, un peu comme le scout heureux d’accomplir sa bonne action du jour.

Selon une enquête de la Coopération Technique Belge, environ 80% des Belges savent ce qu’est le commerce équitable. La moitié de la population achète de temps en temps des produits qui en sont issus, 38% par respect pour les producteurs et 29% pour accomplir une bonne action.On peut trouver des produits fair trade dans des boutiques telles que “La Maison du Monde”, “Citizen Dream” et “Les Magasins du Monde Oxfam,” ou même dans des boutiques virtuelles sur des sites web. Si, au début, ils se limitaient à des produits exotiques tels que les bananes, le café et le coton, aujourd’hui on y trouve tout ce qui est nécessaire pour répondre à la plupart de nos besoins quotidiens : vêtements, chaussures, produits de beauté, fétichisme de la décoration intérieure, etc.

Presque toutes les grandes chaînes de supermarchés ont lancé leurs marques bio : GB (Carrefour), Colruyt, Delhaize, Inno… C’est-à-dire, des produits écologiques dans des rayons de supermarché aux pratiques peu écologiques. La question est de savoir si le public-cible se limite à des bobos qui s’amusent à étonner leurs invités, en leur faisant goûter leurs tomates ou framboises bio en plein hiver. Consommation responsable malgré la crise, un luxe !

Autophagie & Fun Morality

L’application de la consommation éthique est difficile à cause de l’ambiguïté du comportement économique des marques et des labels. Difficile parfois de savoir s’il s’agit d’ONG altermondialistes, de multinationales, ou d’un mouvement social. Il existe une véritable guerre de labels, ce qui nous mène à la question de savoir si leur comportement au sein du marché est plus politiquement correct que ceux des multinationales capitalistes. Les produits avec l’étiquette bio etou équitable coûtent de 30% à 50% plus cher, selon certaines enquêtes. Donc, peu accessibles à une partie importante de la population, qui vit dans la précarité. Mais selon une enquête de l’Observatoire Bruxellois de la Consommation durable mené en novembre 2006, pas toujours ! En réalité, cette différence de prix est une moyenne qui cache des variations existant entre les produits et les lieux de vente. Quelle marge reste dans les mains des intermédiaires ? Quelle marge arrive en définitive aux petits producteurs ?
Depuis la dernière décennie, le monde du cinéma a lancé de nombreux films sur le sujet, tels “Le Cauchemar de Darwin”, ou “Une Vérité qui Dérange”. Le vert est en vogue ! Le système capitaliste se sert de cette “vague verte” pour vendre plus – c’est l’exploitation irresponsable de la bonne foi. Un exemple concret : en 2007, Electrabel a fait une campagne qui la présentait comme une entreprise respectueuse de l’environnement, attentive aux
intérêts des consommateurs, et associait son image aux sources d’énergie renouvelable. Cette campagne a ensuite été démentie par le régulateur du marché de l’électricité (CREG), et ironisée par Greenpeace, qui a révélé l’existence de dissimulations comptables par lesquelles Electrabel maintient, contrairement à ses affirmations, une production d’électricité nuisible à l’environnement, par l’intermédiaire de ses centrales à charbon et de ses réacteurs nucléaires.

Des grands groupes automobiles ont misé eux aussi sur des publicités de voitures qui ne pollueraient pas l’atmosphère. Les réactions des ONG environnementales n’ont pas tardé. Sur le site officiel de Greenpeace, il y a un jeu interactif extrêmement sarcastique où l’internaute peut créer sa propre pub mensongère, en utilisant des éléments tels que des paysages naturels, des familles souriantes, de petits animaux mignons et, bien sûr, des voitures de différents modèles. L’objectif est de montrer comment des communications basées sur des schémas simplifiés et des structures médiocres peuvent facilement être efficaces quand il s’agit de manipuler la société de consommation.

Tous les moyens de communication et médias sont mobilisés pour nous convaincre de consommer de l’écologie et de l’éthique : des spots publicitaires à la télévision, des affiches dans les rues, et bien sûr des sites web, présentant seulement les aspects positifs de services ou de produits qu’on surconsomme dangereusement.

Les journaux abordent le sujet exhaustivement, en créant un malaise social proche de la paranoïa. Tous les outils du marketing et de la publicité sont valables, et la pression prend la forme insidieuse de menaces imminentes, de catastrophes irréversibles ou d’appels émouvants adressés à notre conscience citoyenne.

Quels arguments sont utilisés pour vendre éthique ? En vrac : « Ça ne pollue pas l’environnement » ; « c’est bon pour la santé, car ça ne contient pas de pesticides ou d’OGM » ; «ça préserve la saveur des aliments », « ça n’exploite pas le travail humain, surtout pas celui des enfants » ; « ça favorise les petits producteurs » ; « ça évite indirectement la migration massive de la population du sud vers le nord»… Grands sont l’idéalisme et l’ingénuité des consommateurs ! Certains rêvent de faire leurs courses dans des supermarchés « totally » bio et / ou équitables. Mais quelle est la possibilité d’un supermarché inscrit dans une logique de développement durable s’il est, par ailleurs, intégré à une économie de marché ancrée résolument dans une perspective de croissance et de (sur)production ?

Vers une écologie de la conscience ?

Rendus flous par une brume d’idéalisme, d’acceptation sociale et de jeux de marketing, l’agriculture biologique, le commerce équitable et d’autres formes de consommation « éthiques » oscillent entre le politiquement correct et incorrect, qui ne sont démarqués que par un fil aussi subtil que celui d’une toile d’araignée. Quelle attitude adopter face à ce puzzle de moralité ?
Est-ce que l’agriculture bio serait un jour capable d’alimenter toute la population mondiale ? Est-ce que ces organisations s’attaquent vraiment aux causes qui sous-tendent l’inégalité des échanges ? Que reste-t-il de la politique solidaire si elle s’inscrit dans les formes les moins humaines du système ?
L’appel du pied éthique, bio et solidaire de ces « nouvelles consommations » est limité par cet engrenage infernal, à l’intérieur duquel nous sommes comme les proies de l’araignée, les mains liées, plus ou moins conditionnés. En définitive, n’est-ce pas un leurre que de nous faire croire qu’on peut changer le monde en continuant tout simplement à consommer?

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