L’étiquette, les bonnes manières, la bienséance sont devenus des synonymes de savoir-vivre. Certains associent désormais savoir-vivre et politesse mais d’autres continuent à les différencier. Pour ces derniers, la politesse est un acte de convivialité et de respect nécessaire, alors que le savoir-vivre est un ensemble de règles figées et élitistes qui restreignent la liberté individuelle. Pourtant, les manuels insistent sur le fait que le savoir-vivre est de nos jours à la portée de tous et toutes. Cette politesse des apparences aiderait à « huiler » les rapports sociaux et à garder de l’aisance en toutes circonstances en tirant parti de ses dons et en minimisant bévues et imprévus.
Brève histoire
Jadis, le terme de « civilité » était assez proche du «savoir-vivre ». Les Grecs, pour qui le concept de Cité était si cher, employaient déjà les mots « Civilitas, civilis » pour signifier « sociable, bienveillant, doux, poli ». Platon évoque le mythe de la naissance de la civilité qui exprime un idéal politique, social, moral et esthétique.
Des philosophes comme Cicéron et Sénèque reprendront le concept de civilité comme un ensemble de règles à suivre dans une situation donnée. C’est le sens moral propre à l’humain qui guide cette volonté d’interagir sur une base commune.
Le règne de François Ier voit naître l’Étiquette qui assigne à chacun sa place, ses droits et fonctions dans la vie de la cour royale. Les monarques suivants renforcent ce code qui atteint son apogée avec Louis XIV.
Parallèlement à la naissance de l’Étiquette au XVIe siècle, le sens de la « civilité » dérive vers la qualité et la fluidité des rapports entre les personnes, ce que Shakespeare nommera la « smooth civility ». La notion de savoir-vivre moderne apparaît. Elle consiste désormais en l’art de diriger sa vie. Érasme diffusera ce terme dans toute l’Europe via son ouvrage « De la Civilité puérile » destiné à l’éducation des enfants par un polissage de l’être. tre poli, c’est avoir intégré les règles extérieures de comportement. La civilité qu’il propose rompt avec la tradition élitiste et s’adresse à tous sans distinction de classe sociale. Le « Livre du courtisan » de Castiglione paru en 1528 et réédité jusqu’au XVIIIème siècle, marque ce changement. L’humain est vu comme créateur de son monde, et non plus soumis à la vérité religieuse ou à l’autorité du seigneur. Les personnes interagissent sur des bases communes décidées entre elles. La renaissance italienne verra apparaître nombre de traités de savoir-vivre dont le célèbre « Galatée ou la manière de vivre dans le monde » de Giovanni della Casa.
A la fin du XVIIe siècle, le philosophe allemand Thomasius distingue les normes qui orientent les choix de l’existence humaine : le droit (justum), l’éthique (honestum) et la bienséance/ savoir-vivre (decorum). Montesquieu distingue la civilité de la politesse. Il voit dans la seconde une hypocrisie alors que la première contient les pulsions individuelles nécessaire à la vie en société. Voltaire et Montaigne, au contraire, considèrent la civilité comme des règles extérieures et arbitraires alors que la politesse serait une noblesse du coeur.
Les règles de convivialité imprègnent la société moderne. Le sociologue Norbert Elias, qui dans les années 30 étudie les diverses formes de civilité dans «La civilisation des moeurs», décrit la civilisation occidentale comme le résultat d’un lent processus de domestication des pulsions. L’État n’a plus besoin d’instaurer une répression violente puisque les individus ont intégré dans leur corps les conventions.
Incivilités
Si l’observation des convenances peut faciliter les rapports sociaux, elle ne protège ni de l’absolutisme du pouvoir, ni des comportements délictueux. La notion d’incivilité, dont l’origine latine “incivilitas” évoque un manque de sociabilité, de courtoisie ou de politesse, est revenue au goût du jour. La criminologie et les sciences sociales s’emparent de ce concept dans les années 80, les
politiques et les médias dans les années 90. L’insécurité croissante que ressentent les individus peut provenir de la dislocation des repères. Le multiculturalisme, la crise économique, la mondialisation, la corruption des politiques… brouillent les codes traditionnels et font craindre que les pulsions animales jadis contenues ne resurgissent. Ceci expliquerait le besoin de légiférer de plus en plus sur les bonnes conduites jadis laissées à l’appréciation individuelle. On sanctionnait déjà le tapage nocturne ou le dépôt clandestin d’immondices; aujourd’hui, on punit aussi le fait de cracher, d’uriner, parfois de porter la burka ou de boire de l’alcool sur la voie publique… Mais confondre décorum et justum (bienséance et droit) ne rendra pas les rapports sociaux plus doux ni les moeurs plus civilisées. Et c’est peut-être là que réside la différence entre les codes de savoir-vivre et une éducation à l’éthique qui oblige les individus à se penser comme acteurs et responsables de la qualité de leurs relations sociales.
L’évolution
Les codes de savoir-vivre ont peu évolué depuis plusieurs décennies. Même Mai 68 n’est pas venu à bout des conventions ; aujourd’hui, l’utilisation d’internet a aussi son savoir-vivre (nétiquette). Les légères évolutions sont relatives à la vie moderne et au gain de temps. Les oranges ne doivent plus être pelées en lanière continue puis sectionnées et mangées avec des couverts et les hommes ne doivent plus sortir de l’ascenseur pour laisser rentrer une dame. Toutefois, la galanterie demeure une valeur sûre. Les usages courtois du Moyen Age s’expriment encore aujourd’hui dans le respect et la protection que les hommes doivent accorder aux femmes. Ainsi, un homme galant tient la porte à une femme, lui laisse la partie du trottoir côté maisons.
Le savoir-vivre sans manuel
Certaines pratiques du SVC (savoir-vivre classique) ne sont pas bien vues dans certains milieux. Et là nul manuel ne pourra vous guider. Ainsi, dans les milieux populaires, vous passerez pour un rapiat si vous servez des portions de nourriture réduites à vos invités, et pour un grossier si vous ne souhaitez pas « bon appétit » ou ne trinquez pas (banni dans le savoir-vivre des manuels). Celui qui ne terminera pas son assiette fera une injure à la maîtresse de maison alors que le SVC conseille de laisser quelque chose à la fin de son repas pour ne pas paraître affamé.
En Afrique, offrir de l’argent est une marque d’attention prisée alors que ce serait indécent en Belgique. Dans le monde arabe, un cadeau sera immédiatement mis de côté, en témoignage de respect et de non empressement. Évitez de complimenter un objet de la maison de vos hôtes car la bienséance veut qu’ils vous l’offrent. Jamais les époux n’auront en public un geste ou un mot tendre l’un envers l’autre, ce serait impudique. Par contre, vous verrez des hommes marcher main dans la main dans la rue sans que personne ne mette en doute leur hétérosexualité. En Amérique latine, une femme qui ne sera pas sifflée ou interpellée par des hommes dans la rue y verra la preuve qu’elle n’est pas séduisante.
Même s’ils prétendent s’adresser à tous et aplanir les barrières sociales grâce à une union de moeurs et du langage, les manuels de savoir-vivre ne véhiculent que les codes de la « bonne société », occidentale de surcroît. Nadine de Rothschild a écrit un ouvrage pour l’éducation des jeunes filles “Le bonheur de séduire, l’art de réussir” qui se veut un mode d’emploi du savoir-vivre au XXI ème siècle. Le cabinet de la comtesse Von Toggenburg propose des modules de formation de développement personnel assez édifiants. Leur publicité propose : « Voulez-vous accéder au milieu très sélectif de l’aristocratie ? Participer au stage de développement personnel, c’est accéder au prestige de cette élite, devenir celui ou celle qu’on remarque par sa classe, sa grâce, son aisance, son éducation, son charme, la finesse de son goût, sa séduction… SOYEZ le HÉROS de VOTRE VIE. DÉVELOPPEZ LA STAR-ATTITUDE » Les motivations des participants ne font aucun
doute. On peut quand même regretter que pour certains, être le héros de sa vie s’assimile à savoir manier convenablement sa fourchette et son couteau…
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Selon les manuels de savoir-vivre
CELA SE FAIT :
Offrir des fleurs sans emballage
Filer à l’anglaise si on quitte la soirée plus tôt que ce qui est d’usage
Faire livrer des fleurs à votre hôtesse avant la réception
ON DOIT :
Allumer un cigare à la bougie
Manger du foie gras à la petite cuillère
Quand on est un homme, précéder la femme pour entrer dans un lieu public
Utiliser deux fourchettes pour couper le poisson quand on ne dispose pas de couteau à poisson
Remplir les flûtes de champagne à demi ou aux trois-quarts
ON NE DOIT PAS :
Offrir des roses rouges à une femme (sauf pour la courtiser), des roses en nombre pair, des chrysanthèmes ou des œillets
Utiliser un cure-dent en public
Allumer ses propres cigarettes, c’est à votre hôtesse de les offrir
Laisser une cuillère dans la tasse à café ou à thé
Dire « à vos souhaits » quand quelqu’un éternue
Souffler sur son potage pour le refroidir
Boire du vin avec le potage
Replier sa serviette quand on a terminé le repas