Engagement et singularité, poétique et politique
Un festival engagé est un festival qui se donne pour objectif de rassembler un large public autour de spectacles qui, chacuns, donnent un point de vue aigu sur les grandes questions qui traversent notre époque. L’intention est aussi, à travers le rassemblement des publics, de générer une envie de réagir, un mouvement, pas à lui seul, bien entendu, mais comme un maillon. L’acte d’engagement, que ce soit de la part d’un artiste ou d’une institution, ne signifie pas qu’il s’agit d’un « acte militant ». Le théâtre est par essence quelque chose qui fait rêver. Les artistes et les spectacles que le Festival présentent posent, et ce même à travers des opérations modestes, un acte authentique. S’engager, c’est exprimer une conviction. C’est cette conviction, et l’authenticité qu’elle génère, qui suscite chez le public une émotion. C’est ce processus qui crée la singularité des choses. Or, la singularité d’un oeuvre théâtrale est ici essentielle, bien plus que, par exemple, un prétendu caractère innovant. La nouveauté, au théâtre, je ne sais pas ce que c’est, ça ne fait pas sens pour moi. La singularité, ce n’est pas la bizarrerie ou l’étrangeté, mais l’unicité. Et on est unique quand on est soi, engagé dans sa conviction. Le Festival est un moment poétique et politique. C’est cette dimension où se rejoignent le politique et le poétique que je recherche lorsque je voyage pour aller chercher les spectacles qui constitueront une édition. La ferveur que le Festival génère dans le public tient, d’une part, à son identité claire, d’où se dégagent une conviction et un engagement, et d’autre part au fait qu’il est une fenêtre ouverte sur le monde. Les spectacles expriment une infinité de sensibilités, d’histoires et de cultures différentes qui fait rêver les gens, qui les fait voyager.
Le Festival de Liège, maillon d’un mouvement ?
Ce mouvement existe à travers un tissu de pratiques culturelles et engagées. Par exemple, le travail qu’on fait avec « D’une certaine gaieté ». Une rencontre entre un regard sur le monde et sur la société, et une poétique. La plupart des actions de « D’une certaine gaieté » sont liés à l’artistique pur et à l’imaginaire. Le festival est un maillon d’un tissu beaucoup plus large, et la culture, inscrite dans un processus comme celui-là, est également un maillon parmi un ensemble de processus, d’actes, de pratiques, qui visent à changer le monde et à rendre les gens plus libres et plus responsables vis-à-vis de celui-ci.
Quelques thématiques de l’édition 2009
Il n’y a pas une thématique centrale et unique qui traverserait cette édition. Ce n’est ni possible, ni souhaitable. Parmi les thèmes des spectacles de cette édition, il y a notamment la question de la pauvreté, abordée sous des angles différents et non compassionnels. Deux pièces comme « Négresses » et « Las brutas » ont en commun le fait de mettre en scène des personnages qui vivent dans une pauvreté extrême. Dans « Las brutas », on voit trois femmes qui vivent recluses depuis leur naissance dans un coin perdu de la Cordillère des Andes, où elles n’ont accès ni au confort du monde moderne, ni même au rapport avec celui-ci. La pièce montre comment ce dénuement involontaire les empêche de vivre des choses qu’on a tendance à croire comme constitutives de tout être humain, par exemple l’amour. Dans « Négresses », trois personnages qui vivent dans les années 60-70 vivent également dans un dénuement extrême qui finit par ronger l’être dans ses valeurs, dans son rapport aux autres. Un autre thème important et actuel est celui abordé par « Continuous city », un collectif new-yorkais qui travaille depuis toujours avec un degré de sophistication inouïe sur les images virtuelles. Pas du tout pour montrer un savoir-faire technologique ou technique. La forme est un propos chez eux. Le spectacle aborde l’interconnection extrême du monde actuel, et la solitude que ça génère, paradoxalement, ainsi que
le rapport trouble entre le réel et le virtuel dans les rapports humains.
Il y aura également une esquisse qui pose la question de savoir si notre système économique n’est pas en soi générateur de guerres. Une question extrêmement importante et actuelle.
Une édition spécifique ?
On se situe davantage dans la continuité que dans la spécificité, mais le rapport entre politique et poétique s’affine de plus en plus. Les spectacles que j’ai choisis se situent aux confins de ces deux balises. Les autres éditions ont peut-être proposé des spectacles plus bruts, plus idéologiques. Ces aspects sont toujours présents, mais la dimension de la forme et du poétique est davantage prégnante.
La spécificité de cette édition est plutôt d’ordre fonctionnel, à savoir qu’on va organiser le Festival dans un lieu qui est désormais conçu et équipé pour le théâtre. Les loges, les endroits de stockage, le studio où l’on présentera les petites formes… tout cela participera au confort des spectateurs et des artistes, dans un Manège dont on a tenté au maximum de préserver l’âme et le cachet.