Sous son gros dos gangué de neige, la gare…
Debout sur le quai, le cabas à ses pieds, emmitonnée dans son kabig rouge, les mains sur le ventre bien au chaud dans le manchon, elle attend…
L’an neuf est tout frais, sept heures à peine, et terriblement froid. L’escalator dort, les crocodiles somnolent entre les rails, au loin ronfle une vieille locomotive.
Embarcadère désert, enfin presque : elle et un pauvre balayeur qui déblaie les restes de la nuit.
– Bonjour !
– Bonjour !
– Vous partez loin ?
– Si le train arrive, oui, je vais voir mère-grand. Avant, il suffisait de traverser le bois, maintenant qu’elle a déménagé il faut prendre le train…
– Les temps changent, et vous lui apportez quoi ?
– Plus de galette, mais des spéculoos, c’est très à la mode, on en met dans tout maintenant, dans la glace et le foie gras, puis un petit pot de beurre frigo- tartinable, avec sa polyarthrite, c’est plus facile et pour finir et bien commencer l’année un jambon persillé…
– Waouh ! Vous me donnez envie…Vous me filez la recette ?
– Un jambonneau salé. A l’eau froide. Portez à lente ébullition. Ecumez. Laurier, thym, oignon giroflé, une branche de céleri. Laissez frémir deux petites heures. Vous me suivez ?
– Je frémis, je vous mange des yeux.
– Holà ! Pas trop vite…
– Vous avez vu mon petit balai ?
– Vous voulez que je vous l’astique ?…
Il n’a pas le temps de répondre, les trains sont à grande vitesse maintenant et ils emportent les passagères désirables plus vite que l’éclair. Elle est loin déjà et il est bien amer appuyé sur son faubert.
Sifflements, cliquetis et craquements légers bercent la seule occupante du compartiment. Elle rêvasse sur la banquette, ferme les yeux, les rouvre, sursaute…
– Vous m’avez fait peur ! Je ne suis pas le grand méchant loup, juste le contrôleur et le poinçonneur de votre ticket, mademoiselle.
– Excusez-moi, mon ticket ? Ou est mon ticket ?
Elle vide son sac calmement (inventaire trop long et futile).
– Voici mon ticket…
– Merci. Dites, c’est quoi là dans ce bocal en verre?
– Du jambon persillé pour mère-grand.
– Je veux bien la recette.
– Volontiers……….alors quand le jambonneau est cuit, on l’égoutte, on le découenne et on l’émiette et on l’écrase à la fourchette…
– Miam, miam !
– Vous me suivez ?
– Dans les grandes lignes…de chemin de fer…Mais fait pas très chaud dans ce train vide, venez dans mon cagibi, j’ai une petite chaufferette et je vous montrerai ma collection de poinçons …
Quelques billes et rails plus loin.
– Précoce ?
– Non, pressé, j’ai encore trente six wagons à contrôler …
– Ca fait du travail effectivement. Ciao, ça tombe bien, c’est ici que je descends.
Il est déjà midi. La voici à nouveau dans le froid sur un quai. Elle a une faim de loup et heureusement la gare un buffet. Elle pousse la porte, il n’y a personne, elle s’assied. Sort le chef de sa cuisine qui lui explique que c’est le lendemain de la veille et qu’il n’y a plus rien à manger, sinon un peu de pain, mais du bon. Elle, bonne pâte, lui propose de partager son bocal de jambon persillé et les voici attablés …
– …oui, oui, j’écrase à la fourchette et hache gros le jambonneau. J’ajoute une botte entière de persil haché, quelques échalotes, quelques cornichons coupés en petits cubes, une cuillérée à soupe de moutarde, un filet de vinaigre et du poivre en grains. Je mélange le tout, le verse dans une terrine et le mouille de jus de cuisson qui en refroidissant deviendra une merveilleuse gelée.
– C’est délicieux, vous êtes divine…mais votre mère-grand alors ?
– Vous savez quoi ?
– …
– Non ?
– Si !