La création du Resto du cœur à Liège est le fruit de l’improbable rencontre entre Coluche et… José Happart. En effet, quelques années auparavant, ce dernier, alors député européen, propose au parlement une « motion contre la pauvreté » qui laisse tout le monde indifférent. Quelques années plus tard, en 1985, Coluche, en campagne pour la création des Restos en France, entend interpeller un maximum de responsables politiques, et frappe à la porte du parlement européen. Il découvre alors cette fameuse « motion contre la pauvreté », restée jusque là lettre morte, et entre en contact avec José Happart en lui demandant une entrée au parlement. Happart accepte. Coluche, fin stratège politique, et probablement plus doué que Happart dans l’art de captiver un auditoire, fait mouche. Il plaide la cause des Restos devant le Parlement européen en soulignant que les surplus de nourriture coûtent davantage si on les stocke que si on les distribue gratuitement aux pauvres. Il est entendu et les stocks sont ouverts à plusieurs associations, dont les Restos du Cœur.
Le coup de pouce de Coluche
En Belgique, c’est à Bruxelles que germe l’idée de faire un Resto, appuyée par des étudiants de l’Institut Solvay. Liège ne tarde pas à suivre l’exemple. Mais la recherche de fonds et les synergies ont du mal à se mettre en place. José Happart appelle donc son nouvel ami pour, à son tour, lui demander un coup de main. Et c’est le 22 février 1986 que Coluche, entouré de Jean-Marie Happart et Michel Faway, lance le Resto du cœur de Liège devant 5000 personnes. Clémence Lambinon, alors présidente de l’association raconte : « j’ai eu le bonheur de rencontrer Coluche et de discuter quelques instants avec lui. Je lui ai dit, avec beaucoup d’émotion, que je trouvais extraordinaire le fait que des bonnes volontés permettent de ne plus avoir faim à Liège et lui de répondre «oh oui ma poule! mais on fait ça un an et on ne recommence pas…». Coluche nous a quittés en 1986. En 1987, la misère s’installait pour de bon, et on ne pouvait pas ne pas recommencer. »
Il existe en Belgique 16 Restos du cœur, 12 en Wallonie, 2 en Flandres et 2 à Bruxelles, réunis dans la fédération des Restos du cœur de Belgique.
De la charité sympathique au contrôle social
Coluche a indubitablement marqué de son empreinte une entreprise sociale qui garde un gros capitale “sympathie”, bien que se révèle au fil des années le devenir d’une structure administrative un peu lourde. Alors qu’en 1986, les repas étaient distribués dans la joie et l’anarchie dans un petit local paroissial de la place Saint-Barthélemy, une dizaine d’années plus tard, la charité sympatique des Restos, financée au départ quasi exclusivement par les dons de la jetset liée à la chanson française, s’est peu à peu fondue dans le contrôle social cher aux institutions qui maintenant les subsidient. 1 La décision de faire payer les repas une somme symboliques leur assure un contrôle total des usagers, qu’il appellent désormais “clients”.
Jocelyne, minimexée de 58 ans et ancienne usagère des Restos, se remémore: « La première fois que vous arrivez là-bas, vous devez faire la file pour passer devant une assistante sociale raconter vos misères, et c’est elle qui décide si vous avez le droit ou non de rentrer dans la restaurant. J’imagine que c’est plus souvent oui que non ».
L’assistante sociale, à la différence de la plupart des travailleurs de l’association, n’est pas bénévole mais rémunérée par le Plan Fédéral des grandes villes. C’est elle qui est chargée d’orienter les bénéficiaires vers d’autres services.
« A l’entrée du resto, il faut encore faire la file pour aller chercher son ticket-restaurant. C’est parfois la cohue et il est déjà arrivé que des gens se bousculent pour passer
les premiers. Au guichet, vous montrez votre papier comme quoi vous avez droit au service et on vous donne le ticket. Après, c’est comme au resto! Vous vous asseyez dans une salle qui doit contenir dans les 80 personnes. Vous donnez votre ticket à un bénévole qui vous fera le service. Une soupe, un repas et un dessert. Personnellement, je n’y vais plus parce que je suis dégoûtée par le favoritisme qui existe de la part de certains bénévoles. Si votre tête lui revient, à la fin du repas, il pouvait vous amener des choses à ramener chez vous, des paquets de café, des pâtes, etc, ce qui avait l’art de rendre jalouses d’autres personnes moins favorisées. Une fois, la dernière, j’arrive dans le resto et je me rends compte que j’ai perdu mon ticket et là, rien à faire, j’étais devant un mur, on m’a littéralement envoyer “bouler” en me disant que je n’avais qu’à pas perdre mon papier. Qu’est-ce que ça leur coûtait de me donner une assiette, j’avais fait la file comme tout le monde? Depuis, je n’y vais plus. Et je le regrette parce qu’on mangeait très bien ».
Charité bien ordonnée…
C’était en 2005, et depuis, quelques boulons ont encore été resserrés. Un agent de sécurité est désormais posté à l’entrée du lieu et fait le ménage si besoin en est. C’est en 2006 également que l’association décide, je cite, “de lutter contre l’assistanat” : « C’est dans ce contexte que nous avons souhaité faire participer le client en lui demandant de payer une partie de son repas. Nous avons fixé le prix d’un repas chaud à 1 euro et nous proposons des cartes de 5 repas à 5 euros, des cartes de 10 repas à 10 euros, et des cartes de 20 repas à 20 euros. Nous envisageons de diminuer le prix des cartes afin de « fidéliser» nos clients. ». Au contraire des résultats escomptés, la distribution des repas chute de près 10.000 unités cette année-là et les Restos du cœur font un pas en arrière. Ils proposent symboliquement des repas gratuits aux personnes « les plus démunies ». Entretemps, le resto de Charleroi a perdu son label pour politisation de la pauvreté, avec 8 mandataires locaux sur 12 dans le Conseil d’administration.
En effet, bien que chaque Resto du cœur du pays soit autonome dans sa gestion et son organisation, ils sont organisés en fédération autour d’une charte de déontologie qui interdit l’utilisation de la pauvreté, tant à des fins politiques que dans la recherche de fonds. La fédération entend également lutter contre l’assistanat en faisant payer le repas aux usagers. On se demande par contre pourquoi le passage devant une assistante sociale les rendraient moins assistés…
Par ailleurs, les pouvoirs publics fédéraux ne doivent pas être totalement innocents dans le fait d’interdire l’accès aux cantines aux sans-papiers. Là aussi, petit geste symbolique, avec l’acceptation de 25 familles sans-papiers par an sur un bon milliers de « clients ».
La formule évolue au fil des années : des services supplémentaires sont venus s’ajouter aux repas afin de subvenir à tous les besoins des usagers devenus «clients ». Service social, service juridique, aide administrative, aide financière, aide médicale et sanitaire, dentisterie, dispensaire, coiffeur, coin maman/bébé, réinsertion socioprofessionnelle, médiation de dettes, aide au logement, boutique, bibliothèque, école de devoirs, animations diverses.
Même si l’aide aux plus démunis est « en soi » une bonne chose, on peut quand même se poser des questions sur l’évolution du projet originel. A l’origine cantine gratuite, les « Restos du cœur », dans le meilleur des cas, se sont substitués aux divers services sociaux des pouvoirs publics, et dans le pire des cas, en sont devenus l’appendice. Même si l’on peut lire sur le site web liégeois que les Restos n’entendent pas juger les gens et respectent leur liberté, voire leur marginalité, on ne peut que constater un glissement vers le contrôle et… l’assistanat social.
A noter pour conclure que ce sont tout de même les manifestations et les animations diverses organisées par les associations caritatives locales, les
Rotary clubs, les paroisses, les associations de commerçants ou encore les privés qui permettent aux différents Restos du cœur régionaux de couvrir leurs frais. Nous voilà rassurés!
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Un resto du cœur près de chez vous? : http://www.resto-du-coeur.be/
Le resto du cœur de Liège : http://www.restoducoeurliege.be & de Namur : http://restocoeurnam.blog4ever.com
Notes:
- les subsides matériels et financiers proviennent de tous les échelons ; gouvernement fédéral via le Plan Fédéral pour les Grandes Villes, Gouvernement Wallon, Province et ville de Liège ainsi que CPAS. ↩