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Il y a quelques jours, en cette mi-décembre 2008, éclate un esclandre lors de la remise du prix Kandinsky à Moscou. Ce prix –sponsorisé entre autre par de grandes firmes russes et banques allemandes – récompense annuellement les œuvres d’artistes contemporains russes émergents. Cette année, c’est l’artiste Alexey Belyayev-Gintovt qui a remporté le grand prix (40000Euros), avec une série de dessins intitulé « Motherland-Daughter » (Mère Patrie-Fille). Comme dans l’ensemble de son travail, cet artiste utilise et mêle iconographie religieuse orthodoxe et imagerie soviétique de la grande époque du « Petit père des peuples ».

Belyayev-Gintovt déclare froidement: « mon art se concentre et se consacre uniquement à notre grande et belle Mère-Patrie »… Evidemment, le prix est contesté pour ses relents rouge-bruns… Lors de sa remise officielle, on peut entendre hurler : « Ce n’est pas de l’art ! C’est juste du fascisme ! Fasciiiiste !». Le type qui est le plus remonté n’est autre que l’artiste primé lors de la précédente édition du même prix Kandinsky ! Alors, le petit monde de l’art contemporain, pas si monolithique que ça finalement…

A noter que cette année, le deuxième prix est allé à une jeune femme artiste et à ses portraits hyperréalistes de Gorby en tenue d’apparat. L’art russe d’aujourd’hui semble donc profondément lié à l’histoire et à la représentation du politique. Comment pourrait-il en être autrement dans un pays qui a connu pendant plus de 50 ans, avec le réalisme socialiste, l’instrumentalisation et le politiquement correct de rigueur et de régime ? Le jury du prix défend d’ailleurs son palmarès contesté en déclarant que « l’art russe a toujours été très politisé », que « les artistes finalistes ne font rien d’autre que de suivre les traditions nationales », et qu’ « en récompensant des œuvres qui couvrent différents spectres des opinions politiques en présence, et qui souvent font preuve d’irrévérence par rapport aux pouvoirs en place, le Prix Kandisky encourage la jeune démocratie russe et montre qu’il y existe un espace pour le débat démocratique ». Assez loin de ces propos, le lauréat 2008, Belyayev-Gintovt, fustige l’intelligentsia libérale et les critiques d’art majoritairement hostiles. Il déclare que « le bon peuple de Russie qui aime sa Mère-Patrie se reconnaît massivement dans son travail », et que « seul cela lui importe »… Ceci peut nous amener à une première réflexion : face à un discours politiquement correct prédominant et mondialisé, démocrate, libéral et progressiste, lénifiant d’humanisme et de multiculturalisme, l’incorrection ne résiderait-elle pas dans un contre-pied nationaliste et populiste ? Et cela pas seulement dans le domaine de l’art. Plus généralement, face au manque de discours, de pratiques novatrices et de ruptures « à gauche », le champ du politiquement incorrect n’est-il pas de plus en plus occupé par une « droite hérétique » ?

Quoi qu’il en soit, plus que jamais sans doute nous avons un besoin vivifiant d’irrévérences, de contrepoints et de rebrousse-poils… L’espace pour d’autres dynamiques incorrectes existe, encore faut-il l’investir!

Pouvoir de subversion…et de récupération

L’histoire de l’art du 20ème siècle a été riche en propositions subversives, en actes libérateurs. Les avant-gardes, puis les différents mouvements des années 60-70 se sont livrés une espèce de (saine) compétition pour aller toujours plus loin dans la déconstruction de ce qui s’était fait auparavant.
Comment un Ben, artiste du bric à brac et de la joyeuse provoc, l’un des principaux animateurs de Fluxus, mouvement artistique en prise directe sur la subversion, en est-il arrivé à devenir l’un des principaux designers de chaussettes et d’agendas d’étudiant-e-s, et dès lors l’une des principales icônes de la culture francophone de masse, idéologiquement acceptable et commercialement rentable ?

« Qu’est-ce qu’est Fluxus ? », dixit Ben dans sa « Fluxus
théorie » (…) Fluxus cherche parfois à établir une relation entre la vie et l’art, Fluxus contient parfois le gag, le divertissement et le choc, Fluxus contient parfois une attitude envers l’art, le non art, l’anti art, le refus de l’ego (…)
» « (…) Mais Fluxus devient aujourd’hui ce qu’il ne voulait pas être : des produits, de l’importance, de la gloire, et peut-être bientôt un star système. » Et déjà, peut-être, du politiquement correct, pourrait-on ajouter?

L’imposture « urinoiriste » ?

Beaucoup de critiques estiment qu’à la suite du geste fondateur de Duchamp —l’urinoir comme oeuvre d’art—, l’art contemporain s’est fourvoyé, devenant une vaste imposture politiquement correcte. Ben, lui, explique. « Je cherche systématiquement à signer tout ce qui ne l’a pas été. Je crois que l’art est dans l’intention et qu’il suffit de signer. Je signe donc : les trous, les boîtes mystères, les coups de pied, Dieu , les poules, etc. »

Renouer aujourd’hui avec la subversivité originelle de Duchamp ? C’est exactement l’objectif que s’est donné un artiste-performer comme Pinoncelli, partant un peu des mêmes constats sur l’évolution de l’art, mais se définissant comme héritier de Duchamp. En 1969, il asperge André Malraux d’encre rouge avec un pistolet à peinture lors de l’inauguration du musée Chagall de Nice. En 1975, il attaque symboliquement une banque à Nice, muni d’un fusil chargé à blanc et pour un butin de un franc, pour protester contre le jumelage de cette ville avec Le Cap, durant l’apartheid.

Le 25 août 1993, au Carré d’Art de Nîmes, il urine dans la Fontaine de Marcel Duchamp, puis lui donne un violent coup de marteau ; il est condamné à un mois de prison avec sursis et 286 000 francs de dommages-intérêts. Le 4 janvier 2006, il attaque de même au marteau un urinoir de Duchamp figurant dans l’exposition Dada au Centre Georges-Pompidou à Paris, l’ébréchant légèrement. Il est condamné, en première instance, à trois mois de prison avec sursis et 214 000 euros de dommages-intérêts; et en appel, à trois mois de prison avec sursis, le musée n’obtenant pas de dommages-intérêts.

« L’esprit dada, revendique Pinoncelli, c’est l’irrespect […] C’était un clin d’œil au dadaïsme, j’ai voulu rendre hommage à l’esprit dada. » Il accuse par ailleurs le directeur du musée national d’Art moderne, qui s’est porté partie civile, de diriger une institution qui représente « le point extrême de l’imbécillité convulsive ». Lors de sa défense face au tribunal correctionnel de Nîmes, il avait déclaré qu’il s’agissait « d’achever l’œuvre de Duchamp, en attente d’une réponse depuis plus de quatre-vingts ans ; un urinoir dans un musée doit forcément s’attendre à ce que quelqu’un urine dedans un jour, en réponse à la provocation inhérente à la présentation de ce genre d’objet trivial dans un musée […]. L’appel à l’urine est en effet contenu ipso facto – et ce dans le concept même de l’œuvre – dans l’objet, vu son état d’urinoir. L’urine fait partie de l’œuvre et en est l’une des composantes […]. Y uriner termine l’œuvre et lui donne sa pleine qualification. […] On devrait pouvoir se servir d’un Rembrandt comme planche à repasser ». N’est-on pas là en pleine recherche politiquement incorrecte ?

Reste que si l’on se promène aujourd’hui dans les Fiac ou dans des lieux plus « underground », on y voit des contingents entiers de jeunes artistes dont les œuvres apportent un regard politiquement et culturellement critique. Qu’ils prennent comme sujet/objet les lois antiterroristes, la société de contrôle et de surveillance, les conflits de civilisation, les problèmes de genres… Reste qu’on a besoin de gens qui interrogent férocement notre temps !

Reste qu’une œuvre telle que celle d’Orlan, même si elle est devenue hype, même s’il l’on en parle dans les dîners mondains, et même si elle reçoit des prix des mains des politiques, avec ses vidéos d’interventions chirurgicales, ses métamorphoses inscrites dans son corps et ses reliques physiologiques consacrées
comme œuvres d’art, reste à n’en pas douter « politiquement incorrecte ».

Et puis, à l’inverse de l’adage très en vogue pour l’instant, tout n’a peut-être pas été dit, et tout n’a sûrement pas été fait !

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