Fin des années 70, la crise touche la majorité du sud de la Belgique. On est aussi en pleine période de réformes institutionnelles et la Wallonie doit se doter d’une capitale politique. En 1978, les bourgmestres de quatre grandes villes wallonnes (Charleroi, Liège, Mons et Namur) se réunissent pour décider de l’attribution de ce rôle, finalement décerné à Namur.
Les trois autres villes ne sont pas en reste. Charleroi sera désignée comme capitale sociale, Liège, capitale économique, et Mons, capitale culturelle. « On a cherché à éclater les pôles entre quatre régions pour ne pas concentrer toutes les attributions sur une seule ville, comme ce fut le cas pour Bruxelles capitale », explique Christopher Barzal, attaché de presse du Ministre-Président du gouvernement wallon, Rudy Demotte. Toutefois, les attributions ne sont pas officielles. Mons tient à honorer son titre et s’en donnera les moyens, mais devra attendre avant de bénéficier du soutien financier de la Communauté française.
Ce n’est que 24 années plus tard que la ville obtient officiellement son statut de capitale culturelle. « Avant le cachet apposé en 2002 par les ministres Rudy Demotte et Richard Miller, ce titre n’était pas une appellation reconnue », note Anne-Sophie Charles, chef de cabinet de l’actuel bourgmestre de Mons, Elio Di Rupo.
Développer l’économie grâce à la culture, une utopie ?
En 1991, la ville dresse une liste des priorités pour la rénovation des sites culturels et la construction de nouveaux pôles d’attraction. Une motion importante votée à l’unanimité par le Conseil Communal concerne la réaffirmation du rôle de pôle culturel et touristique de la ville de Mons, vu l’accord intervenu en 1978. Le bourgmestre PS Maurice Lafosse (1989-2001) est conscient que le développement culturel de la ville est gage de son développement économique. Aujourd’hui encore, le Collège Communal reste dans la lignée des précédents bourgmestres : développons la culture, et l’essor économique suivra, créons des infrastructures, des événements culturels et cela amènera de l’emploi. « Non seulement la ville s’est concentrée sur la culture, mais elle a aussi repensé ses complexes sportifs et de divertissement », précise A-S. Charles. Un exemple : l’ouverture du complexe cinématographique Imagimons au milieu des années 90. Sa construction amènera quelques années plus tard le bourgmestre Di Rupo à mettre en place le festival international du film d’amour.
Mons connaît une nouvelle étape importante en 94 avec la création de son centre culturel régional, une infrastructure qui a une vraie capacité d’accueil.
Deux ans plus tard, la Communauté française propose un contrat culture à la ville. Le ministre Charles Picqué dresse une liste de ses « obligations culturelles » : rénovation des infrastructures culturelles (théâtre, musées…), accueil d’artistes en résidence, triennale de l’affiche politique, arts plastiques, festival “Patrimoine et Création”, orchestre de chambre, Mundaneum, “Mons Ville lecture » etc. Autre moment clé pour la culture montoise en 2001 avec l’inauguration du théâtre le Manège.Mons. « Nous voulions réunir les arts de la scène, plastiques et vivants », souligne A.-S. Charles. Yves Vasseur, directeur du Manège.Maubeuge, homologue français du Manège montois, en sera nommé directeur, devenant alors l’une des figures cuturelles importantes de la ville.
Après l’obtention du titre officiel de capitale culturelle en 2002, Mons, sous la gouverne de Di Rupo, poursuit son projet d’expansion culturelle. Elle conclut un nouveau contrat culture avec la Communauté française, qui lui impose de se concentrer sur la rénovation de ses théâtres et centres culturels et plus largement, d’être une ville de référence en Wallonie. Au total, pas moins de 13,71 millions d’euros seront nécessaires à la mise en place de ces divers projets.
Les Montois ont-ils réussi leur pari ?
Si la ville s’est développée d’une façon considérable ces 20 dernières années,
la culture qu’elle promeut est toujours considérée comme élitiste. A.-S. Charles dément. « Il suffirait de nous suivre dans notre travail pour se rendre compte que nous allons justement vers ceux qui se sentent exclus de la culture. Il y a eu évolution dans l’accès à la culture, dans les mentalités, notamment grâce à l’offre des théâtres et des différents centres », explique-t-elle. La question suscite débat, comme le montre le témoignage de certains habitants de la ville. « Pour moi, les seuls événements vraiment accessibles sont le Doudou et les gros concerts. Je ne vois pas vraiment où vont les millions qu’a investis la ville depuis quelques années… Je ne connais pas beaucoup d’autres événements culturels à Mons. Je présume qu’il y a un problème de communication ou d’accessibilité. Et pourtant, j’ai un certain intérêt pour la culture », raconte Sophie, jeune diplômée en communication.
Le Borinage garde toujours son image de région pauvre, mais pour ceux qui y habitent depuis longtemps, une certaine évolution est perceptible. « La culture peut créer de l’emploi mais il y a d’autres secteurs d’investissement dans la région, comme les zonings industriels où de plus en plus d’entreprises s’implantent. J’habite à Jemappes, je travaille depuis mes 21 ans et pourtant, j’ai arrêté mes études après les secondaires. Du boulot, il y en a et il pourrait encore y en avoir plus si on exploitait les grandes surfaces. Sans vouloir paraître extrême, je trouve ça un peu facile de dire que la région gaspille son argent et que c’est pour cette raison qu’il y a des problèmes d’emploi et une certaine précarité », confie Manu, 35 ans.
Ces discours sont entendus par les acteurs politiques de la ville. « Nous ne cessons de clamer que pour attirer des investisseurs la ville doit donner envie à ces entreprises de s’installer chez nous. Investir dans la culture peut valoriser la ville », souligne A.-S. Charles
Christian Leroy, directeur du centre culturel de Quaregnon
Quaregnon est une ville de 18.176 habitants, située à 10 kilomètres de Mons. Comme plusieurs de ses voisines, la ville a connu la période-phare des charbonnages, et a fait les frais d’un échec de sa reconversion économique. Aujourd’hui, Quaregnon veut tourner la page et envisager l’avenir positivement. Christian Leroy est à l’initiative du Centre Culturel de la ville. Pour lui, la culture ne doit pas se limiter à une classe dite supérieure intellectuellement.
Comment la maison culturelle œuvre-t-elle à Quaregnon ?
Nous sommes installés ici depuis 1991, l’époque du plein essor des maisons culturelles. Montois d’origine, mon objectif premier était d’installer un espace musical. Le bourgmestre de l’époque m’a présenté ce bâtiment que je trouvais intéressant par sa situation géographique, le long d’une grand-route mais enfoui derrière des arbres. Finalement, le projet s’est élargi à la culture en général. Au fil des années, il y a eu une synergie avec les autres communes, comme Boussu ou Colfontaine. Nous essayons de nous rejoindre dans ce que nous proposons comme activités. Le but est de rendre le Borinage vivant et de travailler en réseau.
Comment est perçue la culture dans une région qui connaît des problèmes économiques?
On ne peut les ignorer, et ils entraînent inévitablement des problèmes sociaux. Nous essayons d’amener ces personnes en difficulté vers la culture pour les aider à sortir d’un quotidien morose. On est aussi victime de la rumeur qui dit que la culture est réservée à une certaine élite. C’est faux, et notre rôle est de le prouver. Heureusement, en dix ans, je constate une évolution des mentalités. Dans les années 90, peu de gens osaient pousser la porte d’un centre culturel. Aujourd’hui, nous avons trouvé des manières de les y intéresser. Je pense par exemple aux expériences de mémoire collective. Nous nous situons dans une région où la faïencerie a connu de belles années : voilà un prétexte pour motiver les gens à s’investir ! Et ça marche. De plus, Quaregnon est une ville où
la communauté italienne est très présente. Nous profitons de cette richesse en adaptant la programmation à notre public.
Mons n’est pas très loin : avez-vous des projets communs ? Profitez-vous de son statut de capitale culturelle wallonne ?
Malheureusement non. Pour Mons 2015, l’annonce du projet aurait dû être « Mons et sa région ». Je crains que si la ville obtient le titre européen, cela n’aura aucune répercussion sur les autres villes boraines. Pourtant, ça pourrait être un beau projet pour Mons de collaborer avec d’autres acteurs culturels et associatifs de la région.