« Mons 2015 est un projet d’avenir pour la ville », note Yves Vasseur, en charge du projet. Des villes belges ont déjà eu l’honneur de recevoir ce titre : Anvers (1993), Bruxelles (2000) et Bruges (2003). Avant 2006, les pays européens proposaient tour à tour une ville de leur choix. Depuis lors, les villes intéressées par le titre déposent elles-mêmes leur candidature et portent le projet du début à la fin. Après la Lettonie et la Suède en 2014 et avant l’Espagne et la Pologne en 2016, c’est au tour de la Belgique et de la Tchéquie d’avoir une capitale culturelle. Malines serait prétendante au titre du côté flamand. Pour la Wallonie, Mons semble être idéale. « La volonté de la ville a été relayée par les autorités de la Communauté française. Mais cette candidature ne concerne pas Mons uniquement, il y a une volonté d’établir des liens avec d’autres villes comme Charleroi ou Liège », explique Yves Vasseur. Si certaines villes wallonnes ne semblent pas vouloir poser leur candidature, d’autres ne cachent pas leurs ambitions.
Ainsi, en mai dernier, deux Liégeois ont eu l’idée de proposer leur ville. « L’ambition de Liège est tout à fait légitime mais il ne faut pas oublier qu’il y a eu débat public entre tous les partis démocratiques de la Communauté française. Au final, c’est le bien-fondé de notre candidature qui a été reconnu », précise Yves Vasseur. « Je ne peux que rassurer nos amis liègeois : si Mons devient capitale culturelle européenne, des accords et des projets seront mis sur pied », avance-t-il.
“ Nous ne sommes pas contre Mons “
Du côté de la Cité ardente, la volonté de se présenter à l’Europe ne relève pas du caprice. Ce n’est pas la ville elle-même qui a décidé de se lancer dans l’aventure, mais deux de ses habitants. François Schreuer, journaliste, et Alain De Clerck, artiste, ont proposé à la Commune de se présenter comme candidate. Mais la décision du Conseil Communal est catégorique : Liège ne briguera pas le titre de capitale culturelle européenne. « C’est ainsi que nous avons eu l’idée de lancer une pétition. Si nous réunissons les 19.000 signatures nécessaires, il y aura consultation populaire et les Liégeois pourront se prononcer », explique F.Schreuer.
Si les élus liégeois ne soutiennent pas le projet, pourquoi vouloir le réaliser coûte que coûte ? « Il y a deux enjeux. Le premier relève de la démocratie culturelle. La Communauté française n’a pas respecté le principe d’équité et a ouvertement privilégié la candidature de Mons. Nous voulons aussi remettre en cause la gestion des affaires publiques. Ensuite, il y a inévitablement un enjeu culturel. Nous disposons d’un patrimoine culturel comparable à Bruxelles mais qui est excessivement mal mis en valeur, j’appelle cela le paradoxe liégeois », poursuit-il. Peut-on alors parler de combat et de concurrence entre deux villes wallonnes ? Ou de rapports de force entre des membres d’un même parti politique, à savoir le parti socialiste ? La presse régionale s’est emparée du sujet et ne manque pas de souligner la toute puissance du bourgmeste Elio Di Rupo et la volonté de Liège de lui laisser le champ libre pour l’Europe et la culture. « Nous ne prétendons pas que Liège est meilleure candidate que Mons, mais nous pensons que le titre de capitale culturelle pourrait améliorer la situation des artistes et que dans le fond, tout le monde peut se porter candidat. Des cinéastes, des peintres, des architectes… la ville regorge de talents qui n’ont d’autre choix que de s’expatrier car ils ne peuvent exprimer leur talent à Liège. Le problème, c’est que beaucoup partent, et peu reviennent » déplore F. Schreuer.
Du côté de la ville de Liège, on comprend l’ambition d’une partie de la population mais l’envie seule ne suffit pas à mettre sur pied un projet, surtout quand on connaît son coût. « Dans sa globalité, Mons 2015 représente un budget de 60 millions d’euros. Et nous recevons différents subsides », précise Yves Vasseur «
On va proposer aux Liégeois de recevoir un titre honorifique, pourquoi refuseraient-ils ? À l’époque des candidatures, Liège ne s’est pas montrée intéressée car elle n’en avait pas les moyens financiers. C’est toujours le cas aujourd’hui. Et de toute façon, même si nous changions d’avis, il faut remettre un dossier de candidature pour le 1er mars! Comment imaginer rivaliser avec Mons qui prépare ce dossier depuis des années ? », explique Jean-Pierre Hupkens, échevin de la culture de la ville de Liège. « Notre but n’est pas de prendre de l’argent de certains tiroirs pour en injecter dans la culture », rétorquent les signataires de la pétition, « mais honnêtement, la ville peut faire un effort : trouver 3 millions en sept ans, oui, c’est possible. Un autre faux problème est la carence d’infrastructures. Nous rétorquons que Liège a tout ce qu’il faut, le Palais des Princes Evêques, par exemple. Mons a créé un certain nombre d’infrastructures comme le Manège ou la Maison Folie. Nous, nous avons déjà des lieux, il s’agit de les rénover et de les mettre en valeur. Le problème n’est pas un manque de moyens mais un manque de volonté politique » poursuivent-ils.
“ Oui, on investit dans la culture ! “
En effet, Liège a la chance de compter de nombreux artistes. Pour l’échevin, leur départ à l’étranger ne serait pas un problème. « Pourquoi vouloir garder nos talents chez nous ? Je trouve au contraire très bien qu’ils s’expatrient ! Quant au fait que certains affirment que Liège ne travaille pas pour sa culture, c’est totalement faux. Il n’y a qu’à regarder autour de soi pour voir qu’il y a de nombreuses collaborations, que ce soit avec les musées, les théâtres ou d’autres asbl ». Mais les investissements ne sont pas perçus de la même manière par tous , et il semble y avoir un fossé entre les Liégeois et leurs élus. « La ville a l’art de s’investir dans des projets totalement mégalos, comme l’organisation d’une exposition universelle ! Par ailleurs, le CIAC (Centre International d’Art et Culture) veut attirer 600.000 visiteurs par an… Voilà comment sont gérés les espaces culturels liégeois…», s’exclame F.Schreuer. Comment dès lors envisager que Liège prépare sa candidature si au départ, elle ne porte pas volontairement le projet ? « Nous ne sommes même pas certains que la ville puisse rendre un dossier convenable pour l’Europe. C’est là que nous insistons sur le fait qu’il est capital d’impliquer les citoyens dans la préparation de Liège 2015, contrairement à Mons qui s’en remet à ses dirigeants », poursuit-il.
Et si leur pétition n’aboutit pas ? « Nous aurons eu le mérite de remettre en question la gestion de la culture à Liège. Nous avons mis en place un espace public pour débattre sur le sujet où les gens peuvent s’exprimer, cela n’existait pas auparavant. Il y a discussion entre toutes les personnes intéressées par la culture. On se dit que si des milliers de personnes veulent accéder à davantage de diversité et s’en donnent la possibilité, notre démarche en vaut la peine », conclut F. Schreuer.
Lille 2004
À côté de ce débat sur la meilleure capitale culturelle, d’autres s’interrogent sur les conséquences que peuvent amener le fait de porter ce titre. « Lille a gagné en popularité et l’impact positif a touché tout le Nord-Pas-de-Calais, et des villes belges comme Tournai ou Mouscron », souligne Yves Vasseur.
« Lille souffrait d’une image défavorable issue de la crise industrielle, l’image empreinte de clichés d’une ville de grisaille… Les regards ont changé depuis, c’est incontestable. Puis, le nombre de touristes a doublé en dix ans. Lille 2004 a réellement boosté le secteur hôtelier alors que les infrastructures manquaient début des années 2000. Lille est prise en compte aujourd’hui par les tour-opérateurs européens », explique Jean-Marie Duhamel, journaliste à la «Voix du Nord ». L’avantage économique est le premier argument avancé par nos voisins français. Inévitablement, une meilleure image de la ville en termes de culture
amène plus de touristes ou d’investisseurs. Le même argument est repris par la ville de Mons. « En 2009, nous accueillerons la société Google sur nos terres. En 2010 ce sera au tour de Microsoft », note Anne-Sophie Charles, chef du cabinet du bourgmestre. Si les acteurs de Lille 2004 tirent un bilan positif de cette expérience, est-ce que les autres villes d’Europe peuvent en dire autant ? Concernant Bruxelles, Anvers ou Bruges, peu de Belges semblent être au courant que ces villes ont eu le titre de capitale européenne… On pourra mettre en avant l’essor touristique mais Bruxelles et Bruges, déjà très prisées avant 2000, avait-elles besoin de ce titre pour attirer des millions de touristes ?