Sociologie d’un média lissé

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Retracer l’histoire « sociologique » de la radio n’est pas si facile mais cela nous laisse présager son avenir… N’est-elle pas vouée à disparaître, à se fondre dans le média Internet ? Pourquoi prend-elle nettement moins de place dans les foyers qu’auparavant ? Quelques éléments de réponse.

L’âge d’or de la radiophonie

1930. La radio s’implante à la vitesse de l’éclair dans les foyers belges. La radio rassemble. Elle s’écoute en famille ou entre amis et crée des liens serrés entre les individus. Les tensions internationales et le conflit mondial transforment les radios en armes de guerre psychologique. La population européenne est rivée à son poste de radio et reste, entre deux feuilletons radiophoniques, à l’affût de la moindre information qui puisse conforter son opinion sur l’entrée en guerre de son pays, puis sur la résistance qui s’organise. La radio s’écoute en cachette, dans une cave, un cagibi, à l’abri des oreilles des Allemands, tisse une toile relationnelle et soude la population.

Après le traumatisme de la guerre et la reconstruction, les années 50 sont celles d’un âge d’or de la radio. C’est l’époque de gloire des feuilletons radiophoniques, des jeux, des chansonniers, mais aussi des grandes émissions de variété en public. Les vedettes de la radio ont autant de succès que les vedettes de cinéma. Les gens se pressent aux portes des studios pour assister en direct à la dernière émission radiophonique à la mode.

Dans les années 80, avec l’apparition des appareils à piles et des balladeurs, les jeunes, assoiffés de liberté, écoutent la radio en bande, dans les parcs, le poste sur l’épaule, partageant les rythmes tonitruants de leur musique favorite. À ce moment, la musique et les émissions radios se partageaient, écouter telle émission ou telle musique était signe d’appartenance à un groupe.

Sophie

Mon père réparait de vieilles radios. Il adorait ça. Il y avait plein de radios dans tous les coins chez mes parents. C’est un objet qui a été très présent dans mon enfance. Mais aujourd’hui, curieusement, la radio comme média est quasiment absente de ma vie. Excepté sur le Net, dans le cadre de contenus bien précis ou de recherches particulières, je peux dire que je n’allume jamais la radio, excepté circonstances socio-politiques exceptionnelles. Je me suis habituée au support visuel et du coup, même si c’est en fond, c’est plutôt la télé que j’allume. Pourtant, je ne regarde pas forcément les images, c’est plutôt un décor sonore. Par contre, si je suis chez des gens qui écoutent la radio, j’arrive sans problème à rentrer dans les émissions et à m’intéresser à ce qui se dit. C’est essentiellement une question d’habitudes de vie.

Un média en chute libre

A partir des années 90, le média radio fut confronté à une crise d’individualisme. D’un usage collectif et familial, le présentateur se retrouve à présent face à des individus isolés. Les adolescents écoutent des émissions “crasses” le soir dans leur lit. Les femmes au foyer l’écoutent en faisant leur ménage. Les travailleurs l’écoutent le matin au réveil. Seuls. Si la radio leur a offert à ses auditeurs l’opportunité de s’exprimer publiquement et de partager leurs sentiments, elle n’a toutefois pas réussi à créer de lien entre les individus, creusant plutôt l’écart entre les majorités silencieuses, conformistes et passives, et les minorités qui ne trouvent pas là de lieu d’expression adéquat. On n’aboutit en fait qu’à une profusion de messages artificiels destinés à n’importe qui, et donc à personne.

André

La radio, c’est lié pour moi à la notion de mobilité et de solitude. Rien à voir avec les récits de mon grand-père sur les soirées familiales autour du « poste », comme il l’appelait. C’est aussi quelque chose de profondément ancré dans le quotidien. Sans doute simplement parce que j’écoute beaucoup la radio en voiture, seul. Le matin, en allant au boulot, puis à 17h00, en quittant mon bureau, ou encore en allant faire les courses
au Delhaize. Cela conditionne les émissions que j’écoute, qui sont toujours sensiblement les mêmes. Le matin, j’écoute surtout le journal ou des magazines d’information. Et en sortant du boulot, c’est invariablement « Le Jeu du dictionnaire ». C’est devenu une sorte de rituel personnel. Je disais que c’était fortement lié au quotidien, mais je préciserais que c’est un quotidien de travail. Le week-end, si je prends ma voiture pour aller voir des amis, j’écouterai plutôt un CD…

Les auditoires aussi ont évolué. Ils s’attendent à présent à avoir accès au contenu qu’ils souhaitent, à l’heure et à l’endroit qu’ils choisissent et sous la forme qu’ils veulent. La concurrence découlant de la télévision, d’Internet, des iPod et de la vidéo sur demande a affaibli l’emprise de la radio. La structure de l’audience est bien connue : un pic d’audience tôt le matin, lié aux radios-réveils, aux récepteurs portables transportés de la cuisine à la salle de bain, et aux autoradios ; une reprise, pendant les transports de fin d’après-midi, la soirée étant dévolue à la télévision. La radio est écoutée pour près de 60% au domicile, pour 20% en voiture, et pour 18% au travail. Ce succés, la radio le doit principalement à son accessibilité, mais trouve aujourd’hui sa limite, ce qui handicape son développement et en particulier sa numérisation.

Pierre

La radio m’accompagne tout le temps, jour et nuit, partout. A la maison, elle est tout le temps allumée. J’écoute principalement les émissions culturelles et les infos. Je zappe sur des émissions plus musicales lorsque je suis occupé à une activité plus intellectuelle. Quand je suis dehors, j’ai une petite radio que j’écoute au casque. Je l’écoute aussi beaucoup sur le Net, qui propose des émissions politiques et/ou culturelles originales, avec de vraies perspectives et des analyses qui ne te donnent pas la sensation d’avoir entendu ça déjà mille fois auparavant. Radio Zinzine, Radio Panik, proposent des émissions vraiment intéressantes qui non seulement amènent quelque chose en termes de contenu, mais développent aussi une approche plus globale des médias.

Aujourd’hui…

La radio connaît un renouveau grâce à Internet. Bien sûr, ces nouveaux dispositifs d’écoute bouleversent les caractéristiques de la communication radiophonique non seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan des usages sociaux. Les notions d’espace et de temps de la médiation sont bousculés. Les contenus sont également modifiés. Enfin, plus globalement les modes d’usage de la radio s’en ressentent. Les webradios réduisent en effet l’occupation de l’écoute dans les espaces publics. La notion « temporelle » rencontre elle aussi de nouvelles mutations. Pour les programmes à télécharger, il n’y a plus d’instantanéité. Le média n’est plus alors inscrit dans le « flux » mais au contraire dans une logique de « stock ». La relation avec le temps de l’événement et le temps de l’écoute n’a plus aucune importance et le direct n’a plus aucun sens.

Damien

Mes parents sont de grands auditeurs de radio. J’ai passé toute mon enfance avec la radio en bande-son de notre quotidien familial. Je ne sais pas si ça a influencé la personne que je suis devenue, mais en tout cas, dès l’adolescence, j’ai tout de suite eu envie de faire de la radio. Passer de l’autre côté du transistor, entrer dans ce monde un peu mystérieux et magique des ondes hertziennes. Je suis un fou de musique, mais par ailleurs assez préoccupé par les questions politiques et sociétales, et je crois que la radio est un vecteur idéal pour affronter ces problématiques.

L’omniprésence des médias numériques a donc transformé à tout jamais le secteur de la radiodiffusion. La technologie, bien sûr, mais aussi les auditoires ont beaucoup changé. Ces derniers suivent ensemble la route tracée par les journalistes-présentateurs, qui simplifient à l’extrême le moindre message transmis, et le répètent, jusqu’au conditionnement. Expliquer vite et mal avant que l’auditeur ne zappe… Nous déverser un flux d’idioties
sonores dans les oreilles, parce que tout le monde aime ça, paraît-il. En faisant semblant d’ignorer que tout le monde, c’est personne…

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