En Belgique, le mode de fonctionnement des radios, dont la plupart sont principalement financées par la publicité, se base sur l’audimat. Plus celui-ci est élevé, plus importants seront les montants attribués par les annonceurs pour disposer de quelques secondes sur les ondes. Le Centre d’Information sur les Médias (CIM) réalise l’étude de l’audimat des supports médiatiques. Ce sont ces résultats qui désigneront les radios les plus intéressantes pour les annonceurs, et surtout à quel public s’adresse leurs programmes.
Pour l’audience radio, la tactique du CIM est assez simple : un échantillon d’environ 8500 auditeurs est recruté par le biais d’une enquête réalisée deux fois par an, auprès de personnes tirées au sort et âgées de plus de douze ans. Les sondés reçoivent un carnet d’écoute qu’ils doivent remplir en notant chaque jour la station écoutée. Une série de renseignements sociodémographiques les concernant sont aussi demandés.
Les données collectées permettront au CIM d’évaluer quelles sont les stations les plus écoutées et par quel public. Il pourra par exemple ainsi indiquer aux annonceurs que les femmes entre 35 et 45 ans écoutent massivement telle antenne, tandis que les 16-18 ans préfèrent telle autre. Pour la première étude de l’année 2008, c’est Bel-RTL qui remporte la palme avec un total de 20% des parts de marché du côté francophone, soit un chiffre de 743.650 auditeurs quotidiens. Radio Contact et Vivacité suivent, avec respectivement une moyenne de 579.450 et de 467.500 auditeurs par jour.
Prenons l’exemple de RMB. La régie publicitaire de la RTBF propose aux annonceurs de diffuser un spot publicitaire d’une trentaine de secondes pour un prix moyen de 208€. Ce tarif peut s’élever à 500€ pour un spot diffusé à une heure de grande écoute, juste avant le journal parlé du matin par exemple. Même si ces tarifs ne sont qu’indicatifs, ils laissent songeurs quand on pense à certains spots publicitaires qui reviennent à longueur de journée… Des études sont d’ailleurs menées par les régies afin de viser le plus précisément les tranches horaires et les émissions qui coïncideront avec les besoins des publicitaires. Ces renseignements sont une mine d’or pour les annonceurs qui peuvent ainsi faire passer une publicité destinée aux ménagères sur une station où ils seront certains d’atteindre des consommatrices potentielles.
« Les consommateurs potentiels », le terme n’est certes pas élégant, mais il définit à merveille le centre des préoccupations des grands médias, et surtout de leurs équipes marketing. On ne peut oublier cette phrase du président de TF1, Patrick Lelay pour qui l’essentiel est de proposer aux annonceurs des conditions de diffusion les plus favorables possibles : «Il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation (…) de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. » 1 La messe est dite…
Un service vraiment public ?
Autrefois libre de toute pollution publicitaire, la RTBF peut aujourd’hui se financer à hauteur de 30% grâce à la publicité. L’apport financier est incontestable. Cependant, les implications de ce mode de fonctionnement prêtent à discussion. La RTBF peut-elle encore se prévaloir du statut de service public alors que les 185 millions d’euros de subventions qui lui sont attribuées par la Communauté française sont utilisés de manière commerciale ? L’usager se trouve obligé de suivre des programmes formatés pour attirer le plus grand nombre, et truffés de publicités. Nombre d’émissions culturelles ont ainsi été passées à la trappe au nom de la sacro-sainte loi de l’audimat.
« La RTBF préfère répondre aux attentes de ses annonceurs potentiels plutôt qu’à celles de ses publics. N’a-t-elle pas entrepris la multiplication onéreuse de ses chaînes de radios pour atteindre davantage de publics “
cibles” chers aux publicitaires ? ». En effet, la RTBF risque de se laisser entraîner dans une spirale infernale dont elle aura beaucoup de difficultés à sortir : elle doit cibler son public tout en garantissant un audimat intéressant pour ses annonceurs. Mais en agissant de la sorte, elle a dû multiplier les antennes (ce qui lui coûte très cher) tout en diffusant des publicités. Ces mesures risquent d’avoir pour conséquence directe la diminution de l’audimat et donc «tôt ou tard, les recettes publicitaires vont baisser… Quand va-t-on prendre la mesure de ce futur désastre? »
La pertinence du CIM en question
Instrument de mesure de l’audimat, le CIM règne en maître sur le paysage médiatique financé par les publicités, mais ce rôle central est l’objet de nombreuses contestations. La première concerne sa composition : il regroupe, outre les médias eux-mêmes, tous les acteurs spécialisés dans la publicité (annonceurs, agences de publicité et régies publicitaires de médias) et il est difficile de croire que leurs intentions sont de favoriser les émissions culturelles et la diversité. De plus, il est étonnant d’apprendre que « la composition du CIM, c’est-à-dire l’organe qui va déterminer ce qu’est l’audience, et donc ce qu’est une bonne audience et ce qu’est une mauvaise audience, est constitué presque exclusivement de groupes privés. Est-il normal que ces entreprises privées déterminent comment est mesurée l’audience des services publics ? ».
Ensuite, se pose la question de la qualité des études menées. Selon certains, les résultats, si prépondérants dans l’attribution des recettes publicitaires, seraient biaisés et ne reflèteraient pas la satisfaction du public par rapport aux programmes. Rien ne prouve que les émissions soient vraiment appréciées par l’auditeur et que ce dernier y prête une oreille attentive. L’absence de données relatives à l’intérêt porté aux émissions et à la qualité de ces dernières est à cet égard flagrant.
A côté de ce débat sur la pertinence de la publicité sur la RTBF et du rôle du CIM qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, il convient de noter que, malheureusement pour l’auditeur, les annonceurs financent la plupart des productions, et que sans leur appui, les moyens des radios se réduisent à une peau de chagrin. Pourtant quelques radios s’en passent et ont opté pour une politique « zéro-pub » comme Radio Air Libre (87,7 FM) dont l’antenne diffuse ses programmes avec un budget de 800€ mois. Ce montant couvre les frais de loyer, de gaz, d’électricité, de droits d’auteur, et provient des animateurs eux-mêmes, qui contribuent à raison de 15€ mois, et du soutien de certains auditeurs. D’autres radios de la même trempe, comme Radio Panik ou Radio Campus, fonctionnent avec des budgets très limités, un bénévolat quasi-intégral et donc de faibles moyens d’auto-promotion.
Le « Music and news » prôné par leurs concurrentes n’est ici pas d’actualité. Ces radios alternatives visent avant tout à perpétuer une certaine idée de la radio, conçue comme un espace de liberté d’expression, d’informations en profondeur plutôt qu’événementielles, de variétés de musiques, qui utilise un langage radiophonique différent et auquel participent des groupes de citoyens qui n’ont pas accès à la radio. Certaines de ces antennes, malgré leurs difficultés financières, sont sur les ondes depuis plus de vingt ans, preuve, s’il en fallait, qu’il est possible de faire de la radio autrement…
Notes:
- Propos tenus par Patrick Le Lay dans « Les dirigeants face au changement », Editions du Huitième jour, 2004.Radio de service public, la RTBF ? ↩