C’était le 13 juin 2008. Fadila Laanan, ministre de l’Audiovisuel en Communauté française, passe en direct sur les ondes de Radio Mint. Dans quelques jours (le 22 juin), le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) rendra public son plan de fréquence. Il entrera en application le 22 juillet – durant “la nuit bleue” : faire de la politique, c’est avoir un certain sens de la formule.
La rumeur veut que Mint ne passera pas “la nuit bleue” : elle ne figurera pas dans le plan et risque bien de disparaître de la bande FM.
On a donc un journaliste (il s’appelle Mathieu Col) qui fait le militant. Directement impliqué dans le sujet qu’il traite, il fait un peu de l’Indymedia sans le faire exprès 1. Face à ce dispositif médiatique d’autodéfense, la ministre, dos au mur, rappelle les règles du jeu : “oui, on savait qu’il allait y avoir des morts, c’est juste qu’on ne savait pas lesquels”.
C’est qu’il faut bien comprendre que depuis la fin 97, la bande FM, c’est le Far West – et que dans les (bons) Westerns, il y a toujours des morts!
1997. Laurette Onkelinx à la manoeuvre. La Communauté française accouche d’un décret qui prévoit d’accorder le droit d’émettre sur la FM dans le cadre d’un appel d’offre. Et de faire gérer la procédure par le CSA. Jusqu’à ce moment-là, le gouvernement attribuait les autorisations lui-même – vu l’importance politique des médias, on imagine bien que les ministres évitaient de se mettre telle ou telle station sur le dos. D’où l’idée de la création d’une commission d’attribution “indépendante”. Le ministre n’a plus qu’à pousser sur le bouton qui lance la procédure. L’avenir ne tardera pas à nous apprendre que même ça, c’est encore trop…
Corinne de P. (MR) succède à Laurette O. (PS), puis arrive Richard M. (MR). Daniel D. (MR) prend sa place jusqu’à ce que Olivier C. (MR) le remplace. Même quand on parvient à la lancer, la procédure établie en 97 reste impossible à mettre en oeuvre jusqu’au bout : il n’y a aucun plan de fréquence.
Le CSA, lui, refuse d’accorder des autorisations d’émissions sur des fréquences ne figurant pas dans le cadastre d’avant 97. Les Radios obtiennent de drôles de licences : on applique une logique de “reconnaissance tacite”. Mais après 2005, ça se complique (encore). Pour tenter de faire cadrer la lenteur de la solution avec l’urgence du problème, le CSA décide qu’il sera désormais permis à une radio de s’installer où bon lui semble, tant qu’il n’y a aucune plainte. Les gros réseaux parviennent à s’autoréguler, les plaintes sont rarissimes. Selon Bernard Dubuisson (responsable de l’unité radio au CSA) : “ce système fonctionnait, en définitive, au préjudice des petits opérateurs indépendants ou associatifs. Plus les gros réseaux s’organisaient entre eux pour garantir un confort d’écoute à leur audience et plus les petites stations étaient muselées. C’est aussi pour cela qu’un plan de fréquence était nécessaire.”
Et puis, il ne faut pas oublier les flamands! Vous allez sans doute rire mais le problème comporte un sacré aspect communautaire. C’est sérieux : une onde radio ne s’arrête pas à la frontière linguistique – contrairement à ce que laissent parfois entendre les autorités flamandes. Et encore moins quand celle-ci ne correspond à aucune frontière physique (voir Bruxelles). Il est juridiquement impossible de pondre un plan de fréquence francophone en l’absence d’une coordination avec la Flandre. Les francophones jugent les prétentions flamandes inacceptables, aucun accord n’est possible. Pour plus d’infos : googleisez “dialogue de communauté à communauté” (prévoir une après-midi bien que 5 minutes pourraient suffire…)
Ce qu’on peut donc voir dans les studios de Mint, c’est Fadila Laanan coincée entre les exigences des gros réseaux médiatiques et celles de la communauté flamande.
Et pourtant la situation bouge!
Selon Bernard Dubuisson, la fin de l’exigence de
coordination inter-communautaire découlant d’une nouvelle jurisprudence adoptée par le Conseil d’État à l’occasion du plan de fréquences flamand, est une des sources de déblocage. Et l’ampleur des dégâts que risquait de causer l’impossibilité pour les petits opérateurs de faire valoir leurs droits (puisque personne n’avait plus d’autorisation en règle) pourrait bien en être une autre.
Le 17 juin, les résultats du premier appel d’offre (140 dossiers retenus pour 78 fréquences de radios indépendantes, 5 réseaux urbains et 5 réseaux communautaires à attribuer) sont rendus publics. Et la procédure concernant le second appel d’offre est lancée en juillet (26 dossiers acceptés pour 6 fréquences et 1 réseau de fréquence).
Évidemment, comme promis, il y eut des morts. Et, comme prévu, ça a fait du bruit dans les médias. BFM, Mint et Ciel furent les 3 “grandes” victimes de la “nuit bleue”. Le plan de fréquence essuie pas mal de critiques et la colère des défenseurs de la Liberté d’Expression. Certains journalistes affirmant que la cause du mal était notamment à chercher du côté du CSA où « à l’image d’une lame de fond qui secoue la Communauté française, la politisation sévit comme aux pires heures de l’institution » 2.
Interrogé à ce propos, Bernard Dubuisson, tenait à nous rappeler qu’« évidemment, les membres du bureau et des collèges sont nommés par le gouvernement. Mais d’une part, les 4 membres du bureau sont issus des 4 partis politiques francophones et d’autre part, le plan de fréquence qui a été établi est contestable auprès du Conseil d’État – qui, lui, n’a pas la réputation d’être politisé ou arbitraire. Dans cette perspective, le CSA a été très soucieux de veiller aux respects des règles et des critères établis par le décret : n’importe quelle décision irrégulière aurait été épinglée. Or à ce jour, le Conseil d’Etat n’a rien trouvé à redire sur le fond de nos décisions. Enfin, les décisions du 17 juin ont été prises à l’unanimité des membres, c’est qu’il y avait un certain bon sens dans les choix effectués. L’argument de la politisation est surtout avancé par ceux qui refusent d’admettre les lacunes de leur projet ».
De prime abord, il semble scabreux d’essayer d’imposer un numerus clausus dans une perspective de sauvegarder la diversité culturelle – c’est clair que ça semble un peu contradictoire. Mais il semble tout aussi scabreux de sortir la grosse artillerie démocratique (Liberté d’Expression, Intérêt Général,…) pour défendre des projets radiophoniques standardisés, à vocation strictement commerciale et politiquement déjà largement majoritaires (hurler à la défense de la diversité pour défendre BFM : on dirait un super gag des Monthy Python!). D’autant plus qu’il pourrait être établi (par tous ceux qui savent compter) que la plupart des projets ayant fait les frais de l’établissement d’un plan de fréquence sont ceux dont on ne parle pas ou peu dans la presse et qui ne mobilisent pas de grand mouvement populaire : les stations qui visaient l’obtention d’une fréquence “indépendante”.
A cette perspective comptable, Bernard Dubuisson objecte que “la plupart des radios “indépendantes” déjà existantes ont reçu une fréquence et que la majorité des refus porte sur des projets qui devaient encore voir le jour”. Mieux, il affirme que “les petits sont les grands gagnants puisqu’ils récupèrent enfin la place qui leur est due, notamment dans les villes. Ils occupent parfois de meilleures fréquences que par le passé. Et certains entrevoient la perspective du financement que le décret prévoit de leur octroyer (via des subsides provenant d’un fond alimenté par un prélèvement sur les recettes publicitaires des gros réseaux)”.
Pierre, de Radio Panik, émet un avis plutôt favorable: “Le problème, ce sont les dégâts qui datent de l’époque où la loi de la jungle était en vigueur. Quand il y avait un souci, et il y en
avait souvent, on nous disait “il y aura bientôt un plan de fréquence”. Et on a peut-être dû attendre un peu trop longtemps: entretemps, beaucoup de radios ont eu d’énormes difficultés techniques ou économiques. Ça a laissé des traces, certaines ont même disparu. Mais c’est vrai que ça aurait pu être pire…
Aujourd’hui, avec le plan de fréquence, la situation est meilleure. Le CSA n’a pas cédé à toutes les exigences des gros réseaux. Techniquement, on découvre un peu la situation et il y a des petits problèmes mais comme maintenant, il y a une base juridique, à ce niveau-là, c’est mieux. Et puis, c’est vrai qu’il y a la perspective d’obtenir un statut qui donne droit à une subvention. Normalement. Il faut espérer…”