7. L’âge d’or : le règne des années 30 et 40

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Dans les années 30, l’explosion du nombre d’émetteurs ainsi que la production massive de récepteurs superhétérodynes, qui possèdent des hauts-parleurs, annoncent 25 ans de règne sans partage du poste radiophonique. La radio des années 30 et 40 est au centre de la vie familiale et sociale. Objet de luxe, elle trône dans le salon où elle rassemble la famille. Elle anime la maisonnée d’une présence intime et est à la fois une fenêtre vers l’extérieur. Elle fait aussi vivre tout un petit monde : des constructeurs aux réparateurs en passant par les vendeurs et les animateurs. La vision des radios anciennes évoque immanquablement des souvenirs. C’est cette tranche d’histoire que nous conte Roland Gerlier, journaliste et collectionneur de radios anciennes.

Comment sont apparus les premiers postes de radio dans les ménages belges ?

R. G. : Les premières radios, dans les années 10 et 20, étaient des postes à galène sans hauts parleurs. On les écoutait via des écouteurs individuels. Souvent, le chef de famille racontait ce qu’il entendait dans le récepteur au reste de la famille. Il s’agissait le plus souvent d’informations et de discours politiques. Les années 30 sont celles d’une grande révolution pour la radio. D’une part, on construit de plus en plus d’émetteurs, et d’autre part, la fabrication de postes à haut-parleurs se fait en masse, surtout par la SBR (Société Belge de Radio). Cette conjoncture a fait exploser en trois ans le nombre d’auditeurs qui sont passés de 2000 à 500 000. Toutes les familles voulaient avoir leur poste. C’est un vrai événement social. À cette époque, on écoutait la radio collectivement. Les familles se retrouvaient dans le salon ou dans la cuisine et se rassemblaient autour du poste. Les hommes allaient aussi dans les cafés le soir pour l’écouter. Les programmes étaient composés d’informations, souvent locales, de lecture de pièces de théâtre, de musique et de publicités, qui commencent à faire leur apparition. Quand les studios deviennent plus sophistiqués, il y a un piano et un micro pour un(e) chanteur-se, et on passe des morceaux de musique joués en direct. Le poste était une vraie présence dans la vie familiale.

Comment sont émis ces programmes ?

R. G. : Dans les années 20, l’émission connaît une phase expérimentale et vient surtout de Paris, mais les premiers émetteurs locaux belges font leur apparition. Les années 30 voient naître l’Institut National de la Radio (INR). Il y avait des émetteurs partout en Belgique, surtout à Bruxelles et en Wallonie. Les premières radios libres naissent via des studios installés par des amateurs. Les débuts de la radio ne sont pas du tout le fait de journalistes ou d’animateurs mais de passionnés. Souvent, il s’agissait simplement de quatre fils tendus entre deux pylônes à dix mètres de hauteur.

Comment sont produits les postes de radios ?

R. G. : C’est un vrai investissement. Les premières radios sont des meubles créés en une vingtaine d’exemplaires par des ébénistes, parfois en marquetterie. La mode de cette époque est l’Art Déco. Les radios sont alors des objets luxueux et chers. Presque tout le monde les achète à crédit. Un an, voire plus, pour la rembourser par mensualités. A l’époque, le prix d’un poste équivaut à celui d’une petite voiture aujourd’hui. Dans les années 40, des modèles de radio plus populaires font leur apparition. Leur prix est plus accessible mais ils sont toujours achetés à crédit. Le coût de production reste élevé car ils sont usinés à la main. Le prix de revient est au moins cent fois plus élevé qu’aujourd’hui. C’est pour cette raison que pas mal de gens se décident à construire leur propre poste. Il est possible d’acheter le matériel en kit et de le monter, ou alors, on achète à la SBR le châssis et on construit la structure de bois autour. On peut dire qu’en 1935, 20 % du parc de postes de radios est issu de bricoleurs. Ils ne tardent d’ailleurs pas à voir l’intérêt commercial de cette activité et revendent
souvent aux voisins leur propre poste. C’est ainsi qu’est née l’industrie de la radio.

L’industrie de la radio se développe alors très vite devant l’afflux des demandes ?

R. G. : De 1930 à 1939, le nombre de récepteurs déclarés passe de 76 872 à 1 148 659. Parallèlement, divers organismes reçoivent le droit d’émettre et les premiers émetteurs commerciaux sont construits. Une véritable industrie de la radio se met donc en place, qui concerne tout un petit monde. Il y a bien sûr les ouvriers qui construisent les émetteurs et les récepteurs, mais aussi les réparateurs et les vendeurs. Il est intéressant de remarquer que quand l’amateurisme a fait place à l’industrialisation dans la production de radios, ce sont les femmes qui ont été les premières ouvrières. Elles étaient plus précises dans l’assemblage des pièces et surtout moins alcooliques que les hommes qui engendraient nombre de problèmes dans les usines. On peut dire que les femmes étaient au début et en fin de chaîne.

Quel était le rôle des femmes exactement ?

R. G. : La radio s’est construite par et pour des femmes. Les programmes radios sont destinés essentiellement aux femmes qui sont les principales auditrices puisqu’elles restent à la maison. On appelle d’ailleurs les émissions de cette époque la « radio crochet » car on crochette en écoutant les programmes. La radio constitue une vraie présence, la voix des animateurs a marqué nombre de générations. Dans les années 30, la radio a permis aux femmes de s’évader du foyer où elles étaient confinées. Les nouvelles du monde, les histoires qu’on leur raconte, les programmes qui parlent d’elles leur ouvrent de nouvelles portes, une liberté à explorer. Un aspect important du rôle social de la radio est la genèse de l’émancipation des femmes. L’homme qui travaille en journée n’est pas là pour maintenir un droit de regard et d’écoute sur les programmes. Cependant, lorsqu’il rentre le soir, madame doit lui céder la place et il s’installe dans le fauteuil pour écouter essentiellement les informations en fumant sa pipe dans un silence que ne peuvent rompre ni la femme, ni les enfants.

Ce sont des femmes qui animent les émissions ?

R. G. : Non, les nombreux problèmes techniques qui surgissent dans les studios nécessitent des personnes calées en technique, or les femmes font rarement des études qui leur permettent cela. Elles sont arrivées beaucoup plus tard via le journalisme. Les programmes radio des années 30 témoignent des débats de société. Ils retransmettent notamment les discussions animées sur le droit de vote des femmes. Ceci a sans aucun doute donné une certaine conscience politique et sociale aux femmes. De même, les événements précédant la guerre diffusés par la radio ont largement marqué les consciences.

Que change la guerre dans les habitudes radiophoniques ?

R. G. : Durant la guerre, les Allemands ont tenté de détruire les émetteurs et ont réquisitionné les postes de radio pour juguler cet outil de propagande. Ils ont détruit les pylônes et les lignes, mais les émetteurs et les postes avaient souvent été cachés avant leur arrivée. On écoutait donc la radio en secret et on émettait parfois derrière les autels des églises ! Les émissions sont restées identiques excepté le fait que les Allemands ont interdit la diffusion des informations. L’objectif des programmes est plutôt de divertir la population qui vit des jours difficiles. Rares sont ceux qui écoutent Radio Londres et le risque est trop grand d’émettre des émissions de résistance. On construit très peu de postes à cette époque car tous les composants sont réquisitionnés pour l’industrie de guerre. On bricole des postes avec les moyens du bord et y arriver relève un peu du miracle. Ce sont les Américains qui ont apporté les matériaux nécessaires et à la Libération, ils les ont laissés ici. Cela a permis de relancer très vite la construction de postes radios après-guerre.

Que se passe-t-il après la guerre ?

R. G. : Les années 50 sonnent le glas du
règne unique du poste de radio familial. Il n’est désormais plus le seul canal d’information et de distraction puisqu’apparaissent le transistor portable, et surtout la télévision. Les familles investissent désormais dans un poste de télévision et non plus dans un poste de radio, et les jeunes se tournent vers le transistor que l’on peut emporter partout avec soi. Même si la modulation de fréquence apporte un plus grand confort d’écoute, le poste de radio n’est plus au centre de la vie sociale et familiale. La radio connaîtra encore nombre d’évolutions mais son âge d’or est résolument passé.

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