Festival : nom masculin, représentation artistique donnée à une époque fixe et sur un thème précis.
Un peu d’histoire et d’étymologie
Aujourd’hui, le mot « festival » recouvre une série de réalités culturelles et artistiques très diverses, que ce soit au niveau des disciplines artistiques (musique, danse, cinéma, théâtre, BD…), des genres (classique, rock, jazz, blues, world music…) de la durée (d’une journée à dix jours), du lieu (une salle, un site ou toute une région…), des publics (populaires, pointus, alternatifs…), ou encore des approches (commerciale, engagée, expérimentale etc)…
Mais ce phénomène n’est pas neuf, comme en témoigne cette citation d’Hector Berlioz dans un chapitre de ses « Mémoires » consacré aux années 1840-1841 : « Ce mot (festival) que j’employais sur les affiches pour la première fois à Paris, est devenu le titre banal des plus grotesques exhibitions : nous avons maintenant des festivals de danse ou de musique dans les moindres guinguettes, avec trois violons, une caisse et deux cornets à pistons. »
Pour Littré, le mot désigne surtout « les grandes fêtes musicales allemandes », et accessoirement anglaises et françaises. L’Académie admet ce néologisme en 1878. Toutefois, à l’époque de Berlioz, la réalité concernée par le mot festival était plus proche de ce que nous appellerions aujourd’hui un concert de gala. Pour les Allemands, le festival ou Musikfest suppose l’exécution grandiose d’œuvres classiques importantes par d’éminents artistes nationaux En Suisse, dès 1825, des fêtes de chant populaires sont, sans y prétendre, de véritables festivals.
Alors… Evénement de guinguette ? Concert de gala ? Cérémonie musicale patriotico-religieuse ? Compétition de chanteurs populaires ? Le festival du passé est tout cela et bien plus encore.
Au 18ème siècle (le premier festival proprement dit, «Three Choirs Festival », date de 1724, en Angleterre), en Europe, le festival marque l’avènement du tiers-état et l’intention de la nouvelle classe bourgeoise de s’affirmer sur le plan artistique et de se glorifier elle-même par de nouvelles formes de la vie musicale. La préférence est donnée à la musique d’inspiration religieuse (la bourgeoisie anglaise et allemande montre une grande ardeur religieuse, contrairement à de nombreux milieux aristocratiques) et il y a une sorte de culte latent d’un compositeur élu : le nouveau public choisit son guide, se reconnaît en lui et le glorifie.
Au 19ème siècle, l’Allemagne poursuit l’initiative, mais innove résolument avec un incroyable succès. L’éveil du sentiment patriotique, l’intégration à la vie nationale de couches autrefois considérées comme inférieures, ainsi que la vitalité musicale présente à cette époque en Allemagne, font du festival un événement qui vise à atteindre des buts hautement artistiques en même temps que nationaux. Citons des compositeurs comme Haendel, Haydn, Mozart, Beethoven, Bach… dont le génie a participé au succès et à la multiplication du phénomène.
Parallèlement, un mouvement plus populaire, par réaction au caractère de plus en plus artistique et élitiste des festivals officiels, initie des fêtes de chant, ancrées dans l’imaginaire collectif (le Roi Arthur..) et teintées d’un fort sentiment national.
Du 19ème à aujourd’hui, la complexité qui caractérise les structures sociales se traduit par l’éclatement, voire l’émiettement de l’institution du festival. Tous les pays, toutes les villes, tous les genres, tous les ensembles musicaux veulent en avoir. Et l’exemple musical déteint sur d’autres secteurs de l’art, en particulier théâtre et cinéma.
Dans la mesure où il devient socialement nécessaire d’en varier les genres, les festivals modernes, pris séparément, parviennent difficilement à combler l’ensemble des attentes, parfois contradictoires, des publics : recueillement et ivresse, jouissance esthétique pure et plaisir facile, sentiment d’appartenance à une entité collective et subjectivité , évasion et sublimation du quotidien…
nUn seul festival y est peut-être parvenu, celui de Wagner à Bayreuth. « L’attraction mondaine que constituait alors l’opéra fut conciliée avec une spiritualité exigeante, l’ardeur sensuelle avec le mysticisme, le réalisme de la mise en scène avec la vision d’un univers de légende rendu actuel, et la puissance incantatoire de la musique avec la puissance de la poésie. »1 Les spectateurs avaient l’impression d’être englobés dans l’événement artistique, et de nombreux témoignages des contemporains confirment que l’expérience constituait pour les participants « l’événement complet ».
Les cigales ayant chanté tout l’été…
En Belgique, rien que dans la sphère pop-rock au sens large, on dénombre déjà plus d’une trentaine de festivals, dont la plupart se déroulent en juillet-août. De Werchter aux Francofolies de Spa, de Nandrin Rock festival à Dour, du Pukkelpop à Couleur Café, des Ardentes à Esperanzah : on pourrait passer tout son été à déambuler de l’un à l’autre.
L’attitude et l’esprit
A condition d’en avoir les moyens. A condition aussi d’être en phase avec l’esprit et les pratiques propres à chaque événement.
Ainsi, sous le ciel pluvieux d’un juillet bien « belche », la grande communauté des « Ardentes », dernier-né des festivals « alternatifs dans leur programmation artistique », a enfilé ses bottes en caoutchouc. Mais attention, pas n’importe quelles bottes en caoutchouc ! Pas des simples bottes kaki de jardinage, en encore moins des « Aigle », qui évoquent les scouts et la chasse. Non, ici, les bottes sont fleuries, pop, colorées, customisées, et, à l’exception de quelques paires chinées dans les brocantes, coûtent presque aussi cher que le pass. La « pop attitude », même sous la drache, est un signe de reconnaissance qui ne trompe pas.
A Werchter, l’esprit « bain de foule » est à son comble. Serré, écrasé, ou carrément en proie à un épisode d’étouffement, on serre les dents et on continue à sourire, mieux, à chanter, en se laissant porter par les vibrations qui émanent de « la grande famille du rock».
Entre cloisonnement et désir d’appartenance
Chaque festival a « son label », sa « marque de fabrique ». Plus ou moins commerciaux, plus ou moins expérimentaux, plus ou moins « alternatifs », plus ou moins populaires, plus ou moins engagés. Les uns fondent leur recette sur la programmation d’icônes du rock qui attireront les masses. D’autres affichent des tendances « citoyennes », impliquant ONG et associations socioculturelles, ancrant leur communication dans des thématiques sociétales. D’autres encore marchent en équilibristes sur un fil où s’entrecroisent enjeux culturels et économiques. Quelques-uns, enfin, privilégiant l’expérimental, tentent de ne pas devenir confidentiels jusqu’à l’oubli.
Si certains revendiquent plus que d’autres des spécificités artistiques ou sociopolitiques, il n’en reste pas moins que les publics, eux, dans un monde complexe où les repères sont flous et changeants, semblent être en recherche d’une forme commune de sentiment d’appartenance identitaire à une entité collective. Un besoin d’être reliés, par des attitudes, des comportements, des valeurs, ou simplement par la musique elle-même.
D’un côté, les organisateurs de festivals cultivent leur image, leurs particularités, leur concept, alimentant une certaine tendance au cloisonnement culturel. De l’autre, ils répondent aux attentes de publics divers en quête de communautés de goûts et de valeurs. A Woodstock, une méga-communauté beatnik vibrait d’un désir similaire de transformations sociales et culturelles. Dans les festivals d’aujourd’hui, ne s’agirait-il pas d’avantage de micro-communautés, chacune avec ses codes, ses aspirations, ses « stigmates » socioculturels propres ?
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Festival « Voix de Femmes »
Dans le paysage des festivals dits de « musique du monde», le festival Voix de Femmes est une planète particulière. Dès sa création en 1991 au sein du Cirque Divers à Liège, il se conçoit comme un espace de recherches et de rencontres
en résidence, artistiques et pédagogiques d’abord, essentiellement européen et destiné aux professionnelles de la voix dans un premier temps. À partir de sa troisième édition en 1995-96, il s’ouvre aux artistes d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine, des Caraïbes, du Pacifique, choix qui va le mener à mêler la réflexion et l’action politiques à l’expression artistique. Au Festival Voix de Femmes, il ne s’est jamais agi de proposer de « consommer » des concerts, fût-ce de façon sympathique et empathique. Si le festif et la joie sont bien présents, notamment lors des spectacles, l’identité du Festival est plus complexe et s’articule comme un projet multiple, que ses participant-e-s sont invitées à tisser ensemble. Les artistes (principalement musiciennes, mais aussi femmes de théâtre, plasticiennes, danseuses…) sont invitées à vivre ensemble en résidence pendant deux semaines, à donner des ateliers, à participer à des rencontres et débats publics, à assister, voire à participer aux concerts et spectacles de leurs consoeurs… Pas de grands noms au sens commercial du terme (même si certaines sont des voix internationalement reconnues, comme Giovanna Marini, Mitsou, Toto la Momposina, Lila Downs, Estrella Morente…), plutôt des découvertes, des voix porteuses de traditions méconnues ou oubliées, où transparaissent parfois les accents de luttes individuelles ou collectives, des histoires d’oppression et de résistances. Résistance, survie, disparition, mémoire : le travail que menait le festival sur ces questions portées par les artistes a été approfondi par l’invitation, en 2000, de femmes proches de victimes de disparitions forcées. Si on connaît un peu les « folles de la Place de mai » en Argentine, ces mères au foulard blanc qui ont bravé inlassablement la dictature militaire, on sait moins que la disparition forcée est une arme de terreur utilisée par tous les oppresseurs à travers le monde. Depuis sa 5è édition, le festival Voix de Femmes a donc pour cœur une vingtaine de femmes de diverses régions (Argentine, Chili, Mexique, Maroc, Algérie, Liban, Palestine, Turquie, Afghanistan, Tchétchénie, Casamance, Rwanda…), qui ont créé le « Réseau mondial de solidarité des mères, épouses, sœurs, filles, proches de personnes enlevée et disparues ». Leurs rencontres au sein du festival sont l’occasion d’informer le public sur leurs luttes, mais aussi de travailler avec les artistes les relations entre art et politique, ce qui a notamment donné lieu à des œuvres théâtrales et plastiques sur la disparition forcée. Le festival s’attache également à toucher, voire à impliquer des femmes pour lesquelles l’accès à ce genre d’activités n’est pas évident, au regard des milieux sociaux et culturels dont elles sont issues. Il mène donc un travail avec des associations de femmes, notamment immigrées, en Belgique et a par exemple organisé lors de sa dernière édition des concerts de midi, et des rencontres avec les artistes et les proches de personnes disparues dans les associations mêmes.
Un festival qui se positionne donc très différemment de la plupart des autres, par ses choix, ses fondements, et jusque dans ses dates, puisqu’il est un des rares à ne pas se dérouler en été !
Infos : [->www.voixdefemmes.org]
Virage
« Couleur Café, je me souviens, les premières années, c’était vraiment quelque chose. Aujourd’hui, le festival a complètement viré dans le commercial, le prémâché, et je crois que même si on me payait ma place, je n’irais plus. Cette année, je vais à un festival de musiques traditionnelles dans les Pouilles, en Italie.» (M.)
Plombs ou cartons ?
« C’est très difficile pour un festival de rester intègre, ou même, plus simplement, de conserver une certaine ligne conceptuelle. Je me rappelle le Dour des débuts, l’esprit qui régnait. C’était vraiment un espace de découvertes musicales tous azimuts. Les prix étaient démocratiques, et t’étais sûr de flasher sur au moins deux ou trois groupes jusqu’ici inconnus. Aujourd’hui, quand j’entends mon neveu demander à sa mère pour aller à Dour avec
ses potes, le seul truc qui me vient en tête, c’est pas « musique », mais « plombs » (ecstasy), « cartons » (LSD) ou « speed»… Pourtant, des plombs, des cartons et du speed, j’en ai pris mon quota, mais la dernière fois que j’ai mis les pieds à Dour, j’ai vu des mecs venus là uniquement pour se faire leur beurre de l’été vendre tout et n’importe quoi à des minots de 15-16 ans, sans aucun scrupule. Un supermarché, ou presque… Et un carton, à 15 ou 16 ans, sans rien savoir et sans être bien accompagné, ça peut faire des dégâts. Paraît que maintenant c’est vachement plus contrôlé, mais même… Ça a pourri l’esprit, sans parler de l’industrie que c’est devenu, et du prix des places ! » (P.)
La goutte d’eau…
« A Esperanzah, l’eau était gratuite. Mais il fallait passer par un bar où des bénévoles la tiraient à la pompe. J’y emmène ma fille, 14 ans, qui avait très soif. Et là, surprise, on me dit qu’elle doit D’ABORD remplir un questionnaire sur l’eau. Je réponds en essayant de ne pas m’énerver : elle a soif, il y a une pompe, vous lui donnez un verre d’eau ! ET la bénévole d’insister : «Oui, mais, il faut remplir le questionnaire avant ! ». Je réitère : « Il fait chaud, elle a soif, vous allez à la pompe, et vous lui donnez de l’eau ! » Elle aussi… : « Oui mais le questionnaire… » Et mon compagnon d’intervenir : « Eh, tu veux un alter coup de boule ? » (L.)
Not only rock and roll, baby
1969. USA. Mike Lang, New-yorkais de 24 ans organise, en plein mois d’août, un événement qui fera date dans l’histoire, alors débutante, des festivals : Woodstock. 300.000 personnes se rassemblent pour écouter les REM et autres JAY-Z de l’époque…la culture des festivals est née. L’investissement matériel et financier est colossal : 2,7 millions de dollars. Pour payer les artistes, par contre, 250.000 dollars suffiront (une misère à côté des 500.000 euros demandés par Radiohead pour les prestations de Werchter et Arras). L’entrée coûte 18 dollars pour trois jours de festival, mais beaucoup ne la paieront pas.
2008. Belgique. Pas moins de 22 festivals (subsidiés tant par l’état que par des partenaires privés) sont programmés sur le territoire cet été. Les affiches sont alléchantes, tout ce qui compose la scène musicale actuelle peut être entendu. Il suffit de faire son choix. « Cette année, je fais Dour, dit Sébastien. Y a un peu de tout : rock, hip-hop, électro, hardcore, et aussi des DJ, puis j’irai aux Ardentes, parce que c’est tout près ». « On se retrouve à Werchter avec des potes, dit Charline, l’affiche est super impressionnante, que des grands noms. C’est vrai que c’est un peu cher, le pass pour les quatre jours, mais pour moi, ce sera mes vacances ». Le prix des tickets est, en effet très variable (de 15 à 75 euros pour un jour), mais des promotions sont systématiquement offertes lorsqu’on choisit un pass (entre 46 et 165 euros), c’est-à-dire un ticket permettant l’accès au site pendant toute la durée du festival (de 3 à 4 jours). «Franchement, je sais pas si je saurais faire les quatre jours, confie Sophie, mais 40 euros pour un jour ou 70 pour quatre, c’est vachement plus intéressant le pass, au moins je vois ce que je veux ». La formule pass fonctionne très fort (les Ardentes ont ainsi vendu avant le début du Festival plus de 9.000 pass).
Mais sur place, le 3+1 gratuit se retourne vite contre notre festivalier. S’il décide de camper (cela n’est pas toujours possible), il devra débourser entre 10 et 17 euros par jour. De plus sur les sites des concerts, les toilettes sont pas toujours gratuites. Par ailleurs, vivre plusieurs jours dans un endroit où les boissons allochtones sont interdites et où la bière coûte entre 2 et 2,50 euros, ça crève vite un budget. Et puis, il faut bien se sustenter aussi pour éviter l’évanouissement. « Franchement, la bouffe, ça douille un max et c’est pas top. Tu vas payer une frite 3 euros, mais si t’en as marre de bouffer que du gras, tu peux prendre des pâtes pour 7,50 euros. Ca cale mieux, mais c’est pas
donné ». « Dans le camping, y a une cuisine commune. Tu peux demander qu’on te réchauffe gratuitement ta conserve, mais bon, t’as pas toujours envie de t’embarquer dans ce genre de trucs ». « Il y a aussi un magasin, genre supermarché improvisé où tu peux acheter les trucs qui manquent. Une fois, on a acheté deux bouteilles d’eau, du PQ et un autre truc, on en avait carrément pour 18 euros ». Les festivals sont donc bien loin de l’œuvre philanthropique, et si la musique réchauffe les cœurs, elle n’en donne pas moins des sueurs froides au portefeuille. Aujourd’hui, compte comme tu veux, la rock and roll attitude a un prix.